La lourde responsabilité de Draghi

Article Bruno Bertez du 27 Mars

On voit peu d’informations ou d’analyses sur l’expérience monétaire de Draghi. Les commentaires restent dans l’ensemble superficiels, du genre: il n’y arrivera pas, il ne réussira pas à trouver assez de titres à acheter pour remplir son programme. Tout au plus voit-on, de temps à autre, des incidentes sur les taux et les changes.

En fait, tout à été fait pour occulter, dissimuler les buts poursuivis par Draghi et expliquer en quoi ils pouvaient constituer une solution aux problèmes des déséquilibres européens.

Les Allemands, premières futures victimes de Draghi se sont bien gardés d’éclairer le jeu, ce qui nous confirme dans notre idée qu’ils sont complices. Merkel a accepté le plan de Draghi en toute connaissance de cause, elle a choisi de tenter de maintenir l’euro coûte que coûte pour préserver la zone d’exportation de ses entreprises, et ce au détriment du patrimoine et de la sécurité  de ses citoyens.

Le QE  de Draghi repose sur une mécanique qui n’a jamais été explicitée clairement. Or pour juger de la validité de ses objectifs et ensuite de son degré de réussite, il faut expliciter les processus par lesquels il fonctionnerait. Nous faisons justice tout se suite des objectifs annoncés, il s’agit de poudre aux yeux, ce sont des manoeuvres d’illusionnistes qui détournent votre attention dans une direction ou il ne se passe rien, pour éviter que vous regardiez là ou cela se passe.

Le QE vise d’abord et avant tout l’affaiblissement du change en vertu de l’expérience américaine. Si on augmente la masse d’euros, le prix relatif de l’euro sur le marché des changes doit baisser et sa valeur exprimée en termes de marchandises et de services également. Le QE c’est l’enfant de Bernanke, c’est sa théorie de base. Les QE sont dans l’esprit de leurs promoteurs des instruments de dépréciation, tout est là. Tout est dit.

Le QE ne vise pas à relancer la croissance, ou à lutter contre le chômage, le QE vise à déprécier le change extérieur afin d’enclencher une hausse des prix à la fois par les prix importés et les prix à l’exportation. Ce qui est visé c’est la dérive des prix moyens européens jusqu’à un minimum de 2%. Là, Draghi est explicite, il dit bien qu’il veut de l’inflation. On notera au passage la rouerie des gouvernements comme le Francais qui s’efforcent précisément, alors que l’on cherche à fabriquer de l’inflation, à supprimer certaines indexations, comme sur les retraites et les transferts sociaux.

Draghi cherche une inflation moyenne, mais une inflation très différenciée selon les pays. En effet une dérive qui serait la même partout n’arrangerait rien. Les déséquilibres intra-européens subsisteraient , les  insuffisances de compétitivité des pays du Sud et de la France ne seraient nullement modifiées! Il faut pour que l’inflation soit une solution, qu’elle soit très contrastée: quasi nulle au Sud et en France et très forte dans les pays du Nord et évidemment en Allemagne. Pour fixer les idées sur des chiffres approximatifs, mais vraisemblables, il faudrait une inflation négative ou nulle en Italie et Espagne, une inflation nulle en France et une hausse des prix de 4 à 5% dans les pays du Nord. L’effet rééquilibrant de cette inflation différenciée ne se manifestant qu’à long terme, il faudrait que la situation optimale espérée par Draghi dure au moins 8 à 10 ans.

La première remarque qui vient à l’esprit est :

-est ce que les blocs étrangers, Japon, Chine, USA, vont laisser faire sans réagir? Nous sommes en pleine guerre des monnaies. Le Japon ne parvient pas à s’en sortir malgré l’audace de ses mesures, la Chine va être obligée de se résoudre à ouvrir les vannes, les USA renaclent déjà depuis 3 semaines face au renchérissement du dollar.

La seconde est:

-est-ce que la situation de surproduction, de « glut » mondial n’est pas telle que les prix de beaucoup de produits ne pourront monter et que l’on va assister à des distorsions considérables. Les différentiels d’inflation vont-ils s’établir de la facon souhaitée?

La troisième est:

-la réussite repose sur le maintien et l’accentuation de l’austérité dans les pays du Sud et en France; Il ne faut pas que le redressement de la demande dans un système rigide fasse monter les prix, il faut que ces pays restent en déflation. Est-ce réaliste? Ces pays sont fatigués de l’austérité, les corps sociaux se fissurent, le bi-partisme qui permet de tenir les citoyens dans un calme relatif est contesté. On peut faire confiance aux politiciens du Sud et de France pour décréter, lors des échéances électorales, le succès et la fin des efforts. Le bas niveau des taux d’intérêt n’incite pas à la réduction des déficits, on le voit dans la dérive généralisée actuelle, les ratios de dettes ne cessent de grimper. Quand aux réformes dites structurelles, leurs bienfaits sont très largement surestimés. A peu près autant que l’était le mythe des diplômes comme solution pour éviter le chômage. La question de la compétitivité n’est que relative et dans un monde en déflation, le tonneau est de Danaides.

Ce qui est frappant, c’est que l’exemple Grec ne fait réfléchir personne; on n’imagine pas que cela puisse mal tourner! La Grèce est, il faut le dire, au delà de la propagande, victime des erreurs du FMI, des Allemands et de la BCE. La Troika s’est trompée sur tout, absolument tout. Les prêts à la Grèce sont passés de 52 milliards à 310 et rien n’est résolu. C’est l’impase avec un chômage passé de 11% à 26% et un ratio de dettes qui atteint 180% du GDP.

La quatrième est :

-le corps social Allemand ne tolérera pas la dérive inflationniste longue que l’on essaiera de lui imposer. Le corps social Allemand est éclairé par des intellectuels, des élites qui ne sont pas inflationnistes, ce n’est pas comme au Sud et en France. les médias, même dans les mains du Patronat ne sont pas inflationnistes. Par ailleurs, est-ce que les entreprises vont encore rester favorables à l’euro quand elles verront leurs prix et leur compétitivité déraper? Avec une inflation de 4 à 5% l’an, on s’affaiblit vite.

L’échec de la politique de Draghi pourrait prendre des allures de catastrophe. Les pays du Sud peuvent relâcher leur embryon de discipline à la faveur de l’aisance monétaire et de l’ambiance laxiste qui se réinstalle. L’Allemagne peut ne pas accepter la dérive inflationniste et freiner des deux pieds sur cette pente. Au lieu de se résorber, l’écart entre les inflationnistes historiques et les pays du Nord se remet à s’élargir, mais ceci intervient à un niveau de dettes encore accru et alors que la politique monétaire a donné tout ce qu’elle pouvait donner. Ceci intervient à un niveau d’hostilité entre les peuples encore supérieur à celui, déjà très élevé atteint actuellement.

Les solutions seraient très limitées pour faire face à une nouvelle crise. Encore plus limitées qu’aujourd’hui. Le Sud serait dans l’impossibilité politique d’imposer une nouvelle déflation. Selon toute probabilité les opinions publiques du Nord s’opposeraient à de nouveaux transferts.  Ne resteraient que les solution de panique, l’éclatement à chaud de l’euro, soit par la sortie des pays du Sud , soit le retrait des pays du Nord. Avec les conséquences terribles sur le système financier, les niveaux de vie et la stabilité en général.

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