Que vaut un billet de loterie avant le tirage? Il vaut sa valeur faciale, il vaut le prix que le vendeur en demande et que l’acheteur doit régler si il veut participer à la loterie. Dans un monde rationnel, un acheteur de billets d’occasion, non joueur, avant le tirage, accepterait de le payer en fonction de son espérance mathématique de gain, il tiendrait compte des prélèvements multiples opérés sur les joueurs par les divers intervenants comme la puissance publique, l’organisateur des loteries etc. . Certes, la classe des joueurs fait un marché globalement perdant puisque la cagnotte est considérabelement amputée par les prélèvements: elle ne touche par exemple que 40% de sa mise, mais au moins il y a une valeur. Et cette valeur pour la connaitre, il suffit soit de faire un peu de mathématiques , soit d’acquérir tous les billets de loterie. Puisque l’on touchera tous les gains, on connaitra la vraie valeur de tous les billets émis. Même si elle est spoliatrice, la valeur des billets de loterie existe, il y a une vraie valeur sous-jacente. L’acheteur du billet de loterie est face à une incertitude, mais cette incertitude n’est pas radicale.
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La société Valeant « valait » 90 milliards il y a quelques mois. Elle en valait aux dernières nouvelles un peu plus de 10 milliards ! Une chute de 90%, qui a coûté , certains jours, la bagatelle de 700 millions de dollars au gourou des Hedge Fund, Ackman, de Pershing Square. Cette société Valeant a fait, sous une forme caricaturale, ce que font la majeure partie des sociétés qui « créent de la valeur boursière », elle a procédé à des acquisitions pour 40 milliards, elle a fait des dettes pour 30 milliards, elle a monté les prix de ses produits (pharmaceutiques, et para-pharmaceutiques) licencié du personnel, coupé dans ses dépenses de recherche et developpement. L’action, avant les évènements se traitait à 31 fois les bénéfices apparents admis par la communaté des analystes et en réalité plus de 100 fois les résulats réels. Bien entendu, elle avait un CFO qui était un ancien de chez Goldman Sachs. L’action était un « chouchou », si nos souvenirs sont bons, elle figurait dans le portefeuille de la Banque Nationale Suisse. Un placement de père de famille n’est ce pas?
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Que vaut Valeant? Hier la firme valait 90 millards, aujourd’hui elle côte un peu plus de 10 milliards, demain , peut être elle ne vaudra plus rien. Surtout si Yellen monte les taux en Avril! Mais si elle ne les monte pas, ce sera peut être pire, car cela prouvera que les choses vont mal! Il n’y a pas de valeur fondamentale, pas de limite à la baisse de la valeur car tout est valeur de convenance: résultat de la rencontre de l’offre et de la demande. Quelle sera la demande pour les actifs financiers à haut risque si la liquidité se réduit, si les taux montent, si les primes de risque se dilatent, si la croissance économique ralentit encore, si le marché des dérivés et des fausses assurances se grippe…?
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Valeant est plus qu’un exemple, c’est un condensé du Système, c’est le système en modèle réduit, c’est le système macro réduit en micro. Valeant fait toucher du doigt ce que nous appelons l’incertitude radicale de la Valeur qui caractérise la modernité : les valeurs sont supendues dans les airs, elles peuvent s’annéantir quand les conditions qui les ont inflatées disparaissent. C’est pire que la valeur de notre billet de loterie, qui elle, peut être appréhendée par un calcul de probabilité et d’espérance mathématique.
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Avec l’incertitude radicale de la valeur , avec la relativité qui envahit toutes les sphères de nos sociétés, les incertitudes sont d’un ordre supérieur. La destruction du réel, des certitudes, de l’usage, du besoin, leur remplacement par le désir, par le jeu, par la névrose, par les métaphores, par les métonymies, tout cela fait que « tout » est fragile. Valeant n’est pas seulement un symbole de Wall Street, non c’est un symbole du monde dans lequel nous vivons.
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De la même façon que l’on ne peut plus, à cause des manipulations, connaître le vrai prix des choses-regardez ce qui s’est passé sur le pétrole- on ne peut plus savoir ce qui est bien ou mal, ce qui « vaut », ce qui ne « vaut-pas ». L’exemple le plus net en ce moment c’est la manipulation des frontières entre l’humanisme , le racisme, la guerre, la paix… .
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Le monde de l’incertitude généralisée est le monde de la servitude. Pourquoi? Parce que si rien n’est bien ou mal, rien ne « vaut » ou ne « vaut-pas » en soi, alors ce sont les Maîtres, par leur lois, par leurs décrets, par leur violence, qui fixent, qui s’arrogent le droit de fixer, ils s’arrogent le droit de vous imposer, de vous contrôler, et surtout d’occulter le monde réel.
D’ou l’importance vitale dans nos sociétés de la fabrication des consensus, l’importance de la propagande, du politiquement correct; d’ou l’importance du rejet des rebelles, des « contrarians », des insoumis. Ceux qui sont fondamentalistes, ceux qui croient qu’il existe une vérité, des vérités, ceux qui croient qu’il existe des référents, des points fixes, ceux là mettent littéralement en danger l’édifice. Nos société se coupent en deux, non pas Droite ou Gauche, non, elles se coupent entre croyants et non-croyants, entre participants de la névrose et non-participants.
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On comprend, la masse étant peureuse et lâche, qu’elle ne veuille pas souffir et prendre de risque d’abandonner le confort de la bien-pensance majoritaire, même si au fond d’elle même elle sait que tout est « bidon ». Elle joue le jeu, elle fait semblant de croire en la monnaie, en son gouvernement, en sa capacité à protéger, à gérer et à conduire. La masse fait semblant de croire qu’elle est Charlie, Paris, Bruxelles…Elle vit dans un monde faux. Au fond d’elle même elle le sait; mais du vrai et du réel, elle n’en veut rien savoir. C’est ce que nous appelons une névrose. Le névrosé tient à sa névrose, il tient à ses béquilles qui l’aident à croire qu’il mêne une vraie vie, même lorsqu’il mêne la vie que ses Maîtres ont conçue pour lui.
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La situation économique mondiale est une catastrophe, même pas en attente d’arriver, non la catastrophe est là. Nous n’en voulons qu’une preuve: nous vivons sous perfusion. Après 87 mois de taux d’intérêt nuls, 87 mois d’inondations monétaires, 87 mois de mensonges et de billevesées, la Banque Centrale mondiale, la Fed est déja obligée de faire une pause après sa tentative de régularisation, sa vaine tentative de normaliser. Pire on parle de nouvelles stimulations fiscales, de passer aux taux négatifs, de prélever sur les dépôts bancaires, d’instaurer un revenu universel etc etc. Le commerce mondial, symbole de l’échec de la globalisation est maintenant au point mort, stagnant. C’est à qui essaiera de dévaluer sa monnaie pour prendre un peu de part de marchés aux autres.