Opinion: rattrapage Européen ?

Le fossé s’est creusé entre les Etats-Unis où les actions sont chères et le Vieux Continent où elles semblent très sous-évaluées

Paru dans Agefi Suisse

20 Avril 2016

 

Serge Laedermann CMT**

Fondamentalement, il est évident que les actions américaines sont surévaluées d’au moins 10%, la «fair value» du S&P 500 se situant au mieux à 1850, analyse Serge Laedermann.


Qui l’eut cru? L’indice S&P 500 se retrouve à moins de 2% de son record historique, ce qui n’était pas gagné après ce début d’année calamiteux. Seuls les marchés européens sont à la traine, mais ce fossé pourrait bien se combler partiellement ces prochaines semaines. En effet, l’effacement des 348 points sur le DJ Europe 600 ouvre le chemin des 380. Ce dernier niveau correspond au prix pratiqué en novembre dernier et il devient de plus en plus probable que cette hausse se réalise avant la fin du mois de mai.

Fondamentalement, il est évident que les actions américaines sont surévaluées d’au moins 10%, la «fair value» du S&P 500 se situant au mieux à 1850. Les profits du 1er trimestre seront corrects, mais les rachats de type «Buy Back» de la part des sociétés et le manque d’alternatives aux actions semblent créer une bulle sur cette classe d’actifs. A 19 fois les bénéfices et sans croissance tonitruante, le marché américain est vulnérable à la moindre mauvaise nouvelle d’importance. La musique est bien différente chez nous, puisque nous sommes toujours prostrés sur des prix avoisinant 13,5 fois les bénéfices dans l’Union Européenne, une anomalie due à la perte de confiance dans notre capacité à rebondir. Ce sentiment devrait s’atténuer ce printemps et favoriser une réallocation dans la seule classe d’actif capable de rapporter quelque chose. Avec des dividendes (assurés) rapportant 3% en moyenne, y compris en Suisse, l’investisseur prudent trouve un proxy valable aux obligations qui ne génèrent plus un kopeck.

Ce «Flight to Equity» (to Dividend devrait-on dire) était attendu depuis les fameux Quantitative Easing des Banques Centrales recherchant par tous les moyens à réanimer le mourant. Le but avoué est de favoriser une bulle capable de créer enfin de l’inflation et de faire repartir le business. Ce que les financiers appellent désormais «helicopter money» pour imager les billets balancés à la populasse, va immanquablement provoquer des exagérations sur plusieurs marchés. Avec les taux négatifs, un emprunteur immobilier à taux variable ne paie déjà plus d’intérêts, mais en plus il en reçoit! A un horizon de 20 ans on est bien en dessous des 2%, de quoi raviver les envies d’acquisition. Le risque de cette politique (qui d’après tous les cadors ne marche pas), est de ne rien voir arriver. On appâte vigoureusement, mais seuls quelques petits poissons mordent à l’hameçon, on doute de la stratégie et on appâte encore plus, jusqu’au jour où une ombre masque le soleil. C’est Moby Dick! Là il faudra se mettre à couvert car le rétropédalage risque d’être sportif. Hausses des taux à répétition, donc mise en péril des états endettés jusqu’au cou, mais aussi des sociétés fragiles, chute des actifs achetés spéculativement etc. Bref, on ne va pas s’ennuyer les amis!

Comme exprimé à maintes reprises dans ces colonnes, ceux qui tablent sur la hausse du dollar se mettent le doigt dans l’œil. Face à l’euro, le billet vert se traite actuellement en dessous du 10 mars 2015. Pour ceux qui auraient oublié, c’est précisément à cette date que Super Mario a lancé son Quantitative Easing massif en rachetant les obligations par dizaines de milliards tout en scotchant les taux à 0%. Pour mémoire, la dernière campagne de resserrement monétaire de la FED date de juin 2003 et s’est achevée en juin 2006. Pendant ce laps de temps, les Fed Funds sont passés de 1% à 5.25% et le dollar de 1.10 euros à… 1.60! Comme quoi une forte hausse des taux peut générer une dévaluation de la monnaie de 45%. Là on n’est plus dans les manuels d’économie mais dans le monde réel.

Un petit tour géopolitique pour expliquer la fenêtre qui s’ouvre sur les actions. La Chine se débrouille pour atterrir en douceur. Même si les défauts de paiement vont se multiplier, c’est leur cuisine et ça ne nous émeut pas. Les migrants sont refourgués en Turquie, ça se normalise (certes c’est dégueulasse, mais l’investisseur qui a un état d’âme n’est pas un investisseur). La Syrie, pareil, ça se calme, Erdogan ne semble pas devoir déclarer la guerre à Poutine (ces deux fêlés semblent avoir le biorythme dans le creux) et l’EI se ratatine. Tout baigne!

Autre sujet. Lors de mon dernier article du 16 mars, j’ai fustigé les sociétés qui demandent leur décotation et n’assurent ensuite plus de prix convenable à leurs actionnaires, qui se retrouvent de facto trappés et obligés de brader leurs actions à vil prix. Intersport était dans le lot et, hasard ou non, le lendemain la Société s’est fendue d’un communiqué précisant qu’elle n’allait pas racheter les titres restant car elle a constaté «un fort accroissement des activités de négoce». Excusez-moi, mais là c’est du beau foutage de gueule! Non seulement le volume est resté très faible, mais le prix de liquidation forcée n’atteint pas la moitié de la valeur comptable de la boite. Malgré une règle très claire en vigueur, la Bourse Suisse ne bouge même pas le petit doigt…

* Associé, GFA Geneva Financial Adviser

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