Les mystères du coût du capital

Les mystères du coût du capital

MERCREDI, 24.08.2016
Agefi Suisse

Jackson Hole. Là où l’on cherche à rendre les taux d’intérêt plus négatifs sans déclencher l’arbitrage vers le cash.

Bruno Bertez

Alors que commence la réunion des grands prêtres au Grand Téton, les débats tournent autour de l’échec des politiques monétaires et de ce qu’il faudrait faire pour les rendre plus efficaces.

Personne ne s’avise de les remettre radicalement en question pour la bonne raison que nous sommes dans un système de pensée unique; celui des PHD du MIT et autres. Le système est consanguin et monopolistique, il croit aux artefacts intellectuels qu’il a mis au monde. Il refuse névrotiquement de tuer le père. Donc pas de remise en question des prémices, mais:

l soit une aggravation des politiques comme celle de répression financière,

l soit un complément fiscal

La proposition de «l’helicopter money» n’est pas nouvelle, c’est un «mix» fumeux des politiques antérieures, plus direct et plus cynique.

Les intellectuels les plus en vue adoptent la thèse de la croissance séculaire ralentie sans même se poser la question de mettre à jour ses soit disant causes. Pour eux elle tombe du ciel.

Nous proposons une thèse bien plus réaliste que le système de la pensée dominante ne veut pas examiner: celle de la chute tendancielle du taux de profit en regard de tout le capital existant dans le système (capital fictif et capital productif) aggravée maintenant par l’érosion de la masse de profits elle même. Pour formuler la même chose autrement, la crise est une crise de surproduction comme dans les années 30, ce que Bernanke appelle une insuffisance de la demande globale, mais cela c’est son mode d’apparaitre, ce n’est pas la cause.

Nous sommes dans la conjonction de trois éléments: une baisse tendancielle du taux de profit en raison de la hausse de la composition organique du capital, une suraccumulation de capital fictif comme les dettes et une masse considérable de capital périmé, mal alloué que l’on n’ose plus détruire.

Le cercle est devenu vicieux, baisse du taux de profit, pression sur les revenus, recours au crédit, constitution d’une masse de capital fictif, répression financière qui inflate le capital fictif, cannibalisation de l’investissement productif, ralentissement de la productivité, chômage. Une terrible boucle se boucle sous nos yeux, laquelle n’est dissimulée que par la fuite en avant dans la répression financière accélérée, ce qui est la proposition qui est au cœur de la réunion en cours à Jackson Hole. On cherche comment rendre les taux d’intérêt plus négatifs sans déclencher l’arbitrage vers le cash, et comment faire passer l’idée d’un objectif de taux d’inflation de 2% à 4%.

De notre thèse découle une recommandation totalement opposée aux voies actuellement suivies: au lieu de continuer d’inflater la valeur du capital ancien , il faut le déflater, le restructurer, l’euthanasier, bref il faut revenir aux pratiques historiques du Jubilee et, en même temps, pour éviter la chute déflationniste, il faut procéder, pour soutenir et relancer la machine à une grosse injection de «revenus», par un procédé de type «helicopter money».

Contrairement aux radotages des socio-démocrates et autres bien pensants, ce n’est pas la hausse des dividendes qui pénalise l’investissement et la productivité, c’est l’inverse. La rentabilité du capital investi productivement étant insuffisante, les managers et les actionnaires préfèrent retourner l’argent aux actionnaires sous forme de dividendes, de buy-backs et d’ingénierie financière. Les emplois financiers étant plus rentables et moins risqués que les emplois productifs, il y a cannibalisation.

Tant que les emplois financiers seront performants, ils feront concurrence aux emplois productifs! Il faut, pour modifier tout cela, soit faire chuter les indices des bourses, empêcher les performances, soit introduire de nouvelles règles fiscales! Eh Oui! Paradoxal?

Nous sommes dans une lutte, dans un affrontement. Le capital fait la grève face à la chute du taux de profit séculaire. Le taux de profit rapporté à l’ensemble de ce qui a statut de capital, chute depuis plus de 30 ans car le capital productif d’une part s’alourdit, (sa composition organique croît), mais surtout le capital fictif, le capital non productif de poids mort, le parasitaire, croît de façon exponentielle, à la fois par les déficits et par le développement de l’intermédiation.

Les autorités qui n’ont rien compris au fond au système capitaliste et au marché financier, veulent faire baisser le coût du capital pour forcer à investir. Elles croient qu’en baissant les taux d’intérêt elles font chuter le coût du capital, ce qui est une erreur intellectuelle colossale! Ce sont des naïfs.

La baisse des taux d’intérêt fait monter la valeur des titres anciens sur les marchés, les détenteurs et les acheteurs de titres ne veulent pas perdre, ils veulent que les cours de bourse restent élevés et ils ont les moyens de l’obtenir en distribuant des dividendes et faisant des buy back et des M&A grâce au crédit gratuit. Au besoin, ils exercent un chantage sur la banque centrale, laquelle est devenue leur otage.

L’ingénierie financière est la réponse du capital face à la tentative des autorités de faire baisser le coût du capital. Le capital ne veut pas, n’accepte pas de gagner moins; il fait monter les cours de bourse et mêne une politique qui soutient ces cours élevés, ce qui fait qu’il maintient sa performance malgré les pressions. Mais une partie de la performance cesse d’être interne, elle devient externe.

Les autorités n’ont rien compris au concept de coût du capital. Le coût du capital est une notion très complexe, très sophistiquée, pas du tout simpliste. Elle peut être formulée de la façon suivante: c’est tout ce qu’il faut offrir, procurer, assurer au capital pour qu’il accepte de s’investir, tout ce qu’il faut lui offrir pour le séduire. Le mot important est le mot «tout». Il contient la rentabilité, la croissance, la liquidité, la sécurité, l’absence de volatilité etc…Les dividendes ne sont qu’un des aspects.

Le coût du capital inclut, pour simplifier, le maintien, voire la croissance du niveau du cours de bourse, et la promesse de progression des bénéfices, coûte que coûte. Ceci est une simplification car le capital, pour le séduire, il faut lui offrir beaucoup plus de choses.

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