Jackson Hole: la mise en scène de l’illusion de toute puissance
La présidente de la Fed a à nouveau promis vendredi une hausse progressive des taux d’intérêt vu « l’amélioration de l’économie américaine ». Dans les faits , la croissance américaine, n’a été que de 1,1% au 2e trimestre, elle devient de plus en plus irrégulière sinon volatile. Analyse.
La présidente de la Fed a à nouveau promis vendredi une hausse progressive des taux d’intérêt vu « l’amélioration de l’économie américaine ». Elle reste prudente face aux « perturbations » qui peuvent troubler l’économie. Elle a salué le fait que la première économie mondiale « s’approchait » des objectifs « d’emploi maximum et de stabilité des prix ». « Les arguments pour une hausse des taux d’intérêt se sont renforcés au cours des derniers mois », a-t-elle affirmé. Yellen reprend les propos récents du Vice Président Fischer.
Dans les faits , la croissance américaine, n’à été que de 1,1% au 2e trimestre, elle devient de plus en plus irrégulière sinon volatile. Les prévisions donnent 2% sur l’année. L’inflation annuelle ne s’accélère pas, à 0,9%, selon l’indice PCE, le plus significatif, elle ne se rapproche guère de la cible de 2%. Le taux de chômage à 4,9% est tout proche du plein emploi tel qu’on le définit officiellement, mais des voix s’élèvent pour considérer que ces mesures ne sont guère significtives, le nombre d’heures travaillées et surtout les salaires ne semblent pas correspondre à une situation de plein emploi.
Yellen n’a pas paru signaler une imminence de resserrement monétaire. Elle veut garder toutes les options ouvertes avant la prochaine réunion du Comité monétaire de la banque centrale dans un peu plus de trois semaines. « Notre capacité à prévoir l’évolution des taux est très limitée » car il faut répondre « aux perturbations qui peuvent troubler l’économie », a-t-elle averti. De fait nous vous rappelons sa bourde énorme de 2015 qui lui a coûté de nombreux points de crédibilité: “the US economy “is on a path of sustainable improvement.” and “we are confident in the US economy”. Depuis décembre, la Fed est paralysée! Visiblement la confiance était mal placée.
En gros elle ménage sa crédibilité pour le cas ou un nouvel élément perturbant viendrait secouer les marchés. Le Comité monétaire de la Fed se réunit les 20 et 21 septembre, avant-dernier rendez-vous avant l’élection présidentielle de novembre.
La banque centrale qui, depuis la crise financière, a resserré sa politique monétaire une fois seulement en décembre 2015, n’a cessé de repousser un nouveau tour de vis monétaire face à l’éclatement de la bulle chinoise puis face au risque du Brexit. « La politique monétaire n’est pas sur une trajectoire prédéterminée », a insisté Yellen.
Dans ce discours de plus de 20 pages consacré aux outils de politique monétaire, Yellen s’est surtout attachée à décrire les moyens que pourrait utiliser la banque centrale en cas de nouveau ralentissement de la croissance. Le ralentissement de la croissance, probable mais non prévisible, est l’une des préoccupations majeure de la Fed, elle craint de se trouver sans arme devant une récession, alors que les effets de celle ci seraient considérablement déstabilisants dans un monde fragile, déséquilibré avec des marchés financiers très surévalués.
« La Fed pourrait souhaiter à un certain moment de considérer de nouvelles options pour conforter une économie forte et résiliente », a-t-elle indiqué. Elle a semblé exclure toutefois l’idée, prônée notamment par John Williams, président de la Fed de San Francisco, de relever la cible d’inflation à 3 ou 4% , ce qui permettrait à la Fed d’attendre plus longtemps avant d’agir sur les taux à la hausse. « Le Comité monétaire n’étudie pas activement ces hypothèses », a-t-elle relevé.
La patronne de la Fed a défendu la politique laxiste que la banque centrale a adoptées après la crise financière. « Face à la lenteur de la reprise, certains se sont interrogés sur l’efficacité des achats d’actifs. Ces critiques manquent de considérer les obstacles inhabituels que l’économie a rencontrés après la crise », a argumenté Yellen. Vous remarquerez que son argument est de pure forme, vide, elle n’avance aucune justification sérieuse de l’action de la Fed, c’est un argument d’autorité, il faudra s’en contenter.
Le symposium de Jackson Hole vient donc de se terminer . Il avait commencé par un grand diner jeudi soir, diner au cours duquel les participants ont eu l’occasion de se congratuler, ce qui complète les auto-congratulations narcissiques habituelles. Yellen est intervenue vendredi matin , heure locale. La réaction des observateurs à été plutot négataive, celle des marchés également avec une dominante; “tout cel apour rien ou prseque. Nous ne partageons pas cette réaction, l’intervention de Yellen mérite les livres d’histoire.
La première réunion de Jackson Hole a eu lieu en 1982. Ce n’est pas un hasard, pour nous en tous cas, car c’est à peu près de cette période que nous datons la dérive de la dérégulation consciente, cynique et sans scrupule.
C’est dès le début des années 80, que nous avons pressenti le mouvement ves lequel allait nous entrainer la dérégulation et ses enchainements fatals: la mise sur les marchés du crédit, le transfert du crédit en banque vers le crédit market-based. La dérégulation brisait les ancrages, les arrimages, elle rendait toutes les valeurs incertaines . Ce qui essentiellement revenait à mettre le crédit et sa stabilité à la merci des émotions et des animal spirits; ce qui impliquait une mutation du rôle des banques centrales et un activisme de plus en plus débordant. Cette mutation, Yellen vient de la théoriser.
Nous avons toujours été contre la dérégulation et son objectif qui consistait à tenter d’accélérer le taux de croissance faiblissant des économies et de compenser l’insuffisance du taux de profit et sa érosion tenadancielle.
Nous ne nous sommes pas trompés, la dérive a été terrible, elle a procuré une fausse prospérité au prix de crises de plus en plus rapprochées, de plus en plus violentes et maintenant au prix d’un glissement de nos sociétés vers un nouveau modèle avec moins de liberté, d’efficacité et plus d’inégalités.
Nous sommes dans un système neuf , pas encore défini, pas encore caractérisé, mais on en voit les contours: des Maîtres qui se sont arrogé l’Autorité à la faveur de la complexité, des maîtres non élus, auto-proclamés; des gouvernements hébétés, dépassés et veules ; des superstrutures complices, crony; des classes moyennes rabaissées et déclassées et en bas des marginaux qui servent, grâce à leur marginalité régressive à faire l’appoint électoral pour continuer la comédie de la pseudo démocratie.
Les banquiers centraux et leurs complices ont pris le pouvoir par la mise en place de la dérégulation, ils sont devenus les agents économiques majeurs, les Maîtres.
La dérégulation a consisté philosophiquement à couper le lien qui existait entre le réel et ses lois et les signes. Elle a consité à remplacer la science, découverte sans cesse remise en question du réel, par l’idéologie. Ils ont séparé, disjoint les formes et les contenus, purgé les repères comme la monnaie de toute référence. Ils ont tout mis dans les airs, suspendus à des offres et des demandes tautologiques manipulées par le jeu des perceptions.
Ils ont, coup de Maître, c’est le cas de le dire, mis les mathématiques de leur coté en remplaçant la compréhension, la causalité, les concepts, les raisonnements et la dialectique du mouvement, par les statistiques, par un appareillage de modèles dont la fonction est d’imposer une vision et surtout une répétition. La fonction du modèle est d’imposer la répétition, d’extrapoler, de faire en sorte que le passé se reproduise. La fonction du modèle est d’introduire la continuité dans le discontinu du monde et de toujours ressasser le même argument, si on échoue c’est parce que « l’on n’en a pas fait assez ». Le modèle vise à emprisonner la pensée, à la réduire à la linéarité, à justifier les erreurs et à en faire plus. L’intervention de Yellen l’illustre parfaitement: elle se sert de modèles pour faire taire l’intelligence.
Regardez les résultats réels obtenus par leur politique, vous verrez que rien, absolument rien pour un observateur qui viendrait de Sirius ou de Mars n’indique qu’ils ont réussi. Rien n’indique qu’ils aient eu une influence positive sauf le grand mythe qui consiste à dire: « oui mais si on ne l’avait pas fait cela aurait été pire ». Improuvable, bien sur. Ils ont rejeté le réel dans l’obscurité, dans le non-intelligible, ils ont épinglé son surgissement comme aberration statistique, comme cygne noir!
Tout ce qui était absolu est devenu relatif, tout a été disjoint. Nous disons souvent « Ils ont séparé l’ombre du corps » ce qui signifie en clair, que le solide, l’existant, le corps, a été coupé de ce qui n’est que son signe, son ombre, son illusion. S’appliquant à la monnaie et aux actifs financiers, ils ont autonomisé la Valeur. On ne produit plus de la richesse, on produit de la Valeur. Et l’opérateur de la Valeur, ce en quoi toute Valeur s’exprime, c’est la monnaie; c’est la monnaie… et qui a la maitrise de la monnaie… ce sont les banquiers centraux. Qui détient la printing press digitale qui produit la « monnaie digit » qui ne coûte rien mais qui valorise tout? Les Maîtres! Qui croit qu’il peut inflater tout au double en multipliant par deux la quantité de monnaie produite? Le banquier central. Qui dit l’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire? Les Banquiers Centraux! Les constats prouvent le contraire, qu’importe, on continue. En sacrifiant une fois pour toutes ce que l’on appelle le fondamental, en empêchant ce que l’on appelle la réconciliation , les Maîtres ont pris le pouvoir et ils le gardent. Ils le gardent en prolongeant, par la création monétaire, par les achats de titres monétisés, par les taux zéro et autres NIRP. Ils entretiennent la lévitation. Hélas pour eux, ils n’entretiennent que la lévitation de ce qui se gonfle au vent, la lévitation des bulles. Le réel , lui est lourd, pesant, il ne se laisse pas enfler facilement, il résiste. Et c’est le cercle vicieux, l’impuissance concrète, l’absence de résultats conduit à en faire plus, à aller plus loin, jusqu’à ce que les contradictions, les conséquences non voulues, les statues du commandeur se dressent.
La dérégulation avait pour objectif de compenser les mouvements naturels de l’économie, de faire faire au sysème ce qu’il ne faisait pas spontanément, de le forcer à dépasser ses limites. En particulier la dérégulation permet de tout faire sans avoir à choisir, sans avoir à faire de sacrifice ou d’effort; payer le beurre et les canons et les drones. Elle est fondée sur le constat que le crédit permet temporairement de faire des choses que les revenus gagnés et l’épargne ne font pas. La dérégulation est par essence une stimulation artificielle dans le but de pouvoir accentuer et prolonger les déséquilibres qui freinent ou s’opposent à la croissance.
En germe, la dérégulation contient toute la folie des hommes qui se croient les égaux des dieux, elle exprime leur volonté de nier les lois (divines) économiques, voire les lois de la gravitation, de la rareté et donc du vivant. C’est un projet démiurgique. Il s’est complété par un autre projet encore plus fou: la dérégulation fragilise le système , elle accroit considérablement les risques et donc il faut lui opposer une croyance : cette croyance c’est celle que les banquiers centraux peuvent maitriser tous les risques, faire face à toutes les situations. Ils ont à leur disposition le fameux ToolKit, la boite à outils dont nous parle Yellen. La dérégulation en tant que système pour nier les limites a besoin de son corollaire, l’illusion de la toute puissance. Et c’est ce que vient de nous exposer Yellen.
Et c’est pour cela qu’il faut organiser des évènements mondiaux qui mettent en scène cette toute puissance, des évènements comme le Symposium de Jackson Hole.
La toute puissance, cela se met en scène, cela se transforme en spectacle diraient les Situationnistes, cela doit être mis en musique sacrée comme une messe. La prise de pouvoir des banquiers centraux et de leurs complices se donne à voir dans l’évolution de Jackson Hole de la première messe de 1982 à la 35e de cette semaine.
D’abord il y a le choix du lieu du spectacle, majestueux, grandiose, il défie les dieux, tellement c’est beau le Grand Téton. C’est un lieu propre à la révélation des mystères. Le choix du lieu transfère la grandeur divine sur la personne des prophètes et démiurges , sur les Grands Prêtres. Mais ne vous y trompez pas ils ne sont pas grands prêtres d’un dieu qui leur serait extérieur, supérieur, non ils sont Grands Prêtres de cette idéologie qu’ils ont eux même créée. Ils ont mis en pratique les propos sacrilèges de Bakounine: « et si vraiment dieu existait? Il faudrait s’en débarasser! » Ils se sont débarassé du tragique, du destin, de la fatalité, de la Loi. Eux ne s’autorisent que d’eux même, c’est leur parole à eux qui est parole d’Autorité!
Ensuite il y a le symbôle de richesses promises, l’ode à la Valeur, l’ode aux inégalités, Jackson Hole pue le fric, le luxe, le pognon. tout se passe comme si à Jackson Hole on donnait à voir en raccourci le défi à Dieu, le monumental récupéré, les prophètes et le résultat de leur prophétie, le luxe qui ruisselle, qui coule à flots.D’ailleurs les réservations pour les gens normaux ont été annulées dans les hotels! Salauds de pauvres dirait Gabin.
Enfin, il y a la claque, l’assemblée des complices qui partagent un peu de l’Autoirté des Prohètes, les journaliste. Le monde entier est présent par journalistes interposés. En 1982 il n’y avait que quatre journalistes présents, ceux du LA Times, du wall Street Journal, du Washington Post et du New York Times. Ils sont des centaines , chargés de propager la pensée de groupe, le « groupthink ». Tous ne logent pas sur place car les capacités sont limitées, mais ils sont autour, ils ramassent les miettes. Ils font des selfies.
En 1982, il n’y avait que Volcker , les autres gouverneurs de la Fed n’étaient pas là et les autres banquiers centraux non plus. On ne s’attendait à aucune annonce, personne n’était suspendu aux lèvres de Volcker, personne n’attendait l’oracle, la pythie. On savait ou on allait , on connaissait la politique de Volcker; venir à bout de l’inflation, lui briser les reins et rien d’autre. Nulle attente de révélation, nul arbitraire, nul « fine tuning ». Il y avait une ligne, on savait ou on allait. Et c’est tout. La fonction de Volcker était d’éclairer l’avenir, de le baliser, pas de le produire d’un coup de baguette magique. Et puis il y avait des contradicteurs, des vrais débats, toutes les mouches n’étaient pas dans le même bocal ! En particulier, le fameux Tobin, pas du tout d’accord!
En ce temps là, les taux étaient à un peu plus de 10%; vous lisez bien plus de 10%, venant de 19%! Aujourd’hui le taux est de 0,5% et on tremble à l’idée d’y ajouter un quart de point! On prépare les esprits depuis … 2013 à une tentative de normalisation qui n’en sera pas une . Ailleurs, en Eurozone, en Suisse, au Danemark, en Suède, au Japon les taux sont négatifs!
Contrairement aux commentaires de la presse et des observateurs, la réunion de Jackson Hole n’ a pas, accouché d’un souris, elle a posé les bases d’un socle pour l’action future de la banque centrale hégémonique mondiale; ce socle est “dovish”, colombe. Il implique qu’il n’y aura pas de retour en arrière, que la parenthèse ne sera pas refermée. Le bilan de la Fed restera colossal, les taux très bas et au moindre vent contraire, on inflatera à nouveau ce bilan. Compte tenu de la corrélation étroite entre d ‘un coté les indices boursiers et de l’autre la taille du bilan, l’objectif de Yellen, c’est un plateau le plus étalé possible, puis au moindre soufle contraire, un nouveau bond en avant.
Les marchés ne peuvent baisser sévèrement que … si cela va bien.
