Yellen annonce le futur de la Fed, (cela passe quasi inaperçu)

Yellen annonce le futur de la Fed

LUNDI, 29.08.2016
agefi Suisse

Ne trouvant pas signe de ce qu’ils cherchaient, les commentateurs ont raté l’acte de «forward guidance» historique de Yellen à Jackson Hole.

Conrad Bertez

Le discours de Janet Yellen à Jackson Hole de vendredi a apparemment déçu. De nombreux commentateurs s’attendaient à un discours bien plus ancré dans le climat économique et sa faiblesse actuelle. Ils voulaient voir, en particulier, un signe annonciateur d’une hausse ou d’une non-hausse du taux d’intérêt directeur de la Fed. Ils n’en ont pas reçu, et le risque est l’on passe à côté de la véritable importance des propos du chairman de la Reserve Fédérale (Fed).

Comme nous l’avions pressenti dans notre article «Le dilemme de Yellen à Jackson Hole» (L’Agefi du 25 août), Yellen a décidé de se concentrer sur la question des outils dont dispose la banque centrale pour faire face à un avenir incertain. Elle s’est concentrée sur l’efficacité passée, présente, mais surtout future des politiques de la Fed, et pose les fondations analytiques de l’action future de la Reserve Fédérale et des autres banques centrales qui suivent son exemple. C’est un discours de «forward guidance» historique.

Ses propos s’inscrivent exactement dans la ligne des questions que posaient Lawrence Summers et John Williams, le gouverneur de la Fed de San Francisco, dans les jours précédant le sommet des banquiers centraux, c’est-à-dire: la Fed dispose t’elle d’outils qui lui permettront d’intervenir si une récession arrive aux Etats Unis dans les quelques prochaines années? Yellen répond fermement que oui la Fed a les outils.

Dans un bref commentaire sur la situation économique des Etats-Unis, Yellen confirme essentiellement la position de Fischer, le vice-président de la Fed: l’activité économique américaine continue son expansion modérée. Les chiffres de l’emploi sont bons et indiquent que l’on est proche du plein emploi. L’inflation, actuellement à 1,6%, est en dessous des 2% que vise la Fed, mais cela a beaucoup à voir avec des fluctuations temporaires dans le prix de l’énergie et des importations. Elle va continuer d’augmenter et atteindra les objectifs de la Fed. Yellen prévoit que le taux directeur de la Fed, augmentera comme prévu. Les prédictions du Federal Open Market Committee (FOMC) indiquent avec un niveau de confiance de 70%, que  le taux sera entre 0 et 3,25% d’ici la fin de l’année et entre 0 et 4,5% d’ici la fin 2018.

Le reste du discours est centré sur l’évolution des outils dont dispose la Fed. Yellen commence par la préhistoire de la politique monétaire, c’est-à-dire avant 2008. Alors, l’outil d’intervention principal était les opérations du FOMC afin d’influencer le taux d’intérêt auquel les banques se prêtaient entre elles pour maintenir leurs niveaux de réserves a la banque centrale. Comme ces réserves étaient modestes (environ 45 milliards), de petites interventions suffisaient pour occasionner un bon impact, une bonne transmission.

La crise de 2008 à révéler deux grosses faiblesses de cet outil. D’une part, les réserves des banques ayant  fortement augmenté, il est devenu beaucoup plus difficile pour les banquiers centraux de piloter  le taux  des Fed Funds D’autre.part, une fois que le taux est proche de zéro, la marge de manœuvre pour stimuler encore plus l’économie devient très restreinte.

Suite à la crise, l’arsenal de la banque centrale s’est étoffé. Yellen parle de quatre nouveaux outils principaux:

l le pouvoir de payer un intérêt sur les réserves que maintiennent les banques a la Fed (IOER);

l les structures telles que celle de reverse repo a un jour,  permettant d’étendre les facilités monétaires a des acteurs financiers non-bancaires, tels que les money market funds, les broker dealers, etc;

l les achats de titres;

l le «forward guidance», les indications prospectives.

D’après Yellen, ces outils ont bien marché. La faiblesse de la croissance américaine ne provient pas de l’inefficacité de ces outils, mais de vents contraires qu’a subi l’économie américaine. Elle met une emphase particulière sur le fait que, sans l’IOER, la banque centrale aurait été beaucoup plus réticente à acheter des titres, car il aurait été beaucoup plus difficile de réduire le niveau de stimulus.. Si le bilan chute trop vite, les marchés et l’économie s’en retrouvent déstabilisés. A l’inverse, si la normalisation se fait trop lentement, les pressions inflationnaires augmentent. Avec l’IOER, la Fed peut influencer les taux à court terme, et réduire le niveau de stimulus, graduellement, et seulement plus tard cesser de réinvestir les revenus sur ses titres, et éventuellement alléger à nouveau son bilan.

Yellen s’attend à ce que l’IOER reste un outil important, même après un retour à la normale, car la banque centrale pourrait avoir besoin, dans un avenir proche, de faire grossir son bilan à nouveau pour contrer  une récession. Elle a besoin de cet outil supplémentaire car le taux directeur de la Fed est bas, et même à long terme, l’on s’attend à ce qu’il reste autour de 3%, plutôt que la norme historique des 7%.  Difficile alors de stimuler l’économie en réduisant les taux de 5,5% comme d’habitude. Ici, Yellen adresse les remarques de Summers et Williams. Ces derniers  craignent qu’une chute du taux d’intérêt «neutre», le taux auquel la politique de la Fed n’accélère ni le ralentit la croissance, ait eu lieu depuis la crise de 2008. Cette chute  réduit ou réduirait de façon durable la capacité du FOMC à intervenir au secours de l’économie.

Cette position est néanmoins basée sur des études et simulations dans laquelle le taux directeur de la Fed est autour de 3%, et non de 0,5%. Comme l’avoue Yellen, «the simulation analysis certainly overstates the FOMC’s current ability to respond to a recession», les simulations surévaluent certainement la capacité actuelle du FOMC à répondre à une récession.

Elle assure que la Fed n’est pas pour autant démunie d’outils en cas de problème à court terme. C’est juste qu’ils seront «quelque peu moins efficaces». En fait, les simulations dont parle la chairman prédisent que ces outils seraient effectivement beaucoup moins efficaces: à 3%, la Fed devrait réduire les taux à zéro et acheter des titres à hauteur de 2 trillions. A 2%, passant les taux à zéro, elle devrait augmenter son bilan de 4 trillions cette fois.

Pas étonnant, alors, que Yellen cherche à rassurer sur l’importance et l’efficacité de ses autres instruments. Elle évoque les  autres outils que les banques centrales du monde ont exploré, tout en indiquant que ces outils ne sont pas, pour le moment, sur la table. Pas d’achats d’actions ou de taux négatifs pour le moment, donc.

Ce qui est le plus important pour Yellen, ce qu’elle craint, c’est que l’on oublie  la croissance. Pour elle un retour à une politique de croissance est essentiel.

La meilleure solution pour les Etats-Unis serait un retour à une croissance plus vigoureuse. Pour cela, il faudrait une reprise de l’augmentation de la productivité, ce qui nécessite un retour à l’investissement, à la recherche, et à l’amélioration de l’éducation.

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