La hausse des taux longs et la révolution copernicienne

La hausse des taux longs et la révolution copernicienne

MARDI, 01.11.2016
Agefi Suisse

Les banquiers centraux sont en train de tourner la page de leur monétarisme non conventionnel en essayant de sauver la face.

Bruno Bertez

La hausse des taux longs, chute des fonds d’Etat et des obligations, sont des phénomènes mondiaux, globaux. Les pertes commencent à être énormes pour les portefeuilles. En particulier, pour les «durations» longues. Le rendement des Treasuries Note à 10 ans est passé de 1,32% en début Juillet à 1,86% en fin de semaine dernière. En quatre semaines, le rendement du 30 ans US à monté de 30 pbs à 2,62%. La semaine écoulée a été une semaine de véritable déroute mondiale pour les valeurs à revenu fixe, bonds, fonds d’état, dette hypothécaire (mortga ge backed debt): selon l’Aggregate Bond Index compilé par Bloomberg-Barclays la chute de l’index a été de 2,9%! La dernière fois que les Bonds ont subit pareille baisse était en Mai 2013 quand Bernanke a suggéré que la Fed pourrait ralentir ses achats de titres à long terme.

Le mouvement a été généralisé, cette semaine, les rendements des Bunds allemands ont fait un bond de 16 points de base, les rendements des OAT françaises ont monté de 17 pbs, les italiens de 21 pbs ce qui les met à un plus haut de 1,58%. Sur un mois, la hausse des rendements allemands et français est de 31 pbs, elle est 33 pbs sur les emprunts espagnols. La tension est mondiale avec des hausses de 43 pbs en Australie par exemple. Seuls y échappent, les bonds chinois qui sont à un plus bas record à 2,60%, mais le spead de risque, le swap à 1 ans est à un record de 18 mois, à 2,73%.

Il faut noter que la hausse des taux longs sur les emprunts souverains n’a pas provoqué de panique sur les autres segments du marché, comme les Corporate et le High Yield, on est resté ordonné, voire mieux tenu. Il n’y a pas de dilatation anormale sur les spreads de risque, ce qui tend à prouver que la déroute est fondamentale, c’est un renchérissement du coût des dettes, pas une anticipation économique  ou un aléa technique. Nous dirions un renchérissement «policy driven», c’est à dire lié à la politique monétaire.

Les observateurs ne sont pas d’accord sur les facteurs qui ont provoqué cette forte hausse des taux en particulier, des taux souverains. Ils font remarquer que les achats de titres à long terme, les QE continuent au rythme de 2 trillions de dollars par an; d’autres pensent plutôt comme nous que les banquiers centraux ont pris conscience des risques des QE et des taux nuls ou négatifs pour le système alors que les bénéfices de ces politiques non conventionnelles sont soit nuls, soit décroissants.

Nous vous renvoyons à nos articles qui conseillaient la vente de ces véhicules de taux, comme «Le nouveau Big Short» et «La fin d’une politique aventureuse».  C’est un changement de paradigme, pas une péripétie technique.

Nous rappelons les raisons de notre conseil de «short» de Juin/Juillet, renouvelés dans tous nos articles qui ont suivi:

l prise de conscience de l’échec des politiques monétaires non conventionnelles;

l prise de conscience de la destruction des modèles d’exploitation des banques et des assurances;

l remise en cause des fondements des analyses monétaristes;

l nécessité de sortir des politiques de taux zéro et NIRP;

l remise en cause des statuquos inégalitaires par les mouvements populistes;

l exploration des politiques d’helicopter money et de stimulation fiscale;

l redressement des anticipations d’inflation partout;

l tensions sur le funding et l’«eurodollar» dangereux pour la stabilité.

Si cela se poursuit, au-delà d’un certain seuil, ce sera la dégelée sur les actions.

Nous avons cité, pour montrer l’importance du phénomène, Ray Dalio de Bridgewater: «Il suffirait d’une hausse de 100 points de base sur le rendement des valeurs du Trésor américain pour précipiter la pire chute de cours des bonds, (obligations, valeurs à revenu fixe) depuis le krach obligataire de 1981. Et comme les taux de rendement des valeurs du Trésor sont à la base de la valorisation de tous les actifs financiers, pareille hausse les ferait chuter tous, beaucoup plus bas.»

On sait maintenant, à peu près avec certitude, que les autorités ont pris la mesure de l’échec des taux zéros, des NIRP et des QE en général, si ce n’est de l’échec du monétarisme dans son ensemble: depuis le début juillet, plus rien n’est comme avant, il y a eu une  cassure. Et la cassure est assez nette pour confirmer le diagnostic.

Nous pensons  que ceci coïncide avec la reconnaissance par les Japonais, précurseurs, de l’échec de leur QQE et de leur volonté d’explorer d’autres voies. Cette reconnaissance se fait lentement ailleurs, mais elle est en route et elle est positive pour le secteur bancaire. D’ailleurs, la reprise boursière du secteur bancaire mondial coïncide avec le mouvement de remontée des taux.

Nous reviendrons sur cette question lorsqu’elle sera plus claire, y compris plus claire dans notre esprit! Il y a un changement discret, secret, mais fondamental dans l’analyse et les positions des banquiers centraux et des économistes orthodoxes. Ils sont en train de tourner la page de leur monétarisme  non conventionnel  en essayant de sauver la face et de conserver leurs postes.

Le premier indice a été fourni par la relation de la rencontre entre Krugman et les Japonais (note 1), il y a quelques mois, en Mars. Le compte rendu indique que des analyses nouvelles pointent, on se rapproche d’une meilleure vision de la réalité. Et surtout on reconnait que, derrière la multiplication des situations particulières, il y a quelque chose de commun et c’est un progrès considérable.

Le progrès consiste à enfin comprendre… que, jusqu’à présent, on n’a rien compris à ce qu’était la monnaie dans le monde moderne et que les QE ne sont pas de la monnaie et encore moins du money printing.

Une autre déclaration récente du vice-président de la Fed Stanley Fischer va dans le même sens puisqu’au lieu de considérer que les taux bas sont un stimulant, il reconnait que c’est en réalité un symptôme des anticipations de croissance lente. Bref, c’est parce qu’on ne croit pas à l’efficacité de la politique monétaire non conventionnelle que les taux sont bas.  Si ce n’est plus un stimulant, mais un symptôme, on change de conception, voire de paradigme.

On reprend le fil là où Greenspan l’avait laissé en 2000: «je dois avouer que nous ne savons plus très bien ce qu’est la monnaie à notre époque de multiplication des innovations et de l’internationalisation». Traduction approximative (voir plus bas en note 2 la citation complète non traduite.)

Le coup de grâce a été donné par cette déclaration de Richard Fisher sur CNBC, ancien de la Fed de Dallas. Elle est éclairante et elle va dans notre sens.

Selon le compte-rendu, Richard Fisher dit: «nous n’avons rien compris, nous n’avons pas anticipé l’ampleur des conséquences de la politique d’aisance monétaire sur le secteur financier»!… «Les marges bénéficiaires des banques sur intérêt ont été écrasées, les Money Market Funds essaient de survivre en essayant de presser (squeezer) le moindre petit rendement. C’est le genre de chose, pour être honnête, que nous, assis à la table, au FOMC, n’avions pas prévu». Diable, quel aveu. Il est copernicien.

Note 1: https://www.gc.cuny.edu/

CUNY_GC/media/LISCenter/pkrugman/Meeting-minutes-Krugman.pdf

Note 2: Greenspan, en 2000, avait tout compris, en particulier que les autorités ne comprenaient rien à la monnaie! «The problem is that we cannot extract from our statistical database what is true money conceptually, either in the transactions mode or the store-of-value mode. One of the reasons, obviously, is that the proliferation of products has been so extraordinary that the true underlying mix of money in our money and near money data is continuously changing. As a consequence, while of necessity it must be the case at the end of the day that inflation has to be a monetary phenomenon, a decision to base policy on measures of money presupposes that we can locate money. And that has become an increasingly dubious proposition.»

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