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Explosion des liquidités: quelle sera au juste la voie de sortie?

 

agefi Suisse

MARDI, 08.11.2016

450 milliards de francs sont détenus en comptes à la Banque nationale. Comment gérer cette situation si atypique?

Jean-Pierre Roth*

Les caractères gras sont de BB

Les chiffres sont impressionnants. Avant le déclenchement de la crise financière, il y a près de 10 ans, les liquidités des établissements financiers détenues en comptes à la Banque nationale suisse (BNS) s’élevaient à 6 milliards de francs environ. Depuis lors elles ont explosé pour atteindre le montant – inimaginable à l’époque – de 450 milliards!

Parallèlement, la masse monétaire M0, dont la croissance était tenue étroitement sous contrôle par la BNS durant de nombreuses années passait de 45 à plus de 500 milliards de francs. L’environnement ainsi créé aurait pu être considéré, par le passé, comme dangereusement inflationniste même par les économistes les moins orthodoxes.

Manifestement, nous vivons une situation atypique, ce qui signifie qu’une certaine normalisation devra intervenir un jour ou l’autre. Qu’est-ce qui déclenchera le reflux des liquidités? Quels seront les signes annonciateurs? Comment la BNS pourra-t-elle gérer la situation?

Pour imaginer un scénario de sortie de crise, il faut se rappeler que l’expansion débridée des liquidités fut la conséquence directe de l’évaporation de la confiance entre établissements financiers lorsque éclata la crise financière. Devenues méfiantes, les banques ne prêtaient plus leurs liquidités et cherchaient à en accumuler autant que possible pour inspirer confiance, ce qui conduisit très rapidement à un assèchement du marché. Confrontées au risque d’une crise de liquidité, les banques centrales – la BNS également – adoptèrent une stratégie fort simple: injecter autant de liquidités que demandées, et même plus pour forcer les taux d’intérêt à tomber au niveau le plus bas.

 C’est l’absence de confiance entre les acteurs du marché qui a créé la situation dans laquelle nous nous trouvons, ce n’est donc qu’un retour de la confiance qui pourra, un jour, la corriger. Ce retour de la confiance n’est pas encore perceptible comme le mon-trent les cours bousiers des valeurs bancaires, toujours sous pression, ainsi que le débat toujours vif sur la capitalisation insuffisante de certains établissements.  

Mais il n’est pas exclu que, l’assainissement des bilans bancaires portant leurs fruits, l’horizon s’éclaircisse à moyen terme. Deux facteurs indiqueront ce renversement: un retour en faveur des valeurs bancaires en bourse  et une tendance des banques à vouloir abaisser leurs liquidités – jugées alors excédentaires – par une accélération du crédit.

Cet état de «surliquidité» du marché indiquera aux banques centrales que la phase de normalisation a débuté; elles veilleront alors à organiser un reflux ordonné des liquidités afin de contenir de possibles risques inflationnistes. Idéalement leur bilan, qui n’avait cessé de se dilater durant la crise financière, devrait se contracter progressivement. Il faudrait qu’elles vendent des actifs (devises, obligations) après en avoir tant acquis au travers des opérations de quantitative easing des années précédentes. Mais ce ne sera pas si simple!

Pour la BCE, qui a acheté massivement des obligations d’Etat durant la crise, il sera difficile d’en écouler sur le marché sans provoquer une détérioration des conditions de financement du secteur public, avec les réactions politiques que l’on peut aisément imaginer. Pour la BNS, on voit difficilement comment elle pourrait vendre de l’euro ou du dollar alors que le franc reste «fort» pour l’industrie d’exportation.

La vente d’actifs pour éponger les liquidités excédentaires sera donc un exercice difficile, voire peu praticable. Quel chemin la normalisation du marché pourra-t-elle prendre? En Suisse, la banque nationale n’aura pas d’autre moyen que l’émission d’obligations qu’elle placera sur le marché en échange de liquidités. La structure du passif de son bilan évoluera: les liquidités des établissements financiers reculeront alors que l’endettement obligataire de la BNS augmentera.

Le total de son bilan restera ainsi inchangé, seule sa capacité bénéficiaire sera affectée puisque des dépôts à vue non rémunérés seront remplacés par une dette obligataire ayant charge d’intérêt. Mais ceci n’est qu’un détail: la BNS sera en mesure  de maîtriser le reflux des liquidités lorsque le moment sera venu. – (JPR)

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* Président de la Banque cantonale de Genève (BCGE). Ancien Président de la BNS

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