La Fed peut détruire les trumponomics…comme elle a detruit dans les années 70 le Rockefeller Republicanism.

La Fed peut détruire les trumponomics…comme elle a detruit dans les années 70 le Rockefeller Republicanism.

LUNDI, 05.12.2016
Agefi Suisse

Une faille béante s’est ouverte sous les pieds des gouverneurs de la banque centrale US depuis l’élection de Trump: leurs politiques sont antagoniques.

Bruno Bertez

La bulle mondiale est percée. Elle a été colmatée en février 2016, le regain des anticipations inflationnistes et la hausse des taux peuvent la déchirer.

Nous avons soutenu en 2015 et début 2016 que la bulle mondiale était percée. Nous maintenons ce diagnostic. Nous l’avons soutenu à deux reprises, en aout 2015 et en février 2016. Nous pensons que si la Fed ne réagit pas rapidement, si elle n’envoie pas un signal clair, la bulle mère de toutes les bulles, la bulle des fonds d’Etat peut se déchirer.

Nous avons défendu l’idée d’un début d’éclatement de la bulle dès l’an dernier. Au vu de l’évolution des marchés et grâce à l’analyse serrée des déclarations des autorités, nous avons considéré qu’une sorte de consensus reflationniste s’était formé après l’accident de février 2016, et nous l’avons désigné sous le nom de «consensus de Shanghai».

Consensus et non pas accord pour marquer le caractère informel, objectif, de la convergence qui s’est manifestée à cette époque. Il ne s’agissait pas de solidarité mais d’intérêt bien compris de chacun des participants au consensus.

Il faut noter que l’élément important a été le ralliement de la Chine à la ligne et à la pratique des pays développés, matérialisé par d’une part une colossale reflation du crédit intérieur et d’autre part des engagements sur le maintien d’un marché ordonné sur le yuan. Les Chinois ont promis un pilotage très prudent, graduel, contrôlé de leur change. La politique chinoise a été rendue possible par la mobilisation des réserves (ventes de Treasuries) et des opérations à terme complexes afin de pallier à la rareté du dollar et de satisfaire les demandes de dollars du système domestique et international chinois. Ce choix a par ailleurs permis de neutraliser l’effet des fuites de capitaux des élites. La mobilisation des réserves des créanciers des USA à été un élément clef, facteur de stabilité ou de glissade contrôlée au cours de la période.

D’autres actions complémentaires ont été entreprises, dont l’une des moindres n’est pas la stabilisation puis la remontée des cours du brut, élément central du dispositif global. La stabilisation du pétrole résulte non d’un accord économique, mais d’un marchandage géopolitique dont on voit les émergences comme l’apaisement des tensions avec la Russie, la réintégration balbutiante de l’Iran dans le jeu international, la quasi-liquidation en cours du conflit Syrien, le basculement des alliances turques etc. On le saura plus tard, mais à un moment donné, il y a eu prise de conscience de la nécessité de stopper l’escalade des affrontements et de revenir à un monde plus apaisé. Le fait qu’Obama ait maintenu sa position, contre les néocons, de ne pas aller plus loin avec des envois de troupes en Syrie a été un facteur prédominant.

Donc nous avons eu depuis, ou plutôt à partir de, février, envers et contre tout, un épisode de reflation bien mené car appliqué là ou il le fallait, c’est à dire sur les variables clefs et non plus sur la seule liquidité.

Bien entendu la liquidité globale a été maintenue grâce aux 2 trillions de QE en cours, mais on a:

l stabilisé le dollar, ou;

l empêché sa hausse, déflationniste et restrictive de la liquidité globale;

l stabilisé puis fait remonter le pétrole;

l emballé les matières premières: la fantastique création de crédit chinoise a déclenché une spéculation effrénée à la hausse sur les commodities, ce qui a complété la reflation.

Puis on a traité l’autre grand problème: la destruction du business modèle des banques, des assurances et des fonds de pension, c’est-à-dire que l’on s’est attelé à faire monter les taux longs. On l’a fait très habilement, ce qui conforte notre admiration pour les capacités de gestion à court terme des autorités mondiales. Nous précisons gestion de court terme, car dans une perspective de long terme, elles nous conduisent à la catastrophe. Les taux ultra bas détruisent les spreads, laminent les marges bénéficiaires du système financier, il faut, il fallait stopper la destruction. Les craquements de la Deustche Bank en ont été le signal. A la faveur de l’inefficacité des marchés lors du vote Brexit, les marchés de taux sont devenus mûrs pour un retournement. La Bank of Japan a donné le coup de pouce nécessaire en déclarant vouloir rendre plus pentue la courbe des taux longs, c’est à dire piloter une remontée des taux de long terme.

Nous avons dès lors entrevu, fin juin, début juillet cette perspective de remontée des taux longs et de chute des cours des obligations et fonds d’état et nous avons, ce qui est rare, conseillé de «shorter et de liquider les portefeuilles obligataires» (lire L’Agefi du 11 juillet 2016). Les élites allemandes sont venues prêter main-forte à la remontée des taux longs en pilonnant contre Draghi et surtout en «balançant» à Reuters, par une source non identifiée mais autorisée, l’idée d’un prochain Taper du QE de la BCE.

Ce qui est frappant, c’est que tout ceci est intervenu alors qu’en fin d’année 2015 et début 2016, les institutions internationales comme le FMI ou l’OCDE étaient pessimistes. Elles ne parlaient que des risques de poursuite du ralentissement de la croissance, de la chute du commerce mondial, des risques de dislocation et autres balivernes. C’est au plus noir que la remontée, sans tambour ni trompette, s’est dessinée! Certes les institutions internationales ont raison sous un certain angle, celui de l’activité réelle et sur celui de l’évolution calamiteuse du commerce international, mais ce sont des indicateurs «retard», le réel est plus lourd que les marchés, on le sait. Les marchés, eux, sont passé en mode optimiste, rose tandis que les institutions globalistes, elles, restaient le nez collé sur le quotidien, tout noir.

En fait si on prend bien soin de ne considérer, comme nous le faisons, que la période de reflation dite du consensus de Shanghai tout a «boumé» de février à novembre: les actions des pays développés, les actions des émergents, les obligations des émergents, les monnaies des émergents, les commodities, le pétrole; tout a boumé de l’Asie à l’Europe et à l’Amérique latine. C’est pour nous la confirmation de la validité de nos hypothèses; la bulle mondiale a bel et bien crevé dans sa partie la plus faible, les émergents et la Chine et la politique des autorités a visé à contrôler l’éclatement de cette bulle, à faire en sorte que ce soit gérable et que les conséquences soient contenues. Comme nous le disons souvent, le remède, la reflation de Shanghai, révèle le mal, la bulle mondiale percée qui a tendance à laisser passer de l’air. La plaque donne à voir le trou qu’elle recouvre. Le pansement indique la blessure.

Mais le plus important n’est pas là. N’oubliez pas qu’en début 2016 la confiance, la crédibilité des banques centrales était au plus bas! Nous étions proches de la catastrophe, et cela risquait de les paralyser, de les mettre hors jeu. Situation particulièrement grave avec la question de la normalisation impérative de la politique monétaire américaine toujours pendante. Faute de crédibilité restaurée, impossible de tenter une normalisation/hausse des taux. Le grand miracle de cette période de février à novembre, c’est cela: la remise en selle des banques centrales. Leur crédibilité et donc leur capacité manœuvrière sont restaurées. Cela ne veut pas dire qu’elles mènent des politiques efficaces, raisonnables, non. Cela veut dire qu’elles sont habiles dans le registre qu’elles ont choisi, habiles dans cette voie activiste qui, au contraire, débouchera sur la catastrophe. Cela veut dire qu’elles ont la latitude pour continuer leurs actions néfastes.

Une nouvelle phase, vient de commencer. Une faille béante s’est ouverte sous les pieds des gouverneurs de la Fed depuis l’élection de Trump: les deux politiques, celles de Trump et de la Fed sont antagoniques.

Dès les jours qui ont suivi l’élection, une situation nouvelle s’est imposée: on est sorti de la propagande de la croissance séculaire faible, de la stagnation déflationniste, et les anticipations inflationnistes se sont réveillées. On a connu un «sell off», des ventes de panique sur les obligations et fonds d’état. Le dollar a échappé au contrôle, il a franchi un seuil symbolique.

Les deux politiques, celle des Trumponomics et celles de la Fed sont antagoniques historiquement, fondamentalement, philosophiquement. La Fed veut piloter l’inflation quand elle la juge insuffisante, mais elle ne veut pas la subir, elle ne veut pas que l’inflation s’impose comme une donnée qui risque de lui échapper.

Et c’est la même chose avec les taux d’intérêt. Et c’est la même chose avec le marché des actions, elle veut qu’il soit stable, ordonné, elle ne peut tolérer qu’il soit exubérant et que les «animal spirits» se réveillent. Nous y reviendrons en détail.

Depuis que la Fed s’est ralliée aux thèses Friedmaniennes et qu’elle conduit sa politique par les taux, elle est obligée de gérer de façon préemptive. Comme on s’en doute, les gouverneurs ne se sont pas exprimés directement, ils ont peur des rétorsions, non, c’est par le patron de la Bank of England, par Carney interposé, qu’ils ont lancé un avertissement. Celui ci a attiré l’attention sur la forte hausse des taux d’intérêt sur le marché américain depuis la victoire de Trump, «elle peut être un précurseur à un brutal mouvement de hausse des coûts d’emprunt des gouvernements du monde entier, ce qui serait très déstabilisant». Et la BoE de surenchérir des fois que l’on n’aurait pas compris: «La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle a augmenté les menaces de hausse des taux qui pèseraient sur l’économie mondiale et le commerce international».

La question des taux nous parait centrale, comme le dit un observateur, «la Fed détient la bombe atomique qui peut faire sauter les Trumponomics». Bannon, l’un des conseillers les plus en vue de Trump n’a-t-il pas déclaré; «notre programme de grands travaux d’infrastructure est tout à fait opportun et faisable dans le contexte des taux d’intérêt très bas dont nous bénéficions». Le nouveau secrétaire au Trésor est moins persuadé que Trump et Bannon de la poursuite des taux bas. Il vient de chez Goldman ‘il y a 15 ans) et sait de quoi il parle. Steven Mnuchin vient de déclarer qu’il souhaite explorer la possibilité d’émettre de la dette à maturité supérieure à 30 ans afin d’amortir les effets de la hausse des taux qu’il juge inéluctable: Il va falloir faire face à ce vent contraire!

La politique dite des Trumponomics est inflationniste, cela ne fait aucun doute, même si cela semble bizarre de parler de risque d’inflation alors qu’hier encore on était engagé dans une lutte contre la déflation! On passe brutalement de la peur de la déflation aux anticipations inflationnistes. Le dispositif de réglage en place est antidéflation, et il n’a pas encore eu le temps d’être modifié. Le chômage est sous les 5%, les salaires sont encore comprimés, mais ils commencent à frémir. Le personnel qualifié est déjà rare, c’est lui qui va être sollicité. En même temps, Trump prétend revenir en arrière sur les échanges avec la Chine et sur le Nafta, ce sont ses bêtes noires. Or la Chine et le Nafta sont les grands facteurs de long terme qui ont permis la désinflation américaine.

En face de Trump, il y a la Fed, qui depuis le début des années 80 professe une doctrine dite d’«opportunistic desinflation». Selon cette doctrine, la Fed doit resserrer de façon préemptive dans les phases de reprises économiques, bien avant que l’inflation ne se manifeste, elle doit resserrer sur la base des indicateurs avancés, d’au moins 12 mois à 18 mois.

En Prime 

Trump et Fed: le cocktail pour un dollar fort

La hausse du dollar devrait se poursuivre l’année prochaine avec les anticipations de relèvement rapide des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine si le président élu Donald Trump met en oeuvre le programme de relance budgétaire massive qu’il a promis, montre une enquête de Reuters.

La plupart des 65 responsables de stratégies sur les changes interrogés cette semaine ont dit que leurs prévisions d’appréciation du dollar contre les principales autres grandes devises étaient affectées d’un biais haussier. Ils attribuent une probabilité d’un tiers à l’hypothèse d’une baisse de l’euro jusqu’à la parité avec le dollar, voire en dessous.

Le dollar «continue de régner en maître avec les paris sur l’amélioration de la croissance et les perspectives d’inflation aux Etats-Unis après la victoire de Trump», a dit Valentin Marinov, de CA-CIB. «Les investisseurs continuent d’ajuster leurs anticipations de hausse des taux à long terme, anticipant un cycle de durcissement monétaire plus agressif.»

Au cours du mois qui a précédé l’élection présidentielle américaine du 8 novembre, la plupart des responsables de stratégies changes interrogés par Reuters anticipaient un repli de 2% à 3% du dollar en cas de victoire de Trump. Mais le billet vert s’est en fait apprécié de près de 4% pour se rapprocher d’un pic de 14 ans la semaine dernière alors qu’à la veille du scrutin, il était en repli d’environ 1% par rapport à ses niveaux du début de l’année.

La perspective d’une accélération de l’inflation alimentée par de possibles baisses d’impôts, des dépenses d’infrastructure et la déréglementation de certains secteurs d’activité a aussi entraîné une brusque hausse des taux à long terme.

La médiane des prévisions d’évolution de l’indice du dollar contre un panier de six autres devises majeures correspond à une appréciation de 2% supplémentaires d’ici à la fin de l’année prochaine après un bond de près de 40% au cours des cinq dernières années.

Sur les 52 professionnels qui ont répondu à une question sur le biais éventuel de leur prévision, 38 ont dit qu’il était haussier; les 14 autres ont cité, pour justifier un biais baissier, les craintes d’éventuelles mesures protectionnistes et l’effet défavorable de l’appréciation de la devise sur les exportations et l’économie américaine dans son ensemble.

«De nouveaux gains soutenus dépendront des données sur l’économie américaine et de la volonté de la Fed de tolérer un durcissement constant des conditions financières», a toutefois prévenu Valentin Marinov.n

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