Au plan économique et financier, mes écrits sont de deux ordres. Quelque fois ils sont fondamentaux, ce qui veut dire qu’ils concernent le fond des choses, le structurel, les invariants, le long terme. Quelquefois ils sont gestionnaires, ce qui veut dire qu’ils concernent le court et moyen terme, posant comme principe, sans le critiquer l’état actuel du monde. L’un est animé par l’esprit critique, l’autre par le souci de gérer et de s’adapter. C’est un va et vient quasi continu de l’un à l’autre.
La fin d’année et l’année nouvelle sont des périodes de réflexion et de vision, en ces temps , le souci du long terme prédomine. Nous avons produit un texte qui s’inscrit dans cette perspective il y a quelques jours, en forme d’éditorial, intitulé: »Les illusions actuelles ont pour prix votre paupérisation future ». Ce texte va à la racine de la politique menée depuis 2008 et il en extraie la logique profonde qui est de « turbocharger » le présent au détriment du futur. Tout est résumé par la formule de l’échange dit de Fischer « vous promettez aux gens de leur échanger un Wimpy de demain contre deux Wimpy aujourd’hui ».
La politique menée depuis 2008 , même sous l’aspect « turbocharge », c’est à dire pillage du futur au profit du présent, est un échec. Même pire, elle n’a pas réussi à créer l’illusion d’une réussite. Il y en a beaucoup de preuves, mais deux au moins sont éclatantes. La première est la dislocation de nos sociétés qui prend la forme de la contestation des élites. La seconde est la confusion dans laquelle se trouve la pensée des autorités, des économistes et des gouvernements: ils ne savent plus à quel saint se vouer. La multiplicité des mensonges serait elle aussi un signe, mais la distinction entre le vrai et le faux est tellement brouillée , que l’on ne peut s’appuyer sur cette preuve, elle ne convainc plus. La confiance, la crédibilité ont disparu.Ni la parole ni l’écrit, à notre époque, ne sont d’or.
Notre idée est qu’il faut sans cesse, en ces périodes , comme dans les périodes de guerre, qui sont très comparables, il faut sans cesse pour faire passer un message multiplier les angles d’attaque, les points de vue , les comparaisons, les références. Il faut à la fois démystifier, donner à voir et réfléchir et fournir des gages d’autorité.
L’un des arguments des élites afin de refuser de reconnaître leur échec consiste à dénigrer les critiques, à les dévaloriser en prétendant qu’elles émanent d’opposants malintentionnés, voire extrémistes. Faute de pouvoir contester la valeur et la justesse de ces critiques, les élites salissent leurs auteurs, elles les démonisent. Le procédé est classique, mais il fonctionne.
Il est plus difficile à utiliser lorsque les critiques sont des gens « bien », des gens respectables qui viennent des rangs de l’establishment. C’est pour cela que nous disons régulièrement qu’il faut lire les mémoires de « ceux qui ont été aux affaires », « les ex-ceci et les ex-cela » eux au moins disent une part de vérité. Ils lèvent un coin du voile.
Lord Robert Skidelsky est le biographe de Jonh Maynard Keynes. Il fait autorité, sa parole est une parole d’autorité. (Robert Skidelsky, Professor Emeritus of Political Economy at Warwick University and a fellow of the British Academy in history and economics, is a member of the British House of Lords. The author of a three-volume biography of John Maynard Keynes).
Lord Skidelsky vient de produire un article fracassant par l’intermédiaire de Project Syndicate en date de 23 décembre. Nous sommes entre élites, pas dans la presse grand public ou la télévision. Encore moins dans les voeux de fin d’année des politiciens devant leur cour.
La première phrase de son article se lit comme suit: « Soyons honnêtes, personne ne sait ce qui se passe dans le monde économique aujourd’hui ». « Let’us be honest no one knows what is happening in the world economy to day ».
L’injonction « soyons honnêtes » donne toute sa valeur à la suite venant dune sommité comme Skidelsky: personne n’est honnête, on dissimule, ou pire on ment. La vérité est cachée, réservée à une élite, très concentrée, restreinte et cette élite forme un groupe, un « nous » , Lord Skidelsky s’adresse à ses pairs: « Soyons ».
Lord Skidelsky ne débat pas des opinions, des remèdes, lesquels sont soumis aux idéologies partisanes, non il parle simplement du constat, ce qui n’est pas sujet à caution ou critique: « on ne sait pas ce qui se passe ». Il s’adresse à ses pairs et les place devant une évidence en les invitant à changer d’attitude, en les invitant à être honnêtes.
“Let’s be honest: no one knows what is happening in the world economy today. Recovery from the collapse of 2008 has been unexpectedly slow. Are we on the road to full health or mired in “secular stagnation”? Is globalization coming or going?” « Soyons honnêtes, personne ne sait ce qui se passe dans le monde de l’économie aujourd’hui. La reprise depuis l’effondrement de 2008 a été incroyablement lente. Sommes nous sur la route du retour à la pleine santé? Ou prisonniers d’une stagnation séculaire? Est ce que la globalisation est en route ou est ce qu’elle s’en va?
« Policymakers don’t know what to do. They press the usual (and unusual) levers and nothing happens. Quantitative easing was supposed to bring inflation “back to target.” It didn’t. Fiscal contraction was supposed to restore confidence. It didn’t. » Les autorités responsables de la conduite des affaires ne savent plus que faire. Elles actionnent les leviers conventionnels et ceux qui le sont moins, et il ne se passe rien. Les Quantitative Easing étaient supposés produire de l’inflation au niveau désiré , ils ne l’ont pas fait. Les rééquilibrages fiscaux (l’austérité) étaient censés ramener la confiance, ils ne l’ont pas fait « .
Skidelsky aborde le fond des choses, la base de la base, celle qui est apparue dès 2008 et que nous n’avons cessé de mettre en évidence: la science économique est fausse. Elle ne rend pas compte de la réalité, elle est une idéologie au service d’une classe sociale nouvelle que nous pointons comme kleptocrate. La classe kleptocratique, celle qui se nourrit de la financiarisation/financialisation et de l’accaparement du bien commun, la monnaie.
La fausseté est révélée dès 2008 : comment se fait il que les gens les plus diplômés, les plus informés n’aient pas vu venir la crise; et ensuite comment ont ils pu dire qu’elle était maîtrisée et enfin comment ont ils pu se tromper autant sur les remèdes en aggravant le mal? Comment n’ont ils rien vu venir, comment ont ils fait un si mauvais diagnostic, comment ont ils choisi les mauvais remèdes et maintenant comment se fait-il qu’ils se trompent et nous trompent sur les résultats?
En 2008, la Reine rendant visite à l’Institution économique la plus prestigieuse , la London School of Economics a demandé: comment avez vous pu rater cela? Il lui a été répondu; nous ne savons pas pourquoi … nous ne savons pas! Si on sait, cela crève les yeux, on sait mais on ne veut pas savoir car ce serait ruiner des intérêts qui ne veulent pas être mis au grand jour. Les mensonges sont toujours enracinés dans des intérêts. La pensée économique s’est détournée de la réalité, de ce que l’on voit, de ce que l’on entend, elle s’est repliée sur la glose, sur l’exégèse. Elle tourne en rond sur l’analyse truquée de ce qui s’est passé dans les années 30.
En 2008, on aurait du ouvrir les portes, mettre en place un grand chantier et donner un grand coup de balai, au lieu de cela on a donné le pouvoir à un Bernanke dont on savait que les portes, il allait les fermer, le couvercle, il allait le clouer sur le cercueil. Par l’inondation monétaire, par la fuite en avant, par la dilution, par le verbiage des « guidances ».
Skidelsky considère, comme nous, que la science économique n’en est pas une, mais nous allons plus loin, nous affirmons que c’est une pseudo science dont la fonction est de légitimer un (dés)ordre établi.
La pensée économique a disparu, remplacée par les mathématiques et les jongleries avec des modèles dont la fonction idéologique systémique est de reproduire le passé en faisant semblant de croire qu’il s’agit de lois, de nécessités. Les modèles n’ont aucun autre sens que celui ci: reproduire au profit de classes de gens, de groupes sociaux dominants. Les modèles projettent de l’idéologie, injectent l’idéologie dans le réel. L’économie a abandonné la question de la compréhension des choses, le projet de comprendre comment elles marchent ou devraient marcher. L’économie est au service des intérêts menacés d’une catégorie de gens et d’institutions, voila la réalité qui explique son échec. Paul Romer le chef économiste de la Banque Mondiale ne dit pas autre chose, à mots couverts bien sûr.
Le discours de l’économie c’est l’apologie, le maintien d’un ordre dépassé , qui a fait son temps. L’ordre « du capitalisme monopolistique de gouvernement et banque centrales réunis ».
Derrière les pseudo sciences, derrière les idéologies, ce qui se dissimule, c’est toujours le pouvoir, dont celui de faire prendre les vessies pour les lanternes.
Bonjour M BERTEZ,
En lien ci-dessous un texte intéressant (Apocalypse now en anglais ou espagnol) d’un petit asset dont on m’a récemment parlé dans le cadre de mes fonctions.
https://en.arcanogroup.com/sala-prensa/presentaciones-informes/
Vous remerciant pour vos écrits je vous souhaite d’excellentes fêtes de fin d’année.
GV.
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