L’espoir n’est pas une stratégie

L’espoir n’est pas une stratégie

Agefi Suisse
LUNDI, 09.01.2017

Marchés. Rien n’a changé hors les perceptions. Les déséquilibres sont toujours plus grands et les amortisseurs usés.

Bruno Bertez

Savoir d’où l’on vient, pour comprendre ou l’on va. les conditions de l’accélération aux Etats-Unis ne sont pas réunies. Les marchés capitalisent des promesses qui ne peuvent être tenues. Nous soutenons que loin de sortir de la crise, nous entrons dans une nouvelle phase, une phase active au sens ou l’on dit qu’un volcan redeviendra actif, donc dangereux.

Cette affirmation ne constitue pas une prévision boursière, au contraire, elle implique que la situation boursière est imprévisible en vertu de la loi du triangle; la crise produit des réactions pour la contrer et ce qui en sort est une résultante complexe que personne ne peut connaître. Action-réaction-résultante se composent. Il n’y a pas d’initiés, surtout pas les banquiers centraux. Les prévisions sont des exercices de marketing ou bien des manipulations pour formater les anticipations.

La hausse du prix des actifs sur les marchés financiers ne doit rien au hasard ou à la pression atmosphérique, elle est causée, ce qui signifie qu’elle a une cause qui l’a précédée: les conditions financières n’ont jamais été aussi laxistes depuis 2008. Liquidités, crédit, émissions de dettes n’ont jamais été aussi élevés, et les taux n’ont jamais été aussi bas qu’en 2016.

Le déficit fiscal aux Etats-Unis a recommencé à croître fortement, il a progressé de 30% pour atteindre 590 milliards soit 3,2% du PIB. Année électorale oblige: les recettes n’ont progressé que de 1% mais les dépenses elles, ont bondi de 5%.

La création de crédit a été colossale, ce fut la plus forte de puis 2007. A la fin du troisième trimestre on était à 2,375 trillions de dollars de création de crédit non financier! En 2007 pour toute l’année on n’avait produit que 2,5 trillions! Vous savez que nous avons évalué à 2 trillions par an la création de crédit minimum nécessaire pour simplement stabiliser l’économie US; nous avons largement dépassé ces besoins, nous sommes sur un rythme annuel de 2,7 trillions. La masse monétaire M2 a progressé au rythme annuel de 900 milliards soit 8%. Rien d’étonnant si le logement et l’automobile ont boomé. Aux Etats-Unis le ratio de dette non financière rapporté au PIB est de 248%.

Ce qui caractérise 2016, c’est le fait que les Etats-Unis étaient encore en «overdrive» de sur-stimulation alors que le reste du monde (Row) était en plein dedans, donc ce qui caractérise 2016, c’est la synchronie. Tout le monde était en phase de stimulation, voire de surstimulation. On a bénéficié de 2 trillions de QE, acquisitions de titres à long terme augmentés des sorties de capitaux colossales en provenance du système chinois. Et c’est la différence avec 2017 qui sera marquée par la divergence: les Etats-Unis retirent de la stimulation. Quant aux Chinois ils se résolvent à abandonner un objectif fixe de croissance du PIB.

L’abondance a été mise à profit par les débiteurs, ils s’en sont donné à coeur joie pour tondre les marchés dans les plus bas des taux: les débiteurs ont vendu, donc au plus haut des prix, pour plus de 6,6 trillions de dettes dans le monde. Symétriquement n’oubliez pas que si les émetteurs ont vendu au plus haut, les souscripteurs ont acheté, eux aussi, au plus haut: le scalp, la tonte. Les entreprises, le Corporate a considérablement alourdi son endettement: il a pris plus de 3,6 trillions de nouvelles dettes. Essentiellement pour pratiquer l’ingénierie financière, fabriquer des bénéfices par action, distribuer des dividendes, effectuer des rachats d’actions. Le ratio de dette non financière des économies avancées en regard du PIB correspondant est juste sous les 270%.

La création monétaire, la production de crédit global a, si on peut dire, bénéficié des difficultés chinoises: l’argent est sorti à pleins flots du système chinois et il a inondé le monde entier, c’est un élément à prendre en considération. Les difficultés actuelles de la Chine dont nous vous parlons régulièrement ont un effet positif sur la liquidité globale par le biais des sorties de capitaux, sorties qui se traduisent par des achats d’actifs (à tous prix et à n’importe quel prix !) et donc contribuent au maintien, au soutien de la «bulle». Le Row a été dopé par l’argent chinois, mais la Chine a été le parent pauvre, démuni. Les marchés chinois ont bu la tasse: chute de 7% du yuan, chute des actions de 12%, chute des obligations. L’interconnexion fonctionne à plein nous sommes affectés par ce qui se passe en Chine, même si, dans un premier temps l’influence semble positive.

Pourquoi cette situation de stimulation exceptionnelle? Parce tout a failli une nouvelle fois «sauter» en 2015 et 2016, et c’est ce que le monde entier, à mémoire ultra courte, semble avoir oublié! Ceci tient aux accidents qui se sont produits à l’été 2015 et encore en janvier/février 2016. Ces accidents, début de fuite d’air dans les bulles, en particulier émergentes, ont paniqué les autorités: la Fed a retardé sa normalisation, Yellen a téléphoné affolée à tous les Grands, et les banques centrales, singulièrement la Chinoise, ont mis en place un arsenal puissant, discret mais concerté pour tenter d’échapper à la tourmente. Ce que nous avons appelé le consensus de Shanghai.

Nous l’avons largement analysé et commenté en son temps, il a été multiforme et multidirectionnel; arrêt de la hausse du dollar, arrêt de la chute des matières premières et du pétrole, ventes de réserves et de Treasuries US, mobilisation des réserves par les créditeurs pour fournir des «dollars» à leur système bancaire, accord avec les Chinois pour calmer le jeu sur le yuan et piloter délicatement sa glissade etc. Les réserves chinoises ont été amputées de 280 milliards à 3,3 trillions  ce qui met la ponction à 940 milliards depuis le top de juin 2014. La Banque Centrale chinoise a produit du crédit «en-veux-tu-en-voilà» au rythme incroyable de 3 trillions de dollars l’an. Ce qui a fait exploser la spéculation immobilière. Dans le Row, le redressement de la courbe des taux afin de stopper l’asphyxie du secteur bancaire s’est avéré l’une des composantes les plus efficaces de la nouvelle régulation. Le secteur bancaire a ainsi joué un rôle de locomotive. Ce que nous avons diagnostiqué dès Juin, juillet de 2016.

On a totalement oublié qu’au cours des 10 premiers jours de 2016, les marchés globaux ont perdu selon les chiffres du FT, plus de 4 trillions. L’optimisme de fin 2016 efface les souvenirs, mais il est bon et sain de les rappeler: 4 trillions de pertes, c’est ce chiffre qui explique tout ce qui s’est passé par la suite. Loi du triangle. En quelques jours, en janvier/février l’indice de Shanghai a chuté de 25%, le S&P 500 de 11%, le Nasdaq de 16%, le pétrole de 30%, l’indice des matières premières de 14%. Nous avons expliqué alors que le monde était sous la menace, d’une destruction en chaîne des myriades de bulles formées depuis 2008/2009. Souvenez vous, la panique était là, palpable avec des banques en chute libre, l’indice du secteur bancaire US, pourtant l’un des plus solides était en chute de 20%; celui des banques nippones de 35%, celui des banques européennes de 30%; la Deutsche Bank perdait d’un coup 40% de sa capitalisation boursière.

Le marché américain a été le grand bénéficiaire de la crise de 2015/2016, en raison de son statut de refuge: les Etats-Unis détiennent la planche à billets globale ils ont enregistré des performances jamais vues depuis 2009, aussi bien sur le S&P 500 que sur les Small Cap et Mid Caps et le Junk. Les autres grands bénéficiaires ont été les pétroliers avec une revalorisation de 45% des prix des prix du pétrole. Qui eu cru que la Russie et le Brésil seraient les meilleurs performeurs?

L’euphorie de fin d’année 2016 a tout effacé, mais en fait rien n’a changé et c’est ce qu’il faut comprendre: rien n’a changé hors les perceptions. Les problèmes sont les mêmes, les déséquilibres sont encore plus grands et les amortisseurs de plus en plus usés, tant ils ont été sollicités. Le «whatever it takes», le «coûte que coûte» a du être utilisé. Et pan sur le bec des Cassandre, il a réussi. Nous irions jusqu’à dire que dans une certaine mesure, la crédibilité des banquiers centraux a quelque peu remonté. Souvenez vous, elle était au plus bas en début 2016. Comme l’a dit Draghi à l’époque: «nous avons administré la preuve que nous n’étions pas à court de munitions». Grâce à cette crédibilité, les marchés ont pu négliger le vote du Brexit, mieux, s’en réjouir! Ils étaient assurés de la manne en cas de vote négatif, ce qui revient à dire que ce négatif est toujours finalement positif. Il n’y a qu’un sens!

Les effets positifs se sont manifestés et amplifiés sur les marchés à la faveur de l’euphorie des Trumponomics, mais il faut bien voir que les prix à payer sont importants et qu’ils sont devant nous et non derrière. En particulier le système Chinois est devenu ingérable. Les Etats-Unis sont condamnés à poursuivre la hausse des taux, tant ils sont en retard. Nous laissons de côté, dans cette réflexion la dislocation des sociétés occidentales sous les coups de boutoir du soi disant «populisme».

Trump n’a pas de chance, il arrive tard dans le cycle, en particulier, celui du crédit.

Ce qui est devant nous c’est le mur de la dette globale, le choc entre les Trumponomics et la volonté de la Fed de conserver le contrôle de la situation. Yellen n’a rien à perdre, elle sait qu’elle ne sera pas renouvelée en 2018, il n’y aucune raison pour qu’elle cède aux pressions politiques. Trump n’a pas de chance, il prend le pouvoir au moment ou presque tous les cycles sont en bout de course, en particulier, celui du crédit. Ce qui est devant nous, c’est la montée des risques politiques si Trump persiste à vouloir punir la Chine et le Mexique. La Chine est ingérable avec une fragilité extrême alors que va s’engager la partie de bras de fer avec Trump et Navarro. La Chine est profondément fragile avec une dette totale qui représente plus de 250% du PIB, un marché obligataire instable et surtout un marché monétaire disloqué. Et tout est mal ajusté en raison des interventions contradictoires.

Nous ne nous posons même pas la question du succès éventuel des actions de Trump pour une raison simple: il faudrait du temps pour que leur effet positif se manifeste, il faut du temps au temps en économie, mais en revanche les éléments négatifs, les vents contraires, comme la hausse du dollar et la fin de cycle du crédit vont jouer assez vite, trop vite à son gré, contre lui.

Le potentiel de croissance saine de l’économie américaine est réduit: le chômage n’est plus qu’à 4,6% et surtout il n’y a pas eu d’investissements depuis 30 ans! Les mesures annoncées par les Trumponomics (baisses d’impôts, baisse des taxes sur les gains en capital, grands projets de dépenses d’équipement, protectionnisme) vont se heurter aux conditions fondamentales, structurelles qui règnent dans le système américain. La part des dépenses d’investissement des firmes US dans le PIB ne cesse de chuter depuis 30 ans! On a glissé régulièrement de 7,5% du PIB à 3% actuellement.

L’état du système à l’aube de 2017 n’est pas mieux illustré que par la déconfiture des hedge funds, ces anciens fers de lance de la financiarisation: ils sont en débandade. Le titre de Bloomberg du 28 décembre est significatif: «The Golden Era of Hedge Funds draws to a close with clients in revolt». Les clients se révoltent. Du côté de la gestion de fortune, même phénomène, les gérants actifs, sophistiqués perdent les clients attirés par la gestion passive, les gestions indicielles. Pour nous c’est un signe, un signe de la chasse à la performance, la plus stupide, la plus à courte vue, la plus moutonnière. Nous sommes bien en fin de cycle!

Incertitude, instabilité, déséquilibres, ce n’est pas le moment de jouer la carte de la passivité! Plus que jamais, l’appréciation et la gestion des risques s’imposent.n

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