Billet Les investisseurs n’ont plus les outils qu’il faut pour faire leur métier.

« Markets Are Wrong« : Hugh Hendry Shuts Down His Hedge Fund; Here Is His Farewell Letter.

je vois dans ZH ce titre, il retient mon attention car Hugh Hendry n’est pas n’importe qui, c’est un grand , voire un bon. C’est un géant de la profession;

Ce que je lis exprime correctement la situation de ce que l’on appelle encore l’investissement ou la gestion. Les gérants sont dégoûtés, ils perdent de  l’argent et des clients, pour eux, c’est le monde extérieur qui a changé en mal , et donc ils l’ incriminent. Ils démissionnent et tirent leur révérence.

C’est ce que fait Hugh Hendry et il décrète que les marchés ont tort;  Il ne part pas de ce qui est , il part de sa norme à lui, de son cadre et donc il professe une ânerie. Hélas quand on n’a pas fait le choix d’être révolutionnaire, il faut se plier et changer soi même plutôt que l’ordre du monde!

Je soutiens l’inverse de ce que dit Hendry : les marchés ont raison, ils ont toujours raison puisque ce qu’ils donnent à voir, c’est ce qui existe, le réél. Mais remarquez ma prudence , ce qui se donne à voir c’est ce qui existe, le réel, cette formulation n’est pas normative elle ne prétend pas que ce que les investisseurs appellent le réel soit bien reflété! Non les marchés expriment une réalité, la leur et elle est différente de celle que les investisseurs imaginent. Les investisseurs sont dans un imaginaire et cet imaginaire ne coïncide pas avec celui qui est reflété par les marchés. Donc les investisseurs sont largués. Surtout ceux  qui comme Hendry ont un biais baissier. Ils rêvent de la réconciliation n’est ce pas.

Les marchés expriment une réalité qui est globale. Ils expriment une totalité, et cette totalité inclut la crise de 2008, les mesures pour y pallier et les résultantes de ces confrontations de forces de sens contraires, avec les effets voulus et ceux qui le sont moins. Et ce n’est pas celles à laquelle les investisseurs sont accoutumés; ceci explique qu’ils contre-performent. Ils sont devant ces marchés avec des outils inadaptés, avec des théories dépassées.  Et donc constatant leur impuissance à y mettre de l’intelligibilité ils disent que le marché se trompe et baissent les bras.

Je pense que ces investisseurs ont une idée restreinte de ce qu’est un marché: ils pensent les marchés comme avant, comme au bon vieux temps ou on pouvait imaginer des millions de décisions indépendantes qui concouraient à la formation/découverte  des prix!  Bien sur tout cela est révolu et si ils raisonnent dans ce cadre, rien d’étonnant à ce  qu’ils perdent de l’argent.

Les marchés sont toujours là, voila le réel,: il y a bien une confrontation comme dans tout marché, mais le cercle des participants a changé, il comprend maintenant beaucoup d’opérateurs qui ont des critères et des règles du jeu différents. Des opérateurs direts et indirects dont le but est de maximiser leur utilité, la leur ; mais cette utilité n’est pas la même que celle des Hendry, elle n’est peut être pas restreinte à la maximisation des gains , elle peut être totalement en dehors de ce type de motivation. Ainsi les grands opérateurs accumulent des Treasuries US  et se contentent de taux dérisoires parce que leur motivation est plus globale, elle dépasse le rendement ou la performance financière visible.

Ce que la démission de Hendry exprime, c’est l’étroitesse de sa rationalité, l’insuffisance de sa capacité à interpréter le réel, celui qui existe, pas celui qu’il imagine avec nostalgie. En fait je soutiens que ce  que l’on appelle « la place », la communauté, est dépassée, elle a été dépassée par le mouvement du réel, elle combat avec des armes du temps jadis. Je soutiens soit dit en passant la même chose s’agissant des apprentis sorciers que sont les banquiers centraux: ils sont en train de se battre contre la crise de 1929!

Ce que je veux dire c’est que:

-d’abord Le Marché est beaucoup plus vaste qu’avant, il réunit des opérateurs géants, oligopolistiques qui n’ont pas les même raisons d’intervenir que les investisseurs,

-ensuite ces géants sont divers, ils sont en lutte entre eux et se confrontent,

-enfin ils ont des stratégies originales au service  d’objectifs qui dépassent la performance classique monétaire. Les marchés sont au service d’objectifs, ils ne se constatent pas, ils se pilotent.

Le plus important et Hendry ne l’a pas compris est que ces gens luttent à vie et à mort, ils veulent sauver un système, un ordre social , et nous sommes dans le « coûte que coûte ». Mais cela aussi se met en équation, se modélise, mais il faut d’abord le comprendre, l’analyser  et l’intégrer.

Je soutiens que les banques centrales, les gouvernements, les institutions font partie du marché, elles n’y sont pas extérieures et surtout elles sont soumises à la Loi du marche, la Loi de la valeur, la Loi de la rareté; mais elles ont des objectifs différents, des règles du jeu différentes, des moyens très gros et des horizons de temps beaucoup plus longs.

C’est une infirmité des opérateurs comme Hendry que de ne pas avoir intégré ce phénomène et réorienté les recherches, les réflexions dans des  directions nouvelles. C’est une myopie, une courte vue , une infatuation.

La faute de presque tous est de ne pas comprendre que tout système évolue; un système, cela vit.

Nous avons changé de capitalisme, nous sommes dans « le capitalisme monopolistique  d’état et de banque centrales réunis ».  Nous sommes sortis de l’épure des cycles anciens ce qui explique la nécessité des pilotages à vue et la destruction de l’utilité des anticipations classiques.   Il faut arriver à comprendre que tous ces intervenants font partie du marché et que donc il faut élargir, déplacer les analyses, les théories, En particulier vous avez que je propose que l’on reconnaisse et accepte celle de  la mutation de la Valeur , elle n’est plus ce qu’elle était!

7 réflexions sur “Billet Les investisseurs n’ont plus les outils qu’il faut pour faire leur métier.

  1. Après avoir lu votre billet, j’ai eu envie de substituer, juste pour voir ce que ça donne, les termes conservateurs et société aux termes investisseurs et marché (plus quelques autres petits ajustements en cours de lecture). La nouvelle formulation fut, à la lecture, divertissante, à défaut de pouvoir être être tenue pour parfaitement substituable… mais ça pose de « vrais » questions, comme on dit à notre époque frelatée et contre-façonnée.

    Ainsi, je me suis demandé s’il fallait aller jusqu’au bout de la signification de la phrase suivante extraite de votre billet : « … il faut élargir, déplacer les analyses, les théories. En particulier, vous savez que je propose que l’on reconnaisse et accepte celle (la théorie) de la mutation de la Valeur. »

    Que l’on reconnaisse cette mutation, il n’y a pas de discussion, le réel s’impose, à un moment donné, sachant que « tout système évolue ; un système, cela vit. ».

    En revanche, accepter cette mutation, cela me chagrine. Je comprends qu’il vaut mieux, pour un professionnel, bien comprendre le territoire dans lequel il travaille et s’y adapter, sous peine de disparition, ou la preuve par le vide. Mais au-delà de ce strict domaine professionnel, doit-on accepter une théorie fausse, même si, à un moment donné de l’histoire du monde, elle est adoptée par une majorité d’hommes ?

    Dit autrement, et même un peu excessivement, les conservateurs doivent-il considérer que le monde a changé, change en permanence – ce qui est certain – et que se retourner sera toujours vain ; c’est-à-dire doivent-ils accepter de se faire hara kiri ?

    Dit encore autrement, même si toute évolution n’est pas un progrès en lui-même pour l’homme, faut-il accepter ce qui est, ce qui vient, tout simplement parce que c’est ou que ça va venir ? L’action humaine (le propre du politique selon Hannah Arendt) existe parce que l’homme n’accepte pas, à un moment donné, ce qui est, parce qu’il pressent que ce qui est n’est pas objectif, inexorable, programmé d’avance.

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    1. C’est la difficulté de ma vie!
      Et ceci se perçoit dans mes écrits car pour vivre il faut se placer dans le cadre de la gestion c’est à dire accepter d’évoluer dans l’erreur et la fausseté, il faut composer et s’adapter.

      Mais pour donner un sens à sa vie, il faut adopter une attitude critique, demystifier, lutter pour mettre à nu les ruses de ce système aliénant et dégradant.

      J’ecris dans les deux optiques, l’optique de gestion adaptative et l’optique de révolte, rebellion, refus.

      Avec l’iée que la vérité est décapante et qu’elle fait toujours un certain chemin.Comme je dis souvent après Leo Ferré, une balle n’est jamais perdue pour tout le monde. Les mots et les balles ça tue pareil.

      Mais je peux le faire parce que j’ai un certain age et que j’ai accompli certaines choses. Tout le monde n’a pas cette possibilité et en particulier je me pose la question de l’éducation: comment maintenir un équilibre entre une education adaptative, pour vivre dans la societé actuelle, pour y gagner sa vie et en même temps conserver le sens du vrai, de l’authentique, ne jamais oublier le sens des choses et ne jamais sombrer dans la dictature de signes manipulés?

      Bref comment vivre en société sans accepter la névrose sociale?

      La question que vous posez sur l’attitude que doit choisir un conservateur est centrale.

      D’abord il doit se la poser , car comme le démontre Raymond Aron si votre objectif est la liberté vous devez agir dans ce monde et prendre parti.

      Ensuite nous avons une dette, vis à vis de ceux qui nous ont précédé et nous ont légué… ce que nous sommes. Nous avons le devoir moral de faire de même.

      Enfin l’action politique et culturelle est une dialectique, un combat, un affrontement, en passant c’est pour cela que je soutiens le syndicalisme, et c’est de ce combat que jaillit le dépassement.

      Le depassement n’est pas un optimum, car d’optimum, il n’y a jamais d’optimum sinon l’histoire s’arreterait, mais il y a maintien de la vie, de l’anima. Le sens de la vie comme le pensent Jacob et Monod c’est de perséverer.

      Les modernes et post- modernes ,ne croient pas au sens, ils ne croient qu’à la combinaison infinie et sans limite des signes. Ils vivent dans la bouteille comme les mouches; je soutiens qu’il est possible par le travail, l’effort, voire l’ascèse et la sublimation de sortir de la bouteille et je soutiens que lorsque l’on y parvient, de temps à autre, alors on a un sentiment de bonheur infini, de tache et de devoir accomplis. Le Projet individuel rejoint le Projet social. Je dis bien Projet, pas Progrès!

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      1. reponse très pertinente et affutée,comme le sont souvent vos mots. de plus en plus de gens amha se rendent compte que le système les « coince » et qu’ils n’ont plus d’autre choix que de dire « non » ou de « s’adapter » ( j’ai pensé d’abord se coucher ou « collaborer ») .
        l’avenir nous dira si le système peut perdurer encore longtemps à l' »éveil » de plus en plus de monde. un système ne dure que tant qu’il y a plus de gens qui ont intérêt à son maintien qu’à son remplacement. Quoiqu’avec les « progrès » techniques et scientifiques , on peut démultiplier beaucoup plus qu’avant le pouvoir d’une minorité sur une majorité…

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  2. Vous avez une fois de plus tout dit.

    Et si on peut resumer le : whatever it takes de Mario Draghi est la nouvelle réalité

    Le put est devenu permanent et tant qu’il y aura des « bears » , des shorts , le marché pourra continuer a monter :
    le « short squeeze », Avec les rotations de secteurs a l’intérieur du marché.

    Personne ne doit sortir du marché, de la sphère financière c’est à dire du système.

    Et c’est devenu presque facile a « gérer »puisque il y a deux choses qui poussent les investisseurs à ne plus sortir de ce marché « pré-fabriqué » :
    Le « search for yield » et le « Fear to miss »

    Il ne peut plus y avoir de réflexion, tout est en place pour qu’il y ait seulement des réactions aux stimuli élaboré par les discours des banques centrales et des gouvernements qui font réagir les algos et en tuant le plus grand nombre de participants font progresser le marche toujours plus haut ce qui justifie toute les valorisations.

    C’est en quelque sorte la martingale gagnante du casino financier : le Pavlov dog

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    1. « Personne ne doit sortir du marché, de la sphère financière c’est à dire du système ».

      Vous avez mis le doigt sur le point faible, le talon d’Achille de la modernité financière: personne ne doit sortir du monde ainsi créé.

      j’ai participé il y a fort longtemps au début des années 80 aux travaux et réflexions sur ce que l’on appelle la dérégulation, c’est à dire l’établissement des règles qui autorisent la financiarisation.

      Je me suis tout de suite élevé contre cette orientation et je n’ai jamais cessé de la critiquer.

      Lors des travaux , l’une des conseillères de Mitterrand a exactement dit ce que vous venez d’écrire: « pour que cela marche, il faudra que plus jamais on ne puisse sortir de ce système ».
      Je relis souvent sa note de travail.

      Eh oui c’est le point central. De fait tout a été transformé en « papier » , c’est à dire financiarisé et ce fut volontaire. Il fallait évacuer le Réel, rester dans le « soft », barrer la route au « hard ».

      la dérégulation a fondamentalement été faite pour les raisons suivantes qui toutes équivalent à repousser des limites:
      -pallier à la tendance au ralentissement de la croissance en Occident
      -pallier à l’insuffisance de la profitabilité
      _pallier à l’insuffisante rentabilité des banques pour prendre des risques et soutenir la croissance
      -pallier au manque d’épargne investie dans le risque malgré l’effet d’éviction de l’état
      -augmenter artificiellement le volume des investissements

      Au fond et je l’ai formulé à cette époque de cette façon, il s’agissait de forcer la rationalité économique traditionnelle en branchant sur l’économie et la finance un voile de mensonge, un tissus de signes, des ombres ai-je ajouté et en organisant à l’intérieur de ce nouvel ensemble une loterie perpétuelle pour bénéficier de la découverte d’Adam Smith; tout joueur a tendance à s’exagérer ses chances de gagner au jeu!

      J’ai ajouté dans votre système, jamais les joueurs ne doivent éxiger la contrepartie de leurs gains, tout ce qu’ils gagnent c’est le droit … de rejouer à l’infini.

      Pourquoi? Parce que la contrepartie des gains n’existe pas! Il n’y a pas de production de richesses suffisante ou de cash flow pour honorer les promesses de gains.

      Mais cet argent disait Kant l’avez vous? Réponse du système non; mais pas besoin.

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    2. Cher monsieur Bruno Bertez,

      Merci pour votre réponse que j’apprécie à sa juste valeur
      Pour moi, la notion de valeur existe encore et est centrale.
      Je dirais, malheureusement vu ce qu’on veut en faire.

      Cette valeur, la plus précieuse aujourd’hui, c’est celle que vous nous offrez le partage généreux, gratuit de votre savoir, connaissance qui nous permet d’être, au moins, conscient de cette évolution (détestable pour des personnes de ma génération c’est à dire des dinosaures de la préhistoire!)

      Cette valeur n’est plus à chercher, n’existe plus, dans ce système financiarise à l’extrême, mercantile, basé sur l’arbitrage, le relatif qui, permet donc, autorise et encourage toutes les dérives, les propagandes afin de pouvoir en continu repousser les limites de notre monde fini.
      Seul compte le flux, le mouvement et tant pis si on tourne en rond ou si cela mènera tout droit dans le mur pour l’humanité, je voulais dire l’humain, bien sur, puisque lui aussi va devenir obsolète: place au transhumanisme , au spatial, au nouveau monde.

      Non, cette valeur ne peut exister que dans l’empathie, le partage gratuit de la connaissance
      et du vouloir communiquer surtout, la nécessite urgente, de remettre l’homme, pas son hologramme, sa copie dématérialisée, “virtualisée » transformée en simple “commodité au centre de cette vie terrestre,
      Puisque, pour le moment en tout cas, nous habitons et partageons encore la planète terre.

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