La menace japonaise : un coup de semonce pour l’hégémonie du dollar-EGM

Le 2 mai 2025, le ministre japonais des Finances, Katsunobu Kato, a fait la une des journaux en déclarant que les plus de 1 000 milliards de dollars de bons du Trésor américain détenus par le pays pourraient servir d’atout dans les négociations commerciales.

Bien que formulé de manière diplomatique, le message était clair : le Japon ne se contente plus d’être un allié financier passif. Il se prépare à exploiter sa position financière pour contrer la pression croissante des États-Unis, notamment sur les droits de douane, les dépendances commerciales et l’autonomie stratégique.

Il ne s’agit pas d’un bluff, mais d’un signal stratégique dans un contexte de réorganisation mondiale du pouvoir monétaire. Fondamentalement, il s’agit pour le Japon de réaffirmer sa position à une époque où la domination monétaire américaine est de plus en plus remise en question.

L’accord d’après-guerre, où des pays comme le Japon et la Chine recyclaient leurs excédents commerciaux en bons du Trésor américain pour soutenir le système du dollar, reposait sur l’alignement géopolitique, la stabilité des flux commerciaux et la retenue mutuelle.

Ce monde a disparu. Il a été remplacé par un ordre économique militarisé où les droits de douane, le contrôle des capitaux, les sanctions et la suppression des changes deviennent des outils politiques normalisés.

La remarque de Kato intervient quelques jours seulement après celle de Warren Buffett, qui affirmait que les États-Unis pourraient bientôt être confrontés à des conditions si incertaines que Berkshire Hathaway souhaiterait détenir d’importants volumes de devises autres que le dollar.

Pris ensemble, ces deux événements convergent vers une seule et même thèse : la trajectoire budgétaire et monétaire des États-Unis est désormais activement remise en question par ses principales parties prenantes.

Le Japon, premier détenteur étranger de bons du Trésor au monde, vient de déclarer ouvertement que ces avoirs pourraient devenir une forme d’effet de levier souverain. Du point de vue des mécanismes de marché, cela est potentiellement déstabilisant. Un ralentissement coordonné, voire implicite, des achats de bons du Trésor par le Japon pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble du système financier mondial :

• Les marchés des pensions livrées se resserreraient, augmentant le coût du financement en dollars.

• Les spreads de swap, déjà inversés, pourraient s’effondrer davantage, signalant de fortes tensions sur les marchés des garanties en dollars.

• La volatilité des changes augmenterait, la parité USD/JPY risquant de dépasser largement les niveaux actuels.

• Plus important encore, la confiance dans la neutralité du dollar en tant qu’actif de réserve s’affaiblirait, poussant davantage de pays à rechercher des cadres de règlement diversifiés ou régionaux.

Le Japon n’a pas besoin de vendre directement des bons du Trésor pour créer la pression.

Cette simple suggestion modifie la psychologie du marché et donne à Tokyo un levier dans les négociations en coulisses. Elle permet également au Japon de réaffirmer son leadership régional, notamment alors que la Corée du Sud, Taïwan et les États de l’ASEAN sont confrontés aux mêmes difficultés que le protectionnisme américain et la réorganisation de leurs chaînes d’approvisionnement.

Mais cette stratégie comporte des risques. Si le Japon vendait effectivement des bons du Trésor en grande quantité, cela nuirait à son propre portefeuille et risquerait d’être tenu responsable d’un choc sur le marché obligataire mondial.

De plus, l’économie japonaise reste profondément liée à l’architecture de défense et aux flux technologiques américains. Il ne s’agit donc pas d’une menace de rupture, mais d’un rappel calculé de la capacité d’action des alliés.

Les parallèles historiques sont clairs.

Dans l’accord du Louvre de 1987,Le Japon a subi des pressions pour réévaluer le yen afin de réduire son excédent commercial, déclenchant ainsi des décennies de stagnation.

Au début des années 2000, la Chine a utilisé des menaces similaires du Trésor pour repousser la politique douanière américaine.

Aujourd’hui, le Japon signale qu’il se souvient de ces deux choses et qu’il ne se laissera plus prendre au dépourvu. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire commerciale. Il s’agit d’un rééquilibrage monétaire. Le Japon lance un avertissement : l’ère du recyclage incontesté du dollar est révolue.

Si Washington persiste à transformer ses relations économiques en points de pression, il doit se préparer à une riposte financière de ses alliés, et pas seulement diplomatique. Dans ce nouveau jeu de la corde raide budgétaire, les avoirs en valeurs du Trésor ne sont plus passifs. Ce sont des armes. Et le Japon vient d’en mettre une en évidence.

Par EGM

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