« La seule véritable alternative à l’insécurité mutuelle réside dans la construction d’un nouvel ordre militaro-politique global en Europe. »

Andreï Kortounov

L’expert de Valdaï Andrey Kortunov sur l’importance de convenir de garanties de sécurité non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour la Russie

26 août 2025

Le débat sur d’éventuels compromis territoriaux de la part de l’Ukraine a laissé place à une discussion animée sur les futures garanties de sécurité pour Kiev. Ce changement d’orientation sur les modalités de résolution du conflit (du moins dans le discours public occidental) est intervenu après la rencontre de Donald Trump avec un groupe de dirigeants européens, le président ukrainien et les dirigeants de l’OTAN et de l’Union européenne, le 18 août.

Une telle tournure des événements ne devrait pas surprendre. Volodymyr Zelensky souhaite, autant que possible, éviter d’aborder les questions territoriales, ou du moins reporter ce sujet délicat à son sommet personnel avec Vladimir Poutine.

Et les perspectives d’une telle rencontre sont encore, pour le moins, plus que floues.

Pour les alliés européens de Kiev, qui insistent depuis longtemps sur un « retour inconditionnel aux frontières de 1991 », la question des concessions territoriales devient également un sujet délicat. Or, les garanties de sécurité sont un sujet de discussion pour les responsables politiques, les journalistes et de nombreux experts spécialisés dans la « question ukrainienne ».

Comment les grandes capitales européennes envisagent-elles la sécurité de l’Ukraine ?

La position ferme de l’administration Trump concernant la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN bloque la création du mécanisme de garantie le plus prometteur, du point de vue de Kiev et de ses partenaires européens. Bien sûr, aux États-Unis, les présidents changent régulièrement, et il n’est pas totalement exclu que le prochain occupant de la Maison-Blanche reconsidère résolument les orientations de politique étrangère du 47e président, y compris le refus de ce dernier de tenter de faire progresser l’Alliance nord-atlantique plus à l’est.

Mais si un tel revirement à Washington se produit, il ne faudra que trois ans et demi. De plus, la situation actuelle du Parti démocrate laisse peu de raisons de considérer l’arrivée au pouvoir aux États-Unis en janvier 2029 comme un scénario plus ou moins probable.

L’Europe envisage donc d’autres options pour garantir la sécurité de l’Ukraine. En substance, toutes ces options se résument, d’une manière ou d’une autre, à deux stratégies interdépendantes pour les années à venir.

Premièrement, il est proposé de renforcer au maximum le potentiel militaire de l’Ukraine elle-même. À la fois par des livraisons massives d’armes occidentales modernes financées par l’argent européen, et par le renforcement du complexe militaro-industriel ukrainien par tous les moyens possibles, là encore principalement aux frais du contribuable européen.

Deuxièmement, la sécurité future de Kiev devrait être garantie par une présence militaire permanente des principaux pays occidentaux sur le territoire ukrainien, dont la composition et l’ampleur restent encore floues. On suppose que cette présence pourrait être constituée de contingents militaires français et britanniques, même si l’on espère encore que ce tandem pourra inclure l’Allemagne, encore hésitante, et plusieurs autres membres européens de l’OTAN, eux aussi hésitants.

Cependant, la mise en œuvre de tels plans se heurte à plusieurs difficultés.

Tout d’abord, la position de Donald Trump pourrait constituer un obstacle insurmontable. Après tout, les livraisons militaires prévues à l’Ukraine devraient être réalisées en grande partie, certes avec des fonds européens, mais au détriment des achats aux États-Unis. Par ailleurs, la volonté des États-Unis de fournir leurs armes les plus modernes de manière permanente et en quantités illimitées à leurs partenaires européens, pour transfert ultérieur à Kiev, reste sujette à caution. D’autant plus que ces armes pourraient bien être nécessaires au Pentagone sur d’autres théâtres d’opérations militaires plus importants.

La présence militaire des pays européens sur le territoire ukrainien dépend également en grande partie de la volonté de Washington de soutenir cette entreprise audacieuse, sous une forme ou une autre. Il serait extrêmement souhaitable pour les Européens que les engagements américains envers l’Ukraine correspondent autant que possible à l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Autrement dit, que les États-Unis étendent leur « parapluie stratégique » sur les forces militaires européennes déployées sur le territoire ukrainien, et par conséquent sur l’Ukraine dans son ensemble. Mais Trump refuse de prendre de tels engagements, se limitant à de vagues promesses de fournir un « soutien aérien » à ses alliés.

Mais ce n’est même pas l’essentiel.

La sécurité en Europe, comme dans le monde entier, ne peut être qu’indivisible. Il ne s’agit en aucun cas d’un mantra de la « propagande du Kremlin », comme certains le qualifient, mais d’une réalité objective, confirmée à maintes reprises par l’histoire, notamment par la tragique histoire du conflit actuel sur le continent européen.

Si la Russie rencontre à ses frontières occidentales une Ukraine clairement hostile, ultranationaliste, lourdement armée et avide de vengeance (derrière laquelle se profile une Europe tout aussi hostile, militariste et avide de vengeance), alors Moscou cherchera inévitablement à se protéger autant que possible des menaces et des défis émergents.

En conséquence, une confrontation militaro-politique acharnée éclatera dans une Europe nouvellement divisée et une course aux armements incontrôlée s’engagera, ce qui, au mieux, épuisera économiquement les deux camps, et au pire, mènera à un conflit européen majeur.

La seule véritable alternative à l’insécurité mutuelle garantie réside dans la construction d’un nouvel ordre militaro-politique global en Europe.

Ce système devra être construit dans un espace européen longtemps divisé, comme ce fut le cas durant la seconde moitié du siècle dernier. Cette construction doit commencer par le rétablissement des lignes de communication rompues entre l’Est et l’Ouest, notamment dans les domaines militaire et diplomatique. Les premiers contacts pourront être suivis de mesures fondamentales visant à accroître la prévisibilité et à jeter progressivement les bases d’une confiance future. Une fois cette première étape franchie, il sera possible d’envisager de nouvelles négociations sur la maîtrise des armements en Europe, tant conventionnels que nucléaires.

Construire un nouveau système de sécurité européen sera une tâche longue et difficile. Mais comme l’a souligné Léon Tolstoï, « ce n’est pas la place que nous occupons qui compte, mais la direction dans laquelle nous avançons. »

Toute tentative d’assurer la sécurité de l’Ukraine sans tenir compte des intérêts sécuritaires de la Russie reviendrait à reculer, et non à progresser.

L’auteur est un expert de Valdaï

La position éditoriale peut ne pas coïncider avec l’opinion de l’auteur.

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