Trump pourra-t-il retomber sur ses pieds, une fois de plus, après la démonstration de force chinoise?


Alastair Crooke

8 septembre 2025

On ne fait plus de concessions.

Le sommet de l’OCS a clairement démontré la réalité d’une puissance en pleine fusion, d’un côté, et d’un pouvoir en net recul, de l’autre coté .

L’impressionnant défilé militaire Chinois en était le pendant  il a été clair : « Vous voulez nous affronter ? Nous sommes prêts. »

La Chine a lancé le gant avec un timing précis. (On pourrait presque croire qu’elle l’avait planifié de cette façon…). « L’ histoire est en train de s’écrire – à l’encre russe et chinoise » , a observé un commentateur russe.

Les systèmes politiques occidentaux sont en pleine tourmente, assiégés par des politiques populistes qui promettent tout, mais manquent des outils pour résoudre quoi que ce soit.

Les alliances occidentales sont déchirées par le doute et l’incertitude, la stabilité politique se fissure sous la pression des échecs des politiques occidentales d’emprunt et de dépenses.

Même The Economist concède qu’« une nouvelle réalité s’installe ».

La réaction de Trump au spectacle de l’OCS a été une pique ironique à l’encontre d’une prétendue « conspiration » antiaméricaine. Pourtant, s’il se sent comme la « fleur de tapisserie » de ce rassemblement d’« amis », c’est parce qu’il a choisi de ne pas se rendre à Tianjin. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

Si l’OCS est perçue comme anti-occidentale dans la psyché occidentale , cela sera également en grande partie dû à Trump – et à la façon dont il choisira de présenter l’avenir des États-Unis.

Xi Jinping a fait valoir ce dernier point dans son discours d’ouverture : « L’humanité est à nouveau confrontée à un choix entre la paix ou la guerre, le dialogue ou la confrontation, et des résultats gagnant-gagnant ; ou des jeux à somme nulle ».

Malheureusement, Trump est probablement trop engagé dans la quête de la « grandeur exceptionnelle » américaine pour espérer une réponse nuancée de sa part.

Mais il semble souvent défier l’évidence.

Le mode psychologique par défaut de l’Occident sera celui d’ une attitude défensive et antagoniste . Les États-Unis ne sont manifestement pas préparés psychologiquement à se placer sur un pied d’égalité avec ces puissances de l’OCS. Des siècles de supériorité coloniale ont façonné une culture où le seul modèle possible est l’hégémonie et l’imposition d’une dépendance pro-occidentale.

Reconnaître que la Chine, la Russie ou l’Inde se sont « détachées » de l’« ordre fondé sur des règles » et ont construit une sphère non occidentale séparée implique clairement d’accepter la fin de l’hégémonie mondiale occidentale. Et cela signifie aussi accepter que l’ ère hégémonique dans son ensemble est révolue. Les États-Unis et les couches dirigeantes européennes ne sont absolument pas d’humeur à cela. Les couches dirigeantes européennes, en véritables croyants, continuent de manifester une hostilité farouche envers la Russie.

Pour les Européens, il ne fait aucun doute qu’ils ont eux aussi ressenti une secousse, mais ils n’ont pas compris la cause exacte de cette secousse – et ont donc opté pour la grossièreté.

Friedrich Merz a exprimé sa conviction : « Poutine est un criminel de guerre. Il est peut-être le criminel de guerre le plus grave de notre époque que nous ayons vu à grande échelle. Nous devons être clairs sur la manière de traiter les criminels de guerre : la clémence n’est pas de mise. »

La réalité (et le peu que nous savons) de ce qui a émergé du défilé de la place Tiananmen en Chine provoquera sans aucun doute la consternation à Washington, Bruxelles et Londres : le président Xi a déclaré que l’ascension de la Chine était « imparable », tout en présentant plus de 10 000 soldats marchant en parfaite synchronisation et en dévoilant d’impressionnants nouveaux armements chinois (un ICBM nucléaire d’une portée de 20 000 km ; un intercepteur à laser et des drones sous-marins géants).

Le président Xi a notamment présenté (également pour la première fois) la force nucléaire terrestre, maritime et aérienne de l’APL – une triade complète et mortelle.

Lors du défilé de célébration de la victoire, Xi Jinping se tenait fièrement aux côtés de ses alliés sanctionnés par les États-Unis, assis sur l’estrade, Kim Jong-un à sa gauche et Poutine à sa droite – une disposition symbolique à laquelle peu de gens s’attendaient.

De même, la complicité évidente entre Poutine, Xi Jinping et le Premier ministre Modi était manifestement réelle et non artificielle.

Les résultats concrets du sommet déconcerteront également l’Occident. L’annonce du gazoduc Siberia 2, souligne Blomberg , met fin aux projets de « domination énergétique » des États-Unis.

Comme l’indique l’éditorial de Blomberg , « la Chine pourrait désormais cesser d’importer plus de la moitié de son GNL étranger, et d’ici le début des années 2030, la part du gaz russe dans les besoins chinois pourrait atteindre 20 %. Les analystes ont rapidement calculé que la mise en œuvre du projet Power of Siberia 2 équivaudrait à une baisse de la demande d’environ 40 millions de tonnes de GNL par an. »

« Cela signifie que de nombreux projets de production de GNL, sur lesquels les États-Unis avaient misé, n’ont plus de sens ».

Quelles seront les autres conséquences ?

Les États-Unis et l’État obscur européen ne prendront pas ces événements à la légère. Dans leur hostilité, leur colère se concentrera probablement en premier lieu sur la Russie (via l’Ukraine) et, parallèlement, sur l’Iran, allié stratégique de la Russie et de la Chine.

Lors du sommet, Xi Jinping a proposé la création d’un nouvel ordre économique et sécuritaire international, remettant explicitement en cause le système institutionnel actuel dirigé par les États-Unis. Il a décrit cette initiative comme une étape vers la construction d’un monde multipolaire. Après son annonce , la première mesure concrète de l’OCS a suivi.

La Chine et la Russie se sont jointes à l’Iran pour rejeter une initiative européenne visant à rétablir les sanctions de l’ONU contre Téhéran par le biais du mécanisme de « snapback ». Une lettre signée conjointement par les ministres des Affaires étrangères de Chine, de Russie et d’Iran, et adressée au Secrétaire général de l’ONU, affirmait sans équivoque que le déclenchement de la clause de « snapback » par les E3 « contrevient clairement à la résolution et est donc, par défaut, juridiquement et procéduralement vicié. La démarche des E3 constitue un abus de pouvoir et de fonctions du Conseil de sécurité de l’ONU, tout en induisant en erreur ses membres et la communauté internationale quant aux causes profondes de l’échec de la mise en œuvre du JCPOA et de la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU ».

Un langage dur, qui pourrait néanmoins ne pas suffire à empêcher le rétablissement des sanctions d’entrer en vigueur dans les 30 jours suivant la transmission de la lettre des E3 au Conseil de sécurité le 28 août.

Les E3 affirment que leur action offre en réalité à l’Iran une « marge de manœuvre » pour négocier un retour au plein respect du JCPOA. Or, cette affirmation est démentie par le fait que les E3 subordonnent la période de négociation de 30 jours à de nouvelles exigences concernant l’inventaire de missiles iraniens et la position de l’Iran en matière de politique étrangère, qui doivent être intégrées à tout accord. Ils savent que l’Iran n’acceptera jamais ces éléments supplémentaires.

Les E3 préparent donc effectivement l’Iran à une action militaire en introduisant des conditions irréalisables.

Il est clair que la déclaration de la Chine et de la Russie implique qu’elles ne se conformeront pas à d’éventuelles sanctions de type « snapback » si elles étaient imposées à l’Iran.

Trump affirme régulièrement qu’il ne veut pas de guerre avec l’Iran, mais il a néanmoins déjà frappé les installations nucléaires iraniennes (le 22 juin).

Le « snapback framing » et ses conditions punitives, qui semblent destinées à provoquer une rupture de la diplomatie, ne sont pas apparus de nulle part.

Rappelons que c’est Trump qui, en février 2025, a signé un mémorandum présidentiel national (une injonction juridiquement contraignante) stipulant que les objectifs des États-Unis doivent être que « l’Iran se voie refuser l’arme nucléaire, les missiles balistiques intercontinentaux et que le réseau et la campagne d’agression régionale de l’Iran soient neutralisés » ; que le secrétaire au Trésor devrait mettre en œuvre une pression maximale en matière de sanctions contre l’Iran ; et que le représentant des États-Unis à l’ONU devrait travailler avec ses principaux alliés pour achever le « retour en arrière » des sanctions et restrictions internationales contre l’Iran, tout en tenant l’Iran responsable de sa violation du Traité de non-prolifération nucléaire (parmi de nombreuses autres dispositions incluses dans le mémorandum).

Le mémorandum présidentiel de février 2025 a ouvert la voie soit à une éventuelle action militaire contre l’Iran, soit à sa capitulation totale. Priver l’Iran de sa défense antimissile et de ses liens avec ses alliés régionaux a toujours été une utopie. Pourtant, ces exigences refont surface avec les dernières exigences des E3. Qui est derrière tout cela ? Trump, et derrière lui : Netanyahou.

Le premier round contre l’Iran a déjà été tenté, et maintenant, des forces en coulisses font pression pour un nouveau round. Elles voient l’Iran se renforcer, Israël s’affaiblir et la fenêtre d’opportunité se réduire. Elles sont pressées.

L’autre volet de la riposte occidentale à l’« impudence » de l’OCS, qui s’est tenue à l’écart de la primauté occidentale, se manifestera probablement en Ukraine. Les Européens et Zelensky exigeront une pression accrue, militaire et financière, sur la Russie.

La Russie a sans doute informé ses collègues à Tianjin de son intention de faire savoir à Trump qu’elle poursuivra l’opération militaire spéciale jusqu’à ce que toutes les tâches et tous les objectifs fixés soient pleinement atteints (Washington semblant incapable de contrôler les Ukrainiens et les Européens).

Si la situation devait évoluer différemment, la Russie se tient prête à engager une voie diplomatique pour mettre fin au conflit, mais à ses conditions. L’effort principal consistera toutefois à assurer la victoire sur le champ de bataille. Si Trump riposte à une escalade, la Russie réagira de manière appropriée.

Trump survit sous d’énormes pressions et des pièges inconnus. Mais ce que nous avons constaté à maintes reprises chez lui, c’est qu’il défie l’évidence. Il parvient à survivre aux événements, à leur survivre, et même à prospérer, en quelque sorte, précisément grâce à eux. L’adversité est son moteur. Il possède cette indomptable qualité inexplicable que ceux qui le connaissent bien prétendent ressentir.

Trump pourra -t-il se réajuster après Tianjin ? La poursuite de ses revendications d’hégémonie financière américaine conduira-t-elle – face à la résistance du bloc de l’OCS – à un affaiblissement de l’Amérique ? Le moment choisi par la Chine pour « jeter le gant » était-il parfaitement fortuit ? Ou bien la situation financière de l’Occident est-elle plus fragile qu’on ne le pense généralement ?

Trump dispose-t-il seulement de la marge de manœuvre que lui offrent ses fils à la patte invisibles pour s’emparer de la détente nucléaire comme sujet de son prix Nobel, s’il le souhaite ?

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