Le trou noir du « basis trade », un risque systémique .

La Réserve fédérale a récemment découvert que les fonds spéculatifs des Îles Caïmans détenaient probablement environ 1 850 milliards de dollars d’obligations d’État américaines, bons du Trésor.

C’est plus de quatre fois ce que le Trésor américain estimait. Cette disparité s’explique par une stratégie de trading complexe appelée « basis trade » dont je vous parle souvent.

Le Trésor et la Fed encouragent cette pratique du basis trade car il a été calculé que cette pratique permettait de baisser les couts d’emprunts du Trésor de 0,30% environ.

C’est malsain et dangereux et le levier utilisé est considérable.

Voici comment cela fonctionne : les fonds spéculatifs achètent des obligations du Trésor réelles et parient simultanément contre les contrats à terme sur ces obligations.

C’est une sorte d’arbitrage. Ils jouent la convergence.

Ils procèdent ainsi car les prix entre les deux ne correspondent parfois pas parfaitement, et ils peuvent gagner de l’argent lorsque ces prix se rejoignent.

Pour se permettre d’acheter toutes ces obligations, ils empruntent de l’argent sur le marché des pensions livrées, un système de prêt à court terme où ils utilisent leurs obligations du Trésor comme garantie.

Mais il y a un hic.

Lorsque ces bons du Trésor sont transmis ou réhypothéqués (c’est-à-dire réutilisés comme garantie par d’autres institutions), il devient difficile de déterminer à qui ils appartiennent réellement.

Ainsi, dans les données officielles, beaucoup de ces obligations disparaissent de la circulation.

C’est pourquoi les fonds spéculatifs semblaient ne détenir que 423 milliards de dollars, alors qu’en réalité, ils en détenaient environ 1 850 milliards.

C’est important, car si un choc majeur sur le marché se produisait et que tous ces fonds tentaient de dénouer leurs transactions simultanément, cela pourrait provoquer un chaos majeur sur le marché des bons du Trésor.

Les prix pourraient fluctuer fortement, le financement pourrait se tarir et les coûts d’emprunt pourraient flamber.

Cela compliquerait également la tâche de la Réserve fédérale, car elle n’a pas une vision claire du niveau de risque et d’endettement, ce qui la conduit à gérer les taux d’intérêt et la liquidité à l’aveuglette.

EN PRIME

C’est une tactique sophistiquée qui exploite les écarts de prix minuscules entre les Treasuries cash (obligations physiques) et les contrats futures sur ces mêmes obligations.

En 2025, avec une dette US record (35 000 milliards $+) et des tensions géopolitiques (tarifs douaniers Trump), ce trade est sous les projecteurs pour ses risques systémiques.

C’est une bombe à retardement : rentable en temps calme, mais ultra-dangereuse en cas de choc, et elle menace la stabilité du marché obligataire mondial, pilier de la finance.

Qu’est-ce que le basis trade, en bref ?

  • Mécanisme : Un hedge fund achète un Treasury cash (ex. : bon à 10 ans) financé par un emprunt repo (taux SOFR ~5% en 2025), et vend simultanément un future équivalent sur le CME. À l’échéance, il livre l’obligation contre le future, empochant l’écart (le « basis ») de 1-5 cents par dollar – un rendement faible, mais amplifié par un levier massif (20-50x).
  • Échelle : ~1-2 000 milliards $ de notional en 2025, surtout chez les hedge funds (positions short futures ~800 milliards $). C’est légal et « arbitrage » en théorie, mais le levier caché (via repo overnight) le rend spéculatif.

Les risques principaux : un cocktail explosif

Ce trade est censé être « neutre » (hedgé), mais le levier et la dépendance au funding le rendent vulnérable.

Voici les grands dangers, avec des exemples concrets :

RisqueDescriptionImpact potentiel sur les TreasuriesExemple historique / actuel (2025)
Risque de levier et de funding (repo)Le trade repose sur des emprunts repo courts (overnight), avec un levier 20-50x. Si les taux repo grimpent (ex. : SOFR +50 bps), la rentabilité s’évapore, forçant un unwind massif.Chute de liquidité : vente forcée de Treasuries cash pour rembourser, faisant exploser les rendements (yields up).Mars 2020 : Unwind a amplifié la crise COVID, yields 10Y de 1% à 0,3% puis rebond chaotique ; Fed a injecté 1 600 milliards $. En 2025, tensions commerciales US-Chine font monter le SOFR, risquant un repeat.
Risque de marge sur futuresVolatilité (MOVE index ~120 en 2025) augmente les appels de marge CME (jusqu’à 3 ticks ~0,1%). Les funds doivent poster plus de cash, souvent en vendant Treasuries.Effet domino : Ventes en cascade assèchent le marché, yields volatiles (+20 bps en 1 jour possible).Avril 2025 : Tarifs douaniers Trump ont fait chuter la demande Treasuries ; basis trades ont amplifié la « fuite vers la qualité » inversée (yields up malgré krach actions).
Risque systémique et contagionPositions concentrées chez ~10% des hedge funds ; unwind peut geler le marché (pas d’acheteurs). Treasuries = « risque zéro » mondial, donc contagion à actions, devises, Europe (EGB yields).Perte de statut « safe haven » : Inflation + dette US (35T$) + stagflation risquent un « changement de régime » (FT 2025).Sept 2019 (repo spike) et 2020 : Marchés repo gelés, Fed sauve ; BIS alerte en 2023 sur « spirale de marge ». En 2025, hedge funds ont 600 milliards $ short Treasuries.
Risque moral et réglementaireFunds comptent sur Fed bailout (comme 2020). Pas de régulation forte (Bâle III ignore Treasuries en fonds propres).Augmente vulnérabilité : Sans intervention, récession amplifiée (JPM : 60% risque récession fin 2025).2023-2025 : SEC/BoE scrutent, mais pas de limites ; proposition Fed « basis purchase facility » pour hedger sans QE massif.
Risque inflation/detteTreasuries yields réels négatifs si inflation >5% ; basis trade ignore ça, mais unwind expose à chocs macro.Érosion valeur : Rendements 10Y ~4,6% en oct 2025, mais stagflation (croissance faible + inflation haute) pèse.2025 : Ventes massives par banques centrales étrangères (Chine, Japon) pour soutenir monnaies ; yields up malgré peur récession.

Positif : En théorie, c’est de l’arbitrage pur – ça fluidifie le marché (baisse coûts funding US gov ~20-30 bps/an) et booste liquidité.

Avec yields stables (4-5% en 2025), c’est rentable (carry ~1% annualisé). Les régulateurs notent que les fonds sont mieux préparés (marges hautes, funding term hedgé).

Négatif : C’est un risque systémique majeur, comme un « LTCM 2.0 » mais sur 2T$ ! Le levier caché (repo non régulé) crée un effet boule de neige : un choc (géopolitique, inflation) → marge calls → unwind → yields spike → panique globale.

Laisser un commentaire