Ancien rédacteur en chef de The Economist, Bill Emmott est actuellement président de la Japan Society of the UK , de l’ International Institute for Strategic Studies et de l’ International Trade Institute .
Si Donald Trump était réellement le président isolationniste que son slogan «L’Amérique d’abord» semblait sous-entendre, nous pourrions trouver cette attitude compréhensible, même si elle serait regrettable.
Le fardeau de jouer le rôle de gendarme du monde, pour employer une étiquette positive, ou celui de tenter d’être la puissance mondiale dominante, pour employer une étiquette plus négative, est énorme – et les risques d’erreurs coûteuses sont élevés, comme l’ont montré l’Irak et l’Afghanistan au cours des deux dernières décennies.00:1503:36
Cependant, en envoyant le porte-avions le plus moderne de son pays patrouiller de manière menaçante au large des côtes du Venezuela, Trump a assurément mis fin à toute idée selon laquelle il voudrait éviter de s’immiscer dans les affaires des autres pays.
La semaine dernière a apporté de nombreuses preuves supplémentaires que Trump n’a aucune intention de se retirer des affaires internationales :
- sa tournée royale en Malaisie, au Japon et en Corée du Sud ;
- son annonce selon laquelle l’Amérique allait reprendre les essais d’armes nucléaires, pour la première fois depuis 1992 ; et
- Les efforts frénétiques de ses diplomates pour prouver que le cessez-le-feu «historique» qu’il a négocié entre Israël et le Hamas tient toujours, malgré le fait que les forces israéliennes aient tué plus de 100 personnes à Gaza en deux jours d’attaques.
Face à une telle agitation, la véritable question qui se pose pour les alliés de longue date des États-Unis en Europe et en Asie, désormais désenchantés, est de savoir quels sont les véritables objectifs de la politique étrangère de Trump. S’il n’est pas isolationniste, alors qu’est-ce qu’il est ?
L’autre slogan de Trump, « Make America Great Again » (Rendre sa grandeur à l’Amérique), révèle jusqu’à présent mieux sa mentalité et ses intentions que « America First » (L’Amérique d’abord). En faisant étalage de la puissance économique, diplomatique et militaire américaine, il veut clairement prouver que les États-Unis demeurent non seulement une grande puissance mondiale, mais la première. Et il souhaite que cette démonstration de force le mette en valeur.
Le président Trump et son équipe détestent les forums multilatéraux et leurs réunions ennuyeuses de chefs d’État, raison pour laquelle il a choisi de ne pas assister ni au Sommet de l’Asie de l’Est, qui réunissait 18 pays en Malaisie, alors qu’il s’y trouvait, ni au Forum de coopération économique Asie-Pacifique, qui réunissait 21 pays et qui l’avait conduit, avec le président chinois Xi Jinping, en Corée du Sud.
Ses forums de prédilection sont soit des rencontres bilatérales, permettant une négociation personnelle directe, soit des événements télévisés théâtraux qui mettent en scène sa puissance et qui, espère-t-il, persuadent les téléspectateurs de le soutenir.
L’issue de ses négociations bilatérales avec les trois interlocuteurs les plus importants rencontrés lors de son voyage en Asie, le président chinois Xi Jinping, la nouvelle Première ministre japonaise Sanae Takaichi et le président sud-coréen Lee Jae Myung, suggère que, même si sa mentalité reste transactionnelle et conflictuelle, lui et son équipe de conseillers apprennent également que les accords sont plus efficaces lorsqu’ils s’inscrivent dans une stratégie.
Le thème principal de cette stratégie semble être la compétition pour l’influence mondiale entre l’Amérique et la Chine.
Certes, certains titres de ces trois réunions étaient destinés à son public national aux États-Unis : le message étant que son harcèlement par le biais de tarifs douaniers
- a persuadé des entreprises japonaises et sud-coréennes de prévoir des investissements massifs dans la production et la technologie aux États-Unis, et
- a persuadé la Chine de reprendre ses achats de soja américain, une denrée importante pour les agriculteurs qui ont voté pour lui il y a un an.
Mais nombre de ces prétendues « victoires » pour l’Amérique risquent fort de se révéler illusoires ou exagérées. Beaucoup de ces investissements ne font que prolonger des plans élaborés sous l’administration Biden – ou ne sont pas encore définitivement arrêtés – et la promesse de la Chine d’acheter du soja est insuffisante et arrive trop tard pour avoir un impact significatif cette année sur les agriculteurs américains.
Cependant, plusieurs autres annonces semblent plus originales et plus significatives.
Les États-Unis souffrent d’une pénurie de capacités de construction navale, ce qui fragilise leur marine en cas de conflit futur avec la Chine. Le Japon et la Corée du Sud sont les deux plus grands et les plus performants constructeurs navals au monde après la Chine. Par conséquent, l’accord d’investissements conjoints dans la construction navale, tant aux États-Unis qu’au Japon et en Corée du Sud, pourrait constituer une reconnaissance stratégique de la valeur des alliés.
La déclaration de Trump selon laquelle l’accord entre les États-Unis et la Corée du Sud inclura des sous-marins à propulsion nucléaire pourrait constituer un élargissement important de l’accord AUKUS de 2021, qui vise à partager la technologie de propulsion nucléaire américaine et britannique avec l’Australie. Le Japon pourrait bien être le prochain sur la liste.
La brève rencontre entre Trump et Xi a mis en lumière une réalité difficile : face à la Chine, l’Amérique se retrouve confrontée à un géant économique qui dispose désormais d’un pouvoir de négociation aussi important que le sien.
Les véritables problèmes ont été reportés aux négociations de l’année prochaine, mais le fait que les deux parties aient déclaré une sorte de trêve dans leur guerre commerciale, dans le cadre de laquelle la Chine a accepté de reporter l’imposition de contrôles à l’exportation sur les minéraux critiques si importants pour les fabricants de haute technologie du monde entier, peut également être considéré comme une bonne nouvelle pour l’Europe.
Les actions entreprises par les États-Unis en Amérique latine semblaient, à première vue, révéler une volonté de se concentrer sur leurs intérêts nationaux plutôt que sur les enjeux mondiaux. Mais, mises en perspective avec la diplomatie asiatique de Trump, la situation est tout autre.
La raison pour laquelle le Trésor américain a pris l’étrange décision de promettre 40 milliards de dollars d’aide publique et privée, en contradiction flagrante avec les engagements du slogan « L’Amérique d’abord », semble être que Trump souhaite empêcher la Chine de devenir trop influente sur le continent. Aider son ami, le président Javier Milei, à remporter les élections législatives argentines semble avoir servi cet objectif, même si cela a impliqué de perdre des milliards.
Les risques liés à l’élimination de présumés trafiquants de drogue dans les Caraïbes sont moindres, surtout pour un gouvernement qui se moque du droit international et des réactions négatives qu’il pourrait susciter. Mais l’intention révélée par le déploiement d’un groupe aéronaval dans la région est bien plus importante : potentiellement imposer un changement de régime au Venezuela, un pays devenu fortement dépendant des prêts chinois.
Si Trump a réellement l’intention d’entreprendre une action militaire pour tenter d’imposer ce changement, il ferait mieux de se souvenir des leçons des interventions passées en Irak et en Afghanistan.
De plus, si cela s’avère être une stratégie à long terme pour l’administration Trump, et si Trump comprend réellement que confronter la Chine et la Russie uniquement par des menaces commerciales et maintenant des essais nucléaires n’est pas productif, alors peut-être que les anciens alliés en Europe et en Asie pourront reprendre espoir.
Après près d’un an de manœuvres d’intimidation et d’insultes, lui et son équipe commencent peut-être à comprendre que les alliances renforcent l’Amérique, au lieu de l’affaiblir. Il serait prématuré d’en tirer une conclusion définitive, mais les efforts diplomatiques de la semaine dernière laissent entrevoir un espoir.