La Fed perd le contrôle du taux de refinancement, elle procède à une baisse brutale et mais elle devrait le maintenir en décembre.

Le marché des repos américain menace de déclencher une crise de liquidité ; la Fed a les outils mais hésite par division interne, elle craint de « stimuler dans une bulle », dans une économie en forme de « K » illisible sans données officielles.

LA REALITE EST QUE LA FED EST DANS UN DILEMME ET CELA SIGNIFIE QUE PEU A PEU AU FIL DU TEMPS SES MARGES DE MANOEUVRE SE REDUISENT ELLE DEVIENT OTAGE DE PREOCCUPATIONS CONTRADICTOIRES

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Vítor Constâncio
6 novembre

Vítor Constâncio est un économiste, universitaire et ancien haut fonctionnaire portugais, particulièrement connu pour son rôle clé dans la politique monétaire européenne. Diplômé en économie de l’Université technique de Lisbonne en 1965, il a obtenu un master à l’Université de Bristol en 1973-1974. Il a commencé sa carrière comme assistant professeur d’économie à l’Université de Lisbonne (1965-1973), avant de s’orienter vers des postes de responsabilité en finance publique et banque centrale.
Ancien ministre des finances du Portugal
Vice president de la BCE

TRADUCTION BRUNO BERTEZ

Dans mon précédent article (voir ici ), j’expliquais en détail comment le manque de liquidités sur le marché monétaire (échéances à court terme, notamment 24 heures) faisait grimper le taux de pension au jour le jour (SOFR) à des niveaux susceptibles de déclencher un dénouement des opérations de base, avec des ventes de couverture sur le marché au comptant des bons du Trésor, exerçant ainsi une pression sur le marché financier le plus important au monde.

La Réserve fédérale est censée maintenir le contrôle du SOFR en proposant des opérations de pension (prêts garantis par des titres de la dette du Trésor) à un taux qu’elle fixe (taux du mécanisme permanent de pension), plafonnant ainsi le marché garanti du SOFR.

Deux taux déterminent le cours du dollar américain au jour le jour : le taux des fonds fédéraux (FFR) et le taux de financement au jour le jour garanti (SOFR). Le premier est non garanti, car il résulte de l’activité des institutions financières participantes qui prêtent/empruntent un dollar pour 24 heures sans aucune garantie. Les transactions reposent sur la confiance entre les institutions participantes et, par le passé, il s’agissait de la principale forme de prêt/emprunt à court terme entre les banques sur ce qu’on appelait alors le marché interbancaire. Cependant, la confiance tend à s’éroder en période de crises et de tensions sur les liquidités. Depuis les années 1980, une forme de prêt/emprunt garantie s’est développée, utilisant les accords de rachat (repos) par lesquels une institution prête des liquidités à une autre en contrepartie d’un nantissement de titres, dont le prêteur prend possession en cas de non-remboursement.

Surtout après la crise de 2007-2008, les opérations de pension sont devenues la composante dominante des opérations de prêt et d’emprunt à court terme des institutions, tandis que les opérations de prêt et d’emprunt non garanties ont fortement diminué.

Le marché des pensions en dollars, principalement à échéance de 24 heures, a atteint 12 000 milliards de dollars et constitue un pilier essentiel du système monétaire international.

Il a remplacé l’ancien réseau de banques correspondantes par ses transactions basées sur la confiance. Les pensions sont effectuées principalement avec des bons du Trésor américain à l’échelle mondiale et sont cruciales pour la demande de titres de dette américains.

Les opérations de base ( LE FAMEUX BASIS TRADE DONT JE VOUS PARLE SOUVENT) sont principalement réalisées par des fonds spéculatifs, sous forme d’« arbitrage » entre les cours au comptant et à terme des bons du Trésor. Ce marché, évalué à environ 2 000 milliards de dollars, dépend également du financement par pension (voir mon article précédent ici).

Le marché des pensions est utilisé par les institutions pour gérer leurs liquidités quotidiennes : respecter les réserves obligatoires, régler les transactions, investir temporairement leurs liquidités inutilisées et accroître leur effet de levier.

Ce marché est concentré sur les échéances au jour le jour, car elles sont moins coûteuses et limitent l’exposition à la volatilité liée à la valorisation au prix du marché.

Ce qui fait des pensions au jour le jour un facteur déclencheur dangereux de crises de liquidité, c’est leur utilisation pour accroître l’effet de levier, c’est-à-dire pour financer à moindre coût des actifs à long terme en misant sur le renouvellement quotidien de l’instrument.

Les banques d’investissement et autres institutions non bancaires ont eu recours à cette pratique pour financer leurs positions en titres adossés à des créances hypothécaires (dont certains subprimes !) lors de la crise de 2007-2008, ce qui a entraîné des défauts de renouvellement et/ou une hausse des taux de pension.

La crise de 2007-2008 a été une « ruée sur les pensions », comme l’a si bien dit Gary Gorton.

Les fonds spéculatifs utilisent également les pensions au jour le jour pour financer leurs opérations de base. La crise de mars 2020, marquée par une ruée vers les liquidités, a vu le taux de pension s’envoler et, du jour au lendemain, les fonds spéculatifs, au lieu d’acheter des bons du Trésor au comptant, ont commencé à les vendre.

Les opérations de pension (repos) sont donc des pourvoyeurs de liquidités en période faste et de puissants amplificateurs de contraction de liquidités en période de tensions.

Les acteurs de ce marché encaissent les profits en période faste et comptent sur la Réserve fédérale pour les secourir en cas de crise de liquidité, grâce à des interventions massives visant à injecter des liquidités (septembre 2019, mars 2020).

J’estime que le cadre réglementaire et de supervision présente des lacunes en matière d’autorisation inconditionnelle du recours aux pensions au jour le jour pour amplifier l’effet de levier et financer des positions d’actifs à long terme.

En particulier, la réutilisation et la réhypothèque des mêmes titres sous-jacents créent un effet multiplicateur de collatéral qui amplifie considérablement la création/destruction de liquidités par les pensions au jour le jour (par exemple, sept fois dans le cas des bons du Trésor américain, voir Infante et al., 2020 [i] ).

Par ailleurs, il convient de noter que 20 États souverains de la zone euro émettent de la dette, ce qui implique l’absence d’un taux de pension unique au jour le jour en euros, celui-ci dépendant de la qualité des titres sous-jacents. Dans certains petits pays, le marché des pensions est inexistant. En conséquence, les problèmes évoqués concernant les importants marchés américains sont quasiment inexistants dans la zone euro.

Concernant la Réserve fédérale (Fed), les crises du marché des pensions de septembre 2019 et mars 2020 ont conduit à des réformes visant à prendre en compte sérieusement l’existence de deux taux au jour le jour comme référence pour la monnaie.

Idéalement, le FFR et le SOFR ne devraient pas être trop éloignés, et le SOFR ne devrait pas atteindre un niveau trop élevé susceptible de mettre en péril le marché de base et/ou le marché des bons du Trésor.

En 2021, la Fed a créé le mécanisme permanent de pension (SRF), dont le taux est fixé par la Fed et est depuis égal au taux du guichet d’escompte. La Fed propose des opérations de pension sur titres du Trésor, ce qui devrait plafonner le taux du marché des pensions (SOFR) si les participants aux deux marchés étaient les mêmes. En réalité, ce n’est pas le cas, car l’accès au SRF est limité aux négociateurs principaux et à certaines banques. Par conséquent, le SOFR peut dépasser le taux du SRF, comme cela s’est produit à plusieurs reprises depuis septembre et de manière particulièrement continue depuis la semaine dernière, comme le montre le graphique suivant :

Le taux de repo supérieur au taux SRF signifie que la Fed a perdu le contrôle du SOFR, malgré le recours au mécanisme de repo permanent qui a atteint environ 100 milliards de dollars ces derniers jours. Cela implique également que l’écart entre le SOFR et le FFR s’est accru, atteignant de manière inquiétante des niveaux similaires à ceux de mars 2020, comme indiqué ci-dessous.

Le manque de liquidités sur le marché monétaire est dû,

premièrement, à la diminution des réserves bancaires auprès de la Réserve fédérale, conséquence de la politique de réduction du bilan (QT ou resserrement quantitatif) ;

deuxièmement, à l’augmentation du solde du compte du Trésor auprès de la Réserve fédérale (TGA, Compte général du Trésor).

La paralysie des services gouvernementaux contribue à cette dernière augmentation, car les impôts sont versés sur ce compte alors même que les dépenses sont suspendues. La réduction des réserves bancaires à 2 845 milliards de dollars représente moins de 10 % du PIB et est jugée insuffisante.

Une crise de liquidités importante cette fois-ci semble peu probable.

Compte tenu de la pénurie de liquidités, le SRF s’est avéré manifestement insuffisant pour contrôler le SOFR, et la Fed doit trouver un autre moyen d’injecter des liquidités sur le marché. Dans mon précédent article, j’écrivais que la Fed devrait le faire.

a) Mettez fin immédiatement à réduction quantitative, en arrêtant de réduire le bilan.

b) Si les institutions financières rejettent le mécanisme de pension standard (SRF) et ne stabilise pas le taux de pension, préparez-vous à acheter des bons du Trésor comme en 2019.

c) Maintenir le système de plancher de mise en œuvre de la politique monétaire avec des « réserves abondantes », comme indiqué dans la décision de 2019 définissant l’avenir du système de plancher.

La semaine dernière, la Réserve fédérale a annoncé la fin du resserrement quantitatif en décembre et le réinvestissement des futurs remboursements de principal des obligations du Trésor arrivant à échéance, de sorte que sa taille reste constante en valeur absolue.

Toutefois, cela n’augmentera ni le bilan ni les réserves des banques.

Des mesures supplémentaires seront nécessaires.

Jay Powell a déclaré que le bilan devra croître à l’avenir proportionnellement à la croissance du PIB nominal et que la Réserve fédérale maintiendra le régime de « réserves suffisantes » décidé en 2019.

Avec cette politique, il est relativement aisé pour la Réserve fédérale de stabiliser la liquidité et le taux de refinancement, car une intervention massive ne serait pas nécessaire. Le fait qu’elle ne l’ait pas encore fait ne peut s’expliquer que par des divergences au sein du Conseil des gouverneurs concernant la taille du bilan et l’adoption d’une politique pouvant être qualifiée d’assouplissement quantitatif.

Le secrétaire Bessent et certains membres du Conseil des gouverneurs s’y opposent pour des raisons idéologiques. En réalité, l’achat de titres d’État à court terme n’est pas un assouplissement quantitatif (QE), car cet outil de politique monétaire a été introduit en 2008 pour réduire les rendements du marché à moyen terme, ce qui est très différent d’une simple politique de gestion des liquidités. Il ne s’agit pas d’un QE, mais en 2019, la Réserve fédérale a eu du mal à en convaincre les marchés et les médias, car cette politique était alors, paradoxalement, qualifiée de « QE non-QE ».

Néanmoins, je pense que si le taux SOFR reste trop élevé, la Fed devra prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter un débouclage dangereux des opérations de base. Une crise de liquidités importante semble peu probable cette fois-ci.

UNE RESERVE FEDERALE DIVISÉE DANS UNE ÉCONOMIE K DIVISÉE

Outre le problème de liquidité du marché monétaire, la Réserve fédérale est confrontée, du point de vue des objectifs de politique monétaire, à une évaluation complexe de l’économie américaine, tiraillée entre les risques d’inflation et de chômage d’une part , et entre Wall Street et le reste de la population d’autre part.

Il s’agit en effet d’une économie en « K », avec un secteur technologique dynamique et des industries manufacturières et de la construction en difficulté, où les 10 % des revenus les plus élevés représentent 49 % des dépenses de consommation, selon l’économiste en chef de Moody’s, et où une part importante de la population est en difficulté.

L’inflation avait continué de ralentir début 2025, mais depuis le 2 avril, jour de la crise des droits de douane, elle a dépassé l’objectif de la Fed (voir graphique ci-dessous). Contre toute attente, la Fed a décidé de baisser son taux directeur de 25 points de base. Lors de la conférence de presse qui a suivi, Jerome Powell a laissé entendre que cette décision avait été prise à contrecœur, en adoptant un ton ferme quant aux futures fluctuations des taux. Une baisse en décembre a été qualifiée de « loin d’être acquise ».

Les raisons de cette réduction sont liées à l’évolution de l’emploi, le nombre de postes ayant globalement ralenti, voire diminué dans les secteurs manufacturier et de la construction, contrairement aux promesses de Trump.

En l’absence de données officielles en raison de la paralysie prolongée des services gouvernementaux, l’institut ADP, spécialisé dans le secteur privé, a fait état d’un recul des embauches au cours des deux mois précédents, mais a indiqué une hausse de 42 000 postes en octobre, un chiffre quelque peu surprenant.

Le Conference Board, organisme privé, a, dans sa dernière publication d’indicateurs avancés, identifié une récession débutant en août, et Rosenberg Research a déduit des Livres beiges de la Réserve fédérale que plus de 80 % de la population américaine est en récession (le graphique ci-dessous, publié sur Substack par @globalmarketsInvestor, montre ce segment en expansion). Tej Parikh, du Financial Times, a publié qu’un tiers des États américains étaient en récession en septembre.

Soudain, l’économie américaine apparaît aussi hétérogène que la zone euro !

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En l’absence de données macroéconomiques officielles pour septembre et octobre, la prolongation probable du blocage budgétaire rendra pratiquement impossible l’interprétation de la situation de l’économie américaine. Le marché boursier est également un domaine fragmenté, où les sept principales valeurs contribuent largement à la dynamique boursière, tandis que les autres progressent beaucoup plus lentement que les marchés européens.

Je pense que toutes ces incertitudes fourniront des arguments supplémentaires à la Réserve fédérale pour maintenir ses taux inchangés en décembre. Ce sera la bonne décision.


[i] Voir Infante, S., Press, C. et Zack Saravay (2020) « Comprendre la réutilisation des garanties dans le système financier américain », American Economic Review, mai, vol. 110 : 482-486

RESUME

Résumé de l’article : Tensions sur le marché des repos et dilemmes de la Fed dans une économie en « K »1. Le marché des repos : pilier fragile du système monétaire

  • Taille et rôle : Marché des pensions (repos) à 24h = 12 000 Md$, dominant depuis 2008. Remplace l’ancien interbancaire non garanti. Financement clé des basis trades (hedge funds, ~2 000 Md$).
  • Mécanisme : Prêt garanti par des Treasuries. Permet levier massif via réhypothèques multiples (x7 pour les Treasuries).
  • Dialectique positif /negatif :
    • Faste : Injecte liquidités.
    • Crise : Amplifie les ruées (2008, mars 2020, sept. 2019). → « Run on repos » (Gorton).

2. La Fed perd le contrôle du SOFR

  • Deux taux clés :
    • FFR (non garanti) → confiance.
    • SOFR (garanti) → dominant.
  • Outil Fed : SRF (repo permanent) = taux plafond… mais SOFR > SRF depuis semaines (100 Md$ utilisés, insuffisant).
  • Écart SOFR/FFR → niveaux mars 2020 → risque débouclage basis trades → ventes massives de Treasuries.
  • Causes du stress :
    1. QT → réserves bancaires ↓ à 2 845 Md$ (<10 % PIB).
    2. TGA ↑ (paralysie gouvernementale : impôts rentrent, dépenses bloquées).

3. Solutions proposées (et partiellement appliquées)

  • Fed a annoncé : Fin QT en décembre, réinvestissement des remboursements → bilan constant.
  • Mais insuffisant : pas d’expansion des réserves.
  • Recommandations :
    1. Stop QT immédiat.
    2. Achat direct de Treasuries courts
    3. Retour aux réserves abondantes (décision 2019).
  • Blocage interne : Powell favorable, mais opposition idéologique (Bessent, certains gouverneurs) → peur du « QE déguisé ».

4. Économie en « K » : Fed coincée entre inflation et récession

  • Inflation : ↓ début 2025, ↑ depuis avril (droits de douane). > cible 2 %.
  • Emploi : ralentissement global, baisse dans manufacturing/construction. ADP +42k en oct. (surprenant). 80 % population en récession (Livres beiges).
  • Données officielles absentes → paralysie gouvernementale → impossible d’évaluer.
  • Bourse fragmentée : 7 techs portent tout, reste faible.

5. Conclusion

  • Pas de crise majeure prévue (Fed peut agir vite).
  • Mais SOFR élevé = alerte rouge.
  • Décision probable : taux inchangés en décembre → prudence face à l’incertitude.
  • Fed divisée, comme l’économie : Wall Street vs. Main Street, tech vs. industrie, riches vs. pauvres.

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