La Russie a retrouvé un rapport de force favorable face à l’Occident.

MK Bhadrakumar | Ancien diplomate

Si la Russie parvient à mettre fin à ses « opérations militaires spéciales » en Ukraine pendant que le président américain Donald Trump est en fonction, cette guerre pourrait mettre un terme à tous les conflits en Europe et en Eurasie pour longtemps.

Ces dernières semaines ont été marquées par un bouleversement spectaculaire du rapport de forces sur la scène internationale, dû à la dynamique des forces productives de la Russie.

La Russie, qui a abandonné le socialisme et développé une stratégie géopolitique adaptée, retrouve un rapport de force favorable face à l’Occident.

Dans cette période de transition marquée par des bouleversements et des transformations révolutionnaires de l’ordre mondial, la remontée en puissance de la Russie revêt une importance capitale pour l’Inde, elle aussi engagée sur la voie du développement capitaliste, un développement semé d’embûches.

Le 4 novembre, jour de l’unité nationale en Russie, le président Vladimir Poutine a présidé une cérémonie au Kremlin pour remettre des décorations d’État aux concepteurs du missile de croisière Burevestnik et du sous-marin autonome Poseidon, les systèmes d’armement futuristes les plus récents du pays.

La terrible beauté de ces deux armes réside dans leur propulsion nucléaire, et l’Occident ne dispose d’aucune capacité équivalente ni d’aucun moyen de défense efficace pour les contrer dans un avenir prévisible.

Le 9M730 Burevestnik est un missile de croisière à basse altitude, à propulsion nucléaire et doté d’une ogive nucléaire. Poutine l’a qualifié d’« arme unique qu’aucun autre pays ne possède », et sa portée serait quasi illimitée grâce à sa propulsion nucléaire embarquée. L’essai du missile a duré environ 15 heures, pour une distance parcourue de plus de 14 000 km. Le gouvernement norvégien a confirmé que le vol d’essai avait été effectué depuis la Nouvelle-Zemble, un archipel situé au large des côtes nord de la Russie.

Le Poséidon, du nom du dieu de la mer dans la mythologie grecque, est un drone sous-marin à propulsion nucléaire, doté d’une portée illimitée. Les médias et les autorités russes affirment que cette super-torpille est conçue pour déclencher des tsunamis radioactifs dévastateurs, capables de ravager les villes côtières et de rendre de vastes zones inhabitables pendant des décennies. Lors de son discours sur l’état de l’Union en 2018 devant le Parlement russe, Vladimir Poutine avait déclaré que le Burevestnik et plusieurs autres armes stratégiques étaient nécessaires au maintien de la stabilité stratégique, considérant le retrait des États-Unis du Traité sur les missiles antibalistiques comme un facteur de déstabilisation.

Ces armes bouleversent l’équilibre stratégique mondial.

Parmi elles, l’Oreshnik, missile balistique hypersonique sol-sol de pointe, conçu pour être lancé depuis la terre ou la mer et capable d’atteindre des cibles à une vitesse supérieure à Mach 10. L’Oreshnik, entré en service dans les forces armées, a démontré son immense puissance destructrice en novembre dernier lors d’un exercice de tir spectaculaire sans munitions en Ukraine.

Il y a quelques mois, dans un article publié dans Foreign Policy , Decker Eveleth, expert américain du CNA, un organisme de recherche à but non lucratif basé à Washington, estimait qu’Oreshnik pourrait potentiellement paralyser la capacité opérationnelle de l’OTAN dans une guerre hypothétique, offrant à la Russie davantage d’options non nucléaires et réduisant théoriquement la nécessité d’utiliser des armes nucléaires dès le début d’un conflit.

Un tel scénario présente un intérêt pour l’Inde, car, selon l’agence TASS , la Russie pourrait être disposée à fournir le missile Orechnik à ses « nations alliées ». L’industrie de défense russe produit actuellement jusqu’à 25 missiles Orechnik par mois, ce qui permet aux forces armées russes de déployer environ 300 systèmes de ce type par an.

Cependant, comme le souligne un expert moscovite : « Je ne limiterais pas la production à ce nombre. Si nécessaire, elle peut être augmentée afin de fournir des lots supplémentaires destinés à l’exportation à nos principaux partenaires étrangers. » En effet, de telles capacités constituent non seulement un moyen de dissuasion stratégique, mais aussi un outil diplomatique pouvant être étendu aux partenaires et alliés étrangers de la Russie, contribuant ainsi à la sauvegarde de leur souveraineté et de leur intégrité territoriale.

Le développement de ces trois systèmes d’armes signifie que, pour la première fois depuis l’avènement de l’ère nucléaire, la Russie disposerait d’un avantage sur les États-Unis, tant en matière de guerre conventionnelle que de dissuasion nucléaire.

Ces systèmes visent à dissuader les décideurs américains de mener des politiques menaçant les intérêts russes.

Dans l’immédiat, la Russie espère influencer les transferts d’armes et la politique américaine lors des négociations de paix en Ukraine, et inciter Washington à accepter un accord informel d’un an pour prolonger le traité New START (sans inspections), qui expire en février. Dans ce contexte, le Times britannique a publié une interview de Jens Stoltenberg, ancien secrétaire général de l’OTAN, dans laquelle ce dernier affirmait que l’Alliance ne prendrait pas le risque d’une guerre avec la Russie au sujet de l’Ukraine.

Lors de la cérémonie au Kremlin le 4 novembre, Poutine a déclaré que ces systèmes d’armes revêtent « une importance historique pour notre nation et pour garantir notre sécurité et notre équilibre stratégique pour les décennies à venir, voire pour le reste du XXIe siècle ».

Fait intéressant, lors des essais du Burevestnik le 21 octobre, un navire de reconnaissance de l’OTAN était présent en permanence dans la zone d’essais, mais Poutine a affirmé : « Nous n’avons pas interféré avec son fonctionnement. Ils ont été autorisés à observer. » En résumé, le Burevestnik conférerait à la Russie une capacité de seconde frappe redoutable.

Le message est clair : l’expansion frénétique de l’OTAN est tournée en dérision, visant à amener l’alliance aux frontières de la Russie pour déployer des systèmes de missiles capables d’atteindre Moscou ou Saint-Pétersbourg en 4 à 5 minutes. En testant le Burevestnik, qui pourrait atteindre le territoire américain, la Russie brouille la frontière entre escalade conventionnelle et escalade nucléaire.

Le programme Poseidon indique également que la Russie façonne une nouvelle image pour sa marine afin de contrer les tentatives de l’OTAN de bloquer la navigation russe en mer Baltique.

Les sous-marins armés de missiles hypersoniques joueront un rôle crucial, venant compléter les forces aériennes et les drones russes.

Lors d’une récente visite à Kaliningrad, Nikolaï Patrouchev, conseiller de longue date de Poutine et président du Conseil maritime russe, a souligné la menace que représentent d’éventuelles restrictions, imposées par des pays hostiles, au transit de marchandises vers la région de Kaliningrad, au transport de gaz et à la navigation maritime. Les marines occidentales sont déjà très préoccupées par les sous-marins russes, notamment ceux armés de missiles de croisière et hypersoniques, ainsi que par les avions lanceurs de missiles embarqués.

Les tentatives d’arraisonnement de navires à destination des ports russes en eaux internationales se multiplient sous l’effet des sanctions. Par ces intimidations, l’OTAN poursuit l’objectif stratégique d’évincer la Russie de la région baltique. Il est tout à fait envisageable que l’Inde soit également confrontée à ce scénario à l’avenir.

MK Bhadrakumar | Ancien diplomate

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