Le Japon a subi une crise de surendettement, d’excès de capital fictif en 1990, il a refusé la destruction de la pourriture, il a « kick the can », il a mis les taux à zero et a accumulé les dettes et les déficits du gouvernement.
Il a accepté une croissance nulle et la déflation.
Son système et ses institutions ont survécu malgré les pertes car il a investi à l’étranger, ce qui a bonifié, compensé les taux zéro domestiques.
Le japon a exporté sa déflation, il a contribué fortement à la surévaluation des actifs financiers mondiaux et aux taux bas. Il est responsable de ce que Bernanke a appelé l’excès d’épargne mondial. Le japon a permis la gestion déplorable américaine et celle des pays périphériques européens.
Dans les années 90 alors que peu de gens comprenaient ce qui se passait au Japon et croyait que son système allait s’effondrer, j’ai proposé une interprétation ; j’ai avancé l’idée que le Japon était un colossal Hedge Fund, ce hedge fund investissait à l’étranger avec une rentabilité satisfaisante, , partout dans le monde, en se finançant par l’épargne bon marché, réprimée de sa population. Le hedge fund se recapitalisait de cette façon.
Compte tenu de l’épargne colossale des japonais, de leur soumission aux USA je soutenais que cela pouvait durer longtemps et surtout que cela allait être accepté socialement et politiquement..
Ce système a fait du Japon le créancier, le bailleur de fonds du monde entier. Le japon a subventionné le capital occidental , il a bonifié le taux de profit du capital, surtout du capital américain. Il a meme permis de maintenir l’euro car il joué le jeu du corset de la BCE!
Ce système est en train de vivre ses derniers moments, il a touché ses limites à la fois internes et externes; il n’est plus adapté au monde actuel en cours de bouleversement.
Voici un article qui vous parle de tout cela.
Note : j’aurais pu écrire cet article , j’ai écrit en ce sens à de multiples reprises. Cependant je n’endosse pas ses conclusions car je les trouve trop linéaires alors que le nœud des forces en action est très gros, très enchevêtré, très serré et que rien n’est écrit, tout est encore évolutif. Rien n’est mécanique. Le militaire, vecteur des luttes impérialistes est au moins aussi important que le financier par exemple.
Une analyse qui reste au niveau financier et monétaire est inadéquate , le financier est un reflet, pas une cause première. Cette analyse se situe à la surface des glissements tectoniques en cours.
Oui, il y a et va y avoir un réaménagement terrible, mais il ne viendra pas uniquement de ce qui se passe au Japon, il viendra du réaménagement global du capital et des forces productives mondiales.
En revanche ce qui se passe au Japon va bien contribuer à l’effondrement de la masse pyramidale de capital fictif qui asphyxie le monde développé; oui!
LISEZ
Shanaka Anslem Perera
Lorsque le plus grand créancier mondial cessera de subventionner la dette de tous les autres, l’ensemble de l’architecture de la finance mondiale devra être reconstruite. Ce moment est arrivé le 10 novembre 2025.
Par Shanaka Anslem Perera

Un lundi de novembre en apparence ordinaire, le rendement des obligations d’État japonaises à 10 ans a atteint 1,71 %. Pour la plupart des observateurs, il ne s’agissait que d’une simple note technique noyée dans les données quotidiennes du marché. Pour ceux qui comprennent les rouages complexes de la finance mondiale, c’était le bruit d’une pièce maîtresse de la tour Jenga qui s’effondrait.
Ce taux de 1,71 % représente le rendement le plus élevé des obligations d’État japonaises depuis juin 2008, alors que Lehman Brothers existait encore et que le système financier mondial était au bord de l’effondrement. Mais contrairement à 2008, où une crise extérieure avait fait grimper les rendements, cette évolution résulte de choix politiques délibérés au Japon même. Ses implications sont bien plus profondes qu’une simple perturbation du marché.
Ce qui s’est passé le 10 novembre n’était pas un simple ajustement du marché obligataire. C’était le début de la fin d’un arrangement vieux de trois décennies qui a discrètement sous-tendu tout l’ordre financier de l’après-guerre froide. Le Japon, premier créancier net mondial avec plus de 3 000 milliards de dollars d’actifs nets à l’étranger, a entamé le long processus de rapatriement de ces capitaux.

L’architecture de la suppression
Pour comprendre pourquoi cela est important, il faut d’abord saisir ce que le Japon a fait pour le système financier mondial depuis le début des années 1990.
Suite à l’éclatement de sa bulle spéculative en 1991, le Japon s’est engagé dans une spirale déflationniste qui allait durer trois décennies. La Banque du Japon a ramené les taux d’intérêt à zéro en 1999 et les a maintenus à ce niveau, les faisant même passer en territoire négatif en 2016. Le contrôle de la courbe des taux, mis en œuvre en 2016, a permis de fixer le rendement des obligations d’État japonaises à 10 ans à un niveau proche de zéro pour cent grâce à des achats massifs d’obligations.
Cela a créé un problème structurel pour les investisseurs institutionnels japonais. Les compagnies d’assurance gérant des engagements à long terme, les fonds de pension confrontés au déclin démographique et les banques croulant sous les dépôts étaient tous confrontés au même dilemme : les actifs nationaux ne rapportaient rien, mais leurs obligations étaient réelles et croissantes.
La solution fut simple et révolutionnaire. Les capitaux japonais affluèrent vers l’étranger. En 2024, le Japon détenait 1 130 milliards de dollars de titres du Trésor américain, devenant ainsi, avec la Chine, le plus important détenteur étranger de dette publique américaine. Les obligations européennes, les titres d’agences, le crédit aux entreprises et la dette des marchés émergents absorbèrent tous ces flux massifs de capitaux japonais.
Il ne s’agissait pas de charité, mais d’une construction de portefeuille rationnelle. Pourtant, ses effets systémiques furent profonds. Les achats japonais ont maintenu une demande soutenue sur les marchés obligataires mondiaux, comprimant les primes de terme et maintenant artificiellement les coûts d’emprunt à un niveau bas dans les pays développés. La présence de ces capitaux patients, avides de rendement, a permis aux États-Unis d’afficher des déficits budgétaires persistants, à l’Europe de préserver son union monétaire malgré des déséquilibres structurels, et aux marchés émergents d’accéder à des financements en devises fortes à des coûts historiquement bas.
Pendant trois décennies, la déflation japonaise a exporté la désinflation vers le reste du monde. Les épargnants japonais, incapables de réaliser des gains dans leur pays, ont de fait subventionné les emprunteurs du monde entier.
L’inversion
Le 10 novembre a marqué le moment où cet arrangement a commencé à se dénouer véritablement.
Le catalyseur immédiat a été triple.
Premièrement, la Banque du Japon a progressivement normalisé sa politique monétaire après avoir mis fin aux taux d’intérêt négatifs en mars 2024 et relevé son taux directeur à 0,5 %.
Deuxièmement, le gouvernement japonais a annoncé un plan de relance budgétaire de plus de 17 000 milliards de yens (environ 110 milliards de dollars), destiné à lutter contre les risques résiduels de déflation et à dynamiser des secteurs stratégiques tels que les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle.
Troisièmement, et surtout, les anticipations du marché ont évolué vers la possibilité de nouvelles hausses de taux de la Banque du Japon, les marchés à terme estimant à environ 50 % la probabilité d’une nouvelle hausse lors de la réunion de politique monétaire du 18 décembre.
Ces trois forces ont convergé pour faire grimper en flèche les rendements des obligations d’État japonaises.
Mais le véritable enjeu réside dans la suite des événements.
À 1,71 %, les mathématiques des investissements institutionnels japonais ont profondément changé. Prenons l’exemple d’une compagnie d’assurance-vie japonaise gérant des engagements libellés en yens. Pour investir dans des bons du Trésor américain, cette institution doit se couvrir contre le risque de change. Le coût de cette couverture, déterminé par l’écart de taux d’intérêt entre le Japon et les États-Unis, a désormais atteint un niveau tel que les rendements couverts des bons du Trésor américain deviennent fréquemment négatifs.
En clair : il en coûte désormais de l’argent aux institutions japonaises pour détenir de la dette du gouvernement américain couverte par le risque de change.
Il ne s’agit pas d’une simple instabilité d’arbitrage temporaire, mais d’une transformation structurelle du rapport risque-rendement qui régit l’allocation des capitaux japonais depuis une génération. Chaque point de base supplémentaire de hausse des rendements des obligations d’État japonaises rend les obligations étrangères moins attractives et les actifs nationaux plus compétitifs.
La conséquence logique commence déjà à se manifester. Les investisseurs japonais réduisent leurs avoirs en obligations étrangères et rapatrient leurs capitaux. Ce processus ne se fera pas du jour au lendemain – les portefeuilles institutionnels évoluent lentement – mais la tendance est claire et la dynamique s’accélère.
La Cascade
Lorsqu’un créancier de la taille du Japon commence à se retirer des marchés mondiaux de la dette, les effets se répercutent simultanément sur de multiples canaux.
Premièrement, les primes de terme doivent augmenter . La prime de terme correspond au rendement supplémentaire exigé par les investisseurs pour détenir des obligations à long terme plutôt que de renouveler leurs titres à court terme. Pendant des années, les achats japonais ont comprimé les primes de terme sur les marchés développés. À mesure que cette demande diminue, les primes de terme doivent augmenter pour attirer d’autres acheteurs. Les estimations varient, mais un retrait durable de capitaux japonais pourrait mécaniquement ajouter de 20 à 50 points de base aux rendements à long terme aux États-Unis et en Europe au cours des prochaines années, indépendamment des taux directeurs des banques centrales ou des anticipations d’inflation.
C’est un point crucial. Cela signifie que même si la Réserve fédérale parvient à ramener l’inflation à son objectif et à baisser les taux à court terme, les coûts d’emprunt à long terme pourraient ne pas diminuer autant que prévu par les marchés. Le taux des prêts hypothécaires à 30 ans, les rendements des obligations d’entreprises et les coûts de financement de l’État subissent tous une pression structurelle à la hausse du simple fait de l’absence de demande japonaise.
Deuxièmement, le carry trade en yen entre dans une nouvelle ère. Pendant deux décennies, le yen a été la principale monnaie de financement mondiale. Les hedge funds, les banques et les investisseurs institutionnels ont emprunté en yens à des taux quasi nuls pour acquérir des actifs plus rémunérateurs à l’étranger : obligations des marchés émergents, titres de créance à haut rendement, actions à dividendes, voire cryptomonnaies. Ce « carry trade » a constitué l’une des stratégies les plus persistantes et les plus rentables de l’investissement macroéconomique mondial.
Avec la normalisation des taux japonais, la rentabilité de ces opérations se détériore rapidement. Le coût du financement augmente tandis que la volatilité du yen – qui a tendance à s’apprécier fortement en période d’aversion au risque – s’accroît. L’exemple historique de la flambée du yen en août 2024, lorsque la devise s’est appréciée de 13 % en quelques semaines suite à une hausse surprise des taux par la Banque du Japon, illustre la brutalité avec laquelle ces opérations peuvent se dénouer.
La valeur notionnelle exceptionnelle des positions de portage financées en yens est difficile à mesurer précisément, mais on l’estime prudemment à 1 000 milliards de dollars, voire plus. Même un débouclage partiel entraînerait des ventes massives d’actifs risqués, notamment sur les marchés émergents et dans les secteurs dépendants des flux de capitaux à effet de levier.
Troisièmement, la situation budgétaire mondiale évolue . La dette publique du Japon représente environ 263 % du PIB, soit le ratio le plus élevé parmi les principales économies développées. Ce fardeau de la dette a été soutenable car le taux d’intérêt effectif appliqué à cette dette est resté proche de zéro. Avec la normalisation des rendements, les charges d’intérêts augmentent considérablement.
Au niveau d’endettement actuel, une hausse de 100 points de base du coût moyen de financement alourdit les charges d’intérêts annuelles d’environ 3 000 milliards de yens, soit l’équivalent d’environ 0,5 % du PIB. Le plan de relance proposé de 17 000 milliards de yens doit désormais être financé à des taux nettement supérieurs à ceux de tous les plans de relance des quinze dernières années. Ceci modifie le calcul du multiplicateur budgétaire et soulève des questions légitimes quant à la viabilité de la dette à moyen terme.
Si le Japon, la principale économie dont les finances publiques sont les plus tendues, commence à être confronté à des contraintes importantes dues à la hausse des coûts d’intérêt, le message adressé aux autres gouvernements fortement endettés est clair : l’époque où l’on pensait que « les déficits n’avaient pas d’importance » touche à sa fin. La marge de manœuvre budgétaire n’est plus illimitée lorsque les créanciers exigent des rendements réels positifs.
La dimension géopolitique
Au-delà des mécanismes de marché, le pivot du Japon a de profondes implications géopolitiques qui ont à peine fait leur entrée dans le débat public.
L’ordre économique d’après-guerre s’est construit sur l’hégémonie américaine, notamment grâce au statut de monnaie de réserve du dollar et à la profondeur des marchés de capitaux américains. Un élément essentiel de ce système a été la volonté des pays créanciers alliés – le Japon, l’Allemagne et les pays exportateurs de pétrole – de réinvestir leurs excédents dans des actifs libellés en dollars, en particulier des bons du Trésor.
Le rôle du Japon dans ce recyclage a été à la fois considérable et constant. Grâce à des décennies d’excédents de sa balance des paiements courants, le Japon a accumulé des créances sur le reste du monde et a systématiquement choisi de détenir une part importante de ces créances en actifs libellés en dollars. Ce choix relevait en partie d’une rationalité économique et en partie d’un alignement stratégique : soutenir la position budgétaire des États-Unis servait les intérêts plus larges de l’alliance pendant et après la Guerre froide.
Cet accord est désormais mis à rude épreuve par des forces purement internes. Le vieillissement de la population japonaise exige des rendements plus élevés pour financer les retraites et les soins de santé. L’économie politique du Japon privilégie de plus en plus la stabilité intérieure aux engagements extérieurs. Et surtout, l’émergence de la Chine comme centre de gravité économique rival ouvre des perspectives alternatives pour les capitaux et le commerce japonais.
Les États-Unis se sont habitués à financer d’importants déficits budgétaires – qui représentent aujourd’hui environ 6 % du PIB – à des taux relativement bas, malgré une dette croissante. Le Bureau du budget du Congrès prévoit que la dette fédérale américaine détenue par le public atteindra 122 % du PIB d’ici 2034, en vertu de la législation actuelle. Ces projections supposent implicitement un accès continu à des capitaux étrangers bon marché.
Si le principal acheteur étranger devient vendeur net, même progressivement, le fardeau du financement se reporte sur les investisseurs nationaux et les capitaux étrangers sensibles aux prix. Il en résulte des taux d’intérêt réels plus élevés, une croissance plus faible, ou une combinaison des deux. Ce ne sont pas des propos alarmistes, mais des calculs mathématiques.
L’issue déflationniste
Il existe une dimension plus profonde et plus philosophique à ce qui se déroule actuellement. La déflation japonaise des trente dernières années n’était pas qu’un simple phénomène économique. C’était une condition sociale et psychologique : une perte collective de confiance en l’avenir qui s’est manifestée par une épargne excessive, une aversion au risque et un déclin démographique.
En exportant des capitaux à rendement nul, le Japon exportait en réalité la psychologie de la déflation. Les prix des actifs mondiaux ont flambé, non pas grâce à des perspectives de croissance fondamentalement solides, mais parce que d’immenses quantités de capitaux n’avaient nulle part où aller. Les rendements réels négatifs se sont normalisés. Les primes de risque ont atteint des niveaux historiquement bas. Les investisseurs se sont rués sur le moindre rendement positif, quelle que soit la fragilité de l’actif sous-jacent.
Cette dynamique a fait grimper les valorisations boursières, a atténué la volatilité et a encouragé la spéculation. Elle a engendré ce que l’économiste Hyman Minsky a appelé la « finance de Ponzi » : des valeurs d’actifs dépendant d’un effet de levier toujours croissant et de taux d’intérêt perpétuellement bas plutôt que des flux de trésorerie ou des fondamentaux.
La normalisation des taux d’intérêt au Japon signale la fin potentielle de ce cycle. Si la psychologie déflationniste s’estompe véritablement au Japon – si les anticipations d’inflation remontent enfin et que la demande intérieure se redresse – alors les capitaux qui fuyaient en quête de rendement trouveront des opportunités sur leur marché national. L’impulsion déflationniste mondiale s’inverse.
Mais c’est là que réside le piège. Le reste du monde a bâti des structures économiques qui reposent sur cette impulsion déflationniste. L’endettement des entreprises, la dette publique et les bilans des ménages supposent tous des taux d’intérêt perpétuellement bas. L’évaluation des actifs intègre l’idée qu’« il n’existe aucune alternative » aux actifs risqués.
Lorsque le Japon rapatriera ses capitaux, le reste du monde devra se confronter à une question éludée pendant trois décennies : quel est le taux d’intérêt réel d’équilibre dans un monde sans subventions déflationnistes japonaises ?
La réponse est presque certainement plus élevée — voire beaucoup plus élevée — que les prix actuels du marché.
Trois voies à suivre
Les marchés et les décideurs politiques sont désormais confrontés à trois grands scénarios pour les trois à cinq prochaines années.
Scénario 1 : Réévaluation ordonnée des actifs. Les rendements des obligations d’État japonaises se stabilisent entre 1,5 % et 2,0 %. La Banque du Japon relève progressivement ses taux jusqu’à environ 1,0 %, mais marque une pause en cas de ralentissement de la croissance. Les rapatriements de capitaux japonais se poursuivent lentement, ajoutant 20 à 30 points de base aux primes de terme mondiales sur plusieurs années. La réévaluation des actifs est douloureuse mais gérable. Les multiples des actions se contractent légèrement. Les écarts de crédit s’élargissent, mais les défauts restent contenus. Il s’agit du scénario consensuel, avec une probabilité d’environ 50 %.
Scénario 2 : Succès de la relance japonaise . Les mesures de relance budgétaire fonctionnent. La croissance du PIB nominal s’accélère. Les salaires augmentent enfin de façon durable. Le Japon connaît une véritable reprise économique après trois décennies perdues. Les rendements des obligations d’État japonaises se rapprochent de 2,5 %, mais la soutenabilité de la dette s’améliore car la croissance nominale se maintient. Les actions japonaises surperforment leurs homologues mondiales. L’indice Nikkei devient un moteur de croissance plutôt qu’un piège à valeur. Ce scénario optimiste, probable à 20 %, serait salué à Tokyo, mais nécessiterait une importante réévaluation des prix à l’échelle mondiale, car les capitaux japonais restent de plus en plus au pays.
Scénario 3 : Piège de la dette déclenché. Les rendements dépassent les 2,5 % dans un contexte mondial d’aversion au risque. La charge d’intérêts du Japon devient insoutenable compte tenu de son encours de dette. La Banque du Japon est contrainte à un revirement humiliant : rétablir le contrôle de la courbe des taux ou relancer un assouplissement quantitatif à grande échelle malgré une inflation supérieure à l’objectif. Ce revirement de politique monétaire détruit la crédibilité de la banque centrale et provoque une forte dépréciation du yen. Les institutions japonaises vendent en masse leurs actifs étrangers pour couvrir leurs pertes nationales. Les marchés obligataires mondiaux subissent de graves perturbations. Ce scénario extrême, probable à 15 %, mettrait à l’épreuve les limites de la coordination des politiques.
La probabilité restante se répartit entre divers résultats hybrides et intermédiaires, mais ces trois scénarios rendent compte de l’incertitude essentielle.
Implications en matière d’investissement et de politiques publiques
Pour les investisseurs, les implications stratégiques sont claires même si le calendrier tactique reste incertain.
Le risque de duration est de retour. Le marché haussier des obligations, qui a duré 40 ans et a été alimenté par le recul de l’inflation et la compression des rendements par les banques centrales, est terminé. Les placements à long terme comportent désormais un risque réel de perte en capital, et non plus un simple coût d’opportunité.
Le yen japonais deviendra un indicateur clé des tensions financières mondiales. Contrairement aux deux dernières décennies, sa volatilité augmentera et les fortes appréciations lors des périodes d’aversion au risque seront plus fréquentes et plus marquées, à mesure que les positions de portage seront liquidées.
Les valorisations boursières doivent s’adapter à un régime de taux d’actualisation structurellement plus élevés. Les secteurs les plus vulnérables sont ceux dont les flux de trésorerie sont lointains et incertains, et qui sont valorisés à des taux perpétuellement bas : technologies non rentables, croissance à long terme et jeunes entreprises spéculatives.
À l’inverse, les actions japonaises, notamment les valeurs financières qui bénéficient de courbes de rendement positives et de marges d’intérêt nettes plus élevées, pourraient enfin offrir des rendements attrayants ajustés au risque après des décennies de déception.
Pour les décideurs politiques, la tâche est plus complexe. Les banques centrales des États-Unis et d’Europe disposent de moyens limités pour compenser les hausses structurelles des primes de terme induites par les flux de capitaux étrangers. Les autorités budgétaires sont confrontées à un contexte où le financement du déficit devient véritablement onéreux, les obligeant à faire des choix difficiles entre priorités budgétaires et viabilité de la dette.
L’impact politico-économique de cet ajustement sera complexe. Les populations occidentales se sont habituées à ce que les services publics et la constitution de patrimoine soient financés par des taux d’intérêt bas. Le retrait des subventions japonaises sera perçu comme une imposition extérieure, même s’il résulte de choix rationnels de la part du Japon.
Conclusion : Le prix du capital
Ce qui se déroule actuellement n’est pas une crise au sens traditionnel du terme : aucune banque ne fait faillite, aucune monnaie ne s’effondre, aucun marché ne se paralyse. Nous assistons plutôt à un phénomène plus subtil et plus profond : la lente réévaluation du capital lui-même.
Pendant trois décennies, l’économie mondiale a fonctionné dans un régime où le prix de l’argent était faussé par la déflation japonaise. Le capital était abondant et bon marché car les épargnants japonais, prisonniers d’une psychologie déflationniste, exportaient leur épargne à un rendement minimal.
Cette distorsion est en train de se dissiper. Le monde est contraint de découvrir le véritable prix du capital – le taux auquel les épargnants reportent volontairement leur consommation et acceptent le risque. Ce prix est plus élevé que ce à quoi nous étions habitués.
Ce n’est pas la fin du monde. C’est la fin d’un monde très particulier, caractérisé par des taux d’intérêt réels négatifs, des primes de risque comprimées et l’hypothèse que les banques centrales pourraient indéfiniment supprimer la volatilité.
Le nouveau régime sera plus volatil, plus coûteux et plus sélectif. Le prix des actifs sera davantage déterminé par les flux de trésorerie et moins par la liquidité. L’effet de levier engendrera un coût réel. La spéculation subira de véritables conséquences.
Pour ceux qui se positionnent au bon endroit, cette transition ouvre d’immenses perspectives. Pour ceux qui s’accrochent aux idées reçues de l’ancien régime, elle sera catastrophique.
Le message du Japon au monde est simple : nous ne sommes plus disposés à subventionner votre dette sans aucun rendement. Vous devez désormais vous débrouiller seuls.
Le reste du monde commence seulement à comprendre ce que cela signifie.