Editorial important. Confiance, crédit et croyance.

BRUNO BERTEZ

Le 22 Novembre

La détérioration spectaculaire du crédit depuis avril est devenue évidente pour tous. Elle remet en question le bien fondé et l’efficacite de la politique de Trump. Elle justifie les appels a un assouplissement de la politique monétaire tout en en montrant clairement les dangers; plus l’argent est facile, plus les risques augmentent sous la surface.

La hausse parabolique du risque systémique, observée une fois de plus en six mois, devient un parametre clef dans la gestion des affaires américaines.

L’hypothèse de beaucoup de spécialistes selon laquelle nous sommes la fin d ‘un grand cycle du credit –Dialo ou Gundlach par exemple- se trouve confortée; vous savez que cette hypothèse est aussi la mienne. je soutiens que l’on joue les prolongations mais que l’on est dans la phase finale

Beaucoup de choses ont changé en six mois.

-En particulier le mythe des droits de douane comme solution miracle s’est dissipé,

-la folie des cryptos et du Paradis-Eldorado numérique s’est efffondrée,

-les espoirs de l’Intelligence Artificielle ont fondu comme neige au soleil,

-la pyramide financière élevée sur le secteur vacille,

-les comptes sont devenus douteux et circulaires

par dessus tout la popularité de Trump s’est fracassée au point que les journaux n’hésitent plus à considérer que Trump, c’est un President « lame duck », un canard boiteux.

Note je n’intègre dans cet énoncé pas la question militaire Ukraine et Venezuela car elle necessite un développement trop long, mais selon moi cette question militaire est symboliquement importante, elle touche a tout ce qui fait l’exceptionnalisme, la confiance, le crédit, la croyance.

La finance de Wall Street est confrontée à une crise de confiance grandissante, mais cette perte de confiance fait tache d’huile et je me demande si ce n’est pas toute l’humeur sociale américaine, le mood, qui est en train de basculer vers la déception et la morosité.

N’oubliez pas que le crédit comme son nom l’indique est une croyance. Le mood, l’humeur, la croyance c’est ce qui fait la différence entre l’inflation et la déflation.

Les zones douteuses sont nombreuses aux Etats Unis, mais la plus emblématique est celle du Credit Privé . Les excès de la phase terminale se révèlent jour après jour.

14 novembre – Financial Times :

« Les marchés privés font l’objet d’une surveillance réglementaire accrue, et ce à juste titre. Il ne s’agit pas seulement d’un niveau de transparence inférieur à celui exigé sur les marchés publics, ni même du fait que l’évaluation des actifs des marchés privés repose davantage sur des modèles que sur les cours publics, privant ainsi les régulateurs d’informations cruciales pour leur travail. C’est surtout l’ampleur considérable des marchés privés qui pose problème. En valeur, les actifs privés mondiaux sous gestion ont dépassé les 13 000 milliards de dollars en 2023, soit plus du double en cinq ans, selon Preqin. Cette société estime que ce chiffre devrait presque doubler à nouveau d’ici 2030. »

17 novembre – Bloomberg :

« Dans un contexte de marchés inondés de prêts toxiques et de valorisations excessives, Jeffrey Gundlach privilégie une stratégie simple : accumuler des liquidités et se tenir à l’écart du crédit privé… « La santé du marché actions américain est parmi les plus mauvaises que j’aie connues de toute ma carrière », a déclaré Gundlach. « Le marché est incroyablement spéculatif et les marchés spéculatifs atteignent toujours des niveaux vertigineux. C’est systématique. » Cet investisseur chevronné en dette craint que le marché du crédit privé, qui représente 1 700 milliards de dollars, ne se livre à des prêts toxiques susceptibles de précipiter les marchés mondiaux dans un nouvel effondrement… « La prochaine grande crise des marchés financiers sera liée au crédit privé », a-t-il affirmé. « Elle présente les mêmes caractéristiques que le reconditionnement des prêts hypothécaires subprimes en 2006. » Cet avertissement introduit la critique plus générale de Gundlach sur les excès du marché, qui s’étend des prêts risqués aux actions technologiques surévaluées. Il perçoit les signes les plus évidents de comportements spéculatifs dans les paris sur l’IA et les centres de données… Gundlach établit un parallèle avec les notations AAA « gonflées » des prêts hypothécaires subprimes à l’approche de la crise financière et prévient que les gestionnaires privés pourraient avoir une évaluation irréaliste de la valeur de leurs prêts. « Il n’y a que deux prix pour le crédit privé : 100 ou zéro… Il paraît sûr car on peut le vendre n’importe quand, mais il ne l’est pas car le prix auquel on le vend ne cesse de baisser. »

19 novembre – Financial Times  :

« Blue Owl a annulé la fusion de deux de ses fonds de crédit privé après la publication d’un article du Financial Times soulignant les risques de pertes importantes pour les investisseurs de l’un des véhicules. Ce projet de fusion intervenait dans un contexte de surveillance accrue des risques encourus par les investisseurs particuliers qui ont investi des centaines de milliards de dollars dans des fonds de dette privée aux droits de liquidité limités. Le groupe de crédit privé, qui gère près de 300 milliards de dollars d’actifs, a informé ses investisseurs qu’il renonçait à la fusion de son fonds Blue Owl Capital Corporation II, l’un des premiers fonds de crédit privé destinés aux particuliers, avec son fonds de crédit coté en bourse, OBDC, beaucoup plus important. Cette annonce intervient quelques jours après la publication d’un article du FT révélant que les investisseurs de Blue Owl Capital Corporation II étaient invités à échanger leurs investissements contre des parts d’OBDC à la valeur liquidative déclarée des deux fonds. Or, OBDC se négocie avec une décote de 20 % par rapport à sa valeur liquidative sur les marchés publics… »

16 novembre – Wall Street Journal

« Il n’y a pas si longtemps, Blue Owl Capital était une jeune société d’investissement qui prêtait de l’argent à Des entreprises américaines de taille moyenne comme Sara Lee Frozen Bakery. Aujourd’hui, la firme finance d’immenses centres de données, coûtant des dizaines de milliards de dollars, pour des sociétés comme Meta et Oracle – preuve que Wall Street est rapidement devenue le moteur de l’essor de l’intelligence artificielle aux États-Unis. Des gestionnaires de fonds comme Blue Owl ont accumulé des milliers de milliards de dollars de puissance d’investissement et recherchent activement des opportunités pour les mettre à profit. Pendant des années, les opportunités se sont faites rares, jusqu’à ce que l’IA représente une cible idéale. Ce domaine, en raison des sommes colossales nécessaires aux entreprises technologiques pour accroître leur puissance de calcul, offre un potentiel sans précédent. « On parle de chiffres astronomiques, même dans les scénarios les plus pessimistes », a déclaré Marc Lipschultz, cofondateur de Blue Owl. « Est-ce encore pertinent de continuer à compter une fois qu’on aura atteint 1 000 milliards de dollars de dépenses d’investissement dans les prochaines années ? »

19 novembre – Bloomberg :

« Un portefeuille de prêts de crédit privés géré par BlackRock Inc. a enregistré des performances si médiocres que le gestionnaire de fonds… » BlackRock a renoncé à certains frais de gestion, une pratique rare dans le secteur du crédit. Le gestionnaire d’actifs a financé les prêts en vendant des obligations de prêt titrisées (CLO), ce qui signifie que le portefeuille doit afficher une performance suffisante pour réussir régulièrement une série de tests. En cas de non-respect de ces critères, BlackRock peut être amené à prendre des mesures correctives, par exemple en réaffectant automatiquement les revenus d’intérêts des tranches les plus risquées vers des titres plus sûrs. En octobre, la valeur du portefeuille a suffisamment baissé pour enfreindre le seuil de surcollatéralisation, ce qui signifie que la valeur des prêts du véhicule était trop faible par rapport aux obligations les mieux notées.

19 novembre – Financial Times  :

« Près de 37 % des investissements des compagnies d’assurance-vie nord-américaines sont alloués au crédit privé. Or, le crédit privé englobe un large éventail de prêts, allant des placements privés et des prêts immobiliers commerciaux au financement adossé à des actifs et au financement de fonds, domaines dans lesquels les assureurs possèdent une expertise de longue date. Certes, les assureurs ont accru leur exposition pour diverses raisons. Mais cela a-t-il nui à leur liquidité ? Il est difficile d’appréhender l’évolution de la liquidité de ce portefeuille. Manoj Jethani, Alexander Naumann et leur équipe chez Moody’s pensent avoir des éléments de réponse. En résumé : pas de manière brillante. La grande majorité des 3 800 milliards de dollars du portefeuille obligataire des assureurs-vie américains sont notés et classés comme actifs de niveau 1 ou de niveau 2 ; autrement dit, vous pouvez consulter leurs prix sur Bloomberg ou les calculer assez facilement à partir de données observables. Qu’en est-il des actifs de niveau 3 ? Leur valorisation repose sur des données non observables. Et environ un cinquième des actifs obligataires des assureurs-vie américains sont évaluées sur cette base.

A coté du Credit Prive, le Capital Investissement fait des ravages dans les comptes institutionnels.

20 novembre – Bloomberg :

« Personne ne s’inquiète autant du secteur des assurances que Tom Gober. Depuis son bureau à domicile près de Pittsburgh, cet expert-comptable judiciaire suit, documente et met en lumière les faiblesses de ce secteur de 9 300 milliards de dollars, garant du bien-être financier de millions d’Américains. « Je vois des signes avant-coureurs depuis des années et je ne l’ai jamais caché », a déclaré Gober, 66 ans… Plus récemment, il s’est intéressé à ce qu’il considère comme l’évolution la plus inquiétante : l’afflux de milliards de dollars du capital-investissement. Le secteur balaie les critiques d’un revers de main, les qualifiant d’alarmistes inutiles et de toujours prédire une catastrophe qui ne se produit jamais. Mais cet après-midi de mi-octobre, le téléphone de Gober s’est mis à sonner. Josh Wander, cofondateur de 777 Partners, une société de capital-investissement que Gober surveille de près, était accusé d’avoir escroqué des investisseurs et des prêteurs de près de 500 millions de dollars – une fraude présumée rendue possible en partie par son fonctionnement opaque et complexe. » Des liens existent avec certaines compagnies d’assurance américaines. Pour Gober, les éventuels agissements répréhensibles d’un petit commerce ne sont qu’un symptôme.

Je partage largement les inquiétudes exprimées par Tom Gober dans cet article de Bloomberg du 20 novembre. Le Capital-Investissement (ou Private Equity, PE) s’est imposé massivement dans le secteur des assurances et cela pose des risques systémiques non négligeables.

À côté du Crédit Privé, qui lui aussi génère des opacités et des vulnérabilités (comme des expositions à des prêts à haut rendement mal évalués), le PE semble effectivement « faire des ravages » dans les comptes institutionnels, en raison de sa complexité structurelle et de son appétit pour des deals risqués.

Le PE dans les assurances a contitué un levier de rentabilité. Il apporte des bénéfices accrus au secteur assurantiel, qui fait face à des rendements obligataires trop bas pour couvrir les engagements. En investissant dans des actifs alternatifs (immobilier, infrastructures, etc.), le PE permet aux assureurs d’accéder à des performances plus élevées que les obligations traditionnelles, ce qui est crucial pour honorer les engagements à long terme comme les rentes viagères. Des études montrent que cela peut améliorer les retours sur les pools d’assurances de plusieurs points de pourcentage.

Les dangers réels : opacité, fraudes et contagion sont considérables . Les gains viennent avec un prix élevé, et c’est là que Gober a raison de sonner l’alarme. Le PE transforme les assureurs en « banques d’investissement déguisées », utilisant les primes des assurés (9 300 milliards de dollars aux US) pour financer des acquisitions spéculatives, souvent via des structures opaques comme la réassurance offshore.

Le Crédit Privé est problématique (opacité des valorisations, dépendance aux taux), mais le PE va plus loin en « aspirant » les liquidités institutionnelles pour des LBO endettés, souvent à effet de levier extrême. Résultat : des comptes institutionnels (fonds de pension, assureurs) voient leur solvabilité érodée, avec des critiques croissantes sur les conflits d’intérêts.

Des enquêtes du Sénat US et des rapports comme celui de l’ERISA Advisory Council soulignent des faiblesses structurelles.

A mon avis le PE est une catastrophe cachée avec beaucoup de pourriture qui menace la confiance dans les institutions financières. Les ravages potentiels – fraudes, pertes pour les assurés, instabilité systémique – l’emportent sur les aspects positifs apparents. Le PE en tant que modèle de business n’est rien qu’autre qu’un colossal pillage de période de beau temps.

La conférence sur la stabilité financière de la Réserve fédérale de Cleveland, qui s’est tenue cette semaine (« La stabilité financière à l’ère des mutations économiques et technologiques rapides »), était opportune meme si il faut déplorer sinon condamner le ton convenu et le langage politiquement correct.

La présidente de la Fed de Cleveland, Beth Hammack:

 « La Fed a un intérêt majeur pour la stabilité financière, et pas seulement parce que la promouvoir est l’une de ses missions principales. La stabilité financière soutient nos autres objectifs : favoriser un système bancaire sûr et solide, un système de paiement efficace, le développement communautaire et nos objectifs de politique monétaire, à savoir le plein emploi et la stabilité des prix. »

« C’est généralement en fin de cycle de crédit que les prêts les plus risqués sont révélés. Or, comme cela fait longtemps que nous n’avons pas connu de cycle de crédit complet, il est essentiel de rester vigilants. Le manque de transparence est un autre problème. Les crédits privés et les prêts aux entreprises privées offrent généralement moins d’informations financières publiques que les prêts bancaires, les marchés obligataires et les prêts syndiqués. De plus, les prêts de crédit privé incluent souvent des clauses telles que le paiement en nature, qui peuvent permettre d’octroyer des prêts plus risqués à des entreprises moins rentables. »

La gouverneure Lisa Cook, sur « La stabilité financière du point de vue d’une décideuse politique ».

Commençons par replacer les vulnérabilités du système financier dans leur contexte. La Réserve fédérale promeut la stabilité financière afin de soutenir la réalisation de son double mandat : le plein emploi et la stabilité des prix. Autrement dit, la réalisation du plein emploi et de la stabilité des prix dépend d’un système financier stable. L’histoire nous apprend, qu’il s’agisse du passé lointain – la Grande Dépression – ou du passé récent – ​​la crise financière de 2008 ou la Grande Récession – que les crises financières entraînent généralement des pertes d’emplois massives et un chômage élevé. Actuellement, j’ai l’impression que la probabilité de fortes baisses des prix des actifs s’accroît… Une autre vulnérabilité potentielle à surveiller est la croissance du crédit privé. Les services de la Fed estiment qu’au cours des cinq dernières années, le crédit privé a quasiment doublé. Une telle croissance rapide du crédit sur une période aussi courte attire toujours notre attention.

« Ces dernières années, nous avons également constaté l’émergence de chaînes d’intermédiation plus complexes, impliquant des acteurs plus fortement endettés, tels que les banques et les compagnies d’assurance. Certaines entreprises privées peuvent également avoir de multiples sources de financement. Cette complexité accrue et les interconnexions avec des entités financières à effet de levier créent davantage de canaux par lesquels des pertes inattendues sur le crédit privé pourraient se propager à l’ensemble du système financier. »

« Une autre vulnérabilité que je surveille de près est l’influence des fonds spéculatifs sur le marché des bons du Trésor américain. Cette influence a considérablement augmenté ces dernières années et a récemment dépassé son précédent pic d’avant la pandémie. Je m’intéresse particulièrement au risque de transmission de tensions au marché des bons du Trésor américain, essentiel au fonctionnement de notre système financier… Les avoirs des fonds spéculatifs en titres du Trésor (bons, obligations et autres titres de trésorerie) sont passés d’environ 4,6 % du total des titres du Trésor en circulation au premier trimestre 2021 à 10,3 % au premier trimestre de cette année, soit légèrement au-dessus de son pic d’avant la pandémie (9,4 %). »

« Toutes ces caractéristiques des stratégies de valeur relative peuvent rendre les conditions de liquidité du marché des bons du Trésor — et, à l’extrême, le fonctionnement du marché — plus vulnérables aux tensions. »

On pourrait crorie que tout est dit tant le constat est sévère et multifacettes et pourtant non rien n’est dit car l’essentiel est escamoté; à savoir que le responsable ultime de cette situation profondément détériorée cest … la Fed: ceux qui decrivent les dangers et les risques sont précisément ceux qui les produsient,

Le mal n’est pas circonstanciel, non il est radical car il est inscrit dans les logiques de fonctionnement du système dès lors que la voie de l’inflationnisme a été choisie.

Qu’est-ce que l’inflationnisme ? C’est l’idéologie qui fait croire que tous les problèmes de nos sociétés peuvent être résolus par l’impression de monnaie, l’octroi de crédit, la production de dettes et le report dans le futur.

Ceux qui sont causes d’un problème ne sont pas les mieux placés pour le résoudre!

EN PRIME

La plaie béante et non cicatrisée du système bancaire.

La Fed ne peut pas se permettre de faux pas.

j’ai expliqué en son temps que le cout de la politique monétaire non conventionnelle de la FED était colossal mais différé.

La baisse des taux a des vertus aphrodisiaques certes, mais quand les taux remontent c’est l’opposé c’est la debandade.

Les pertes sont considerables, elles sont considérables … sauf si on les dissimule et c’est ce qui se produit !

Ce que vous voyez, ce sont les conséquences du choc de taux le plus brutal de l’histoire moderne des États-Unis.

Pendant des années, les banques ont accumulé des obligations du Trésor et des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) alors que les rendements étaient proches de zéro.

Lorsque la Fed a relevé ses taux la valeur réelle de ces obligations s’est effondrée. Pourquoi ces pertes n’ont-elles pas encore fait s’effondrer le système ? Parce que les pertes latentes le restent tant que les banques ne sont pas contraintes de vendre. Tant que les dépôts sont stables, tant que les liquidités masquent les problèmes de solvabilité.

C’est pourquoi la Fed a mis en place des dispositifs de prêt d’urgence en 2023, pourquoi elle a discrètement assoupli certaines exigences de fonds propres et pourquoi les baisses de taux sont progressives et prudentes.

L’objectif de cette stratégie est de gagner du temps pour que le déséquilibre des durations puisseêtre absorbé .

Une nouvelle hausse des rendements, un choc de confiance, voire une réglementation plus stricte, pourrait déclencher cette situation. La Fed prie pour que personne n’oblige le système à reconnaître ces pertes d’un seul coup.

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