Editorial. Le chaos est naturel, nécessaire et il est endogène.

Je réfléchis comme d’habitude sur les crises , les théories économiques, les modèles économiques qui sont mes matières quotidiennes.

Surtout après la brève intervention de Steve Keen que je vous ai offerte ce matin.

Keen n’ a pas prédit spécifiquement la crise de 2008 mais il en avait évoqué la possibilité théorique dès 2005. Il utilise un cadre théorique non classique, pas vraiment alternatif comme le mien, mais il s’en rapproche.

Note: je ne partage ni la théorie de Blanchard, ni celle de Keen ou celle de Taleb comme vous le constatez au fil de mes écrits. Pour moi les crises ne sont en fait pas des crises , mais des phases de nettoyage de la suraccumulation de capital productif et fictif, ce sont des nécessités systémiques produites de façon endogène par le système pour tenter de se régénérer et se reproduire . Je defends comme Minsky l’idée que la linéarité produit son contraire; la rupture, le chaos.

J’ai retrouvé un texte très important, fondamental même, qui tourne autour de ces questions. J’avais analysé et commenté ce texte en son temps.

Blanchard était économiste en chef du Fonds monétaire international entre 2008 et 2015

Dans ce texte Olivier Blanchard affirme littéralement qu’il est « inutile de changer de modèles » et qu’on peut « conserver les modèles anciens même s’ils sont incapables de prévoir les cygnes noirs », après la crise de 2008.

Ce texte est son article de 2014 intitulé « Where Danger Lurks » (publié dans Finance & Development du FMI).

Dans cet article, Blanchard, sommité parmi les sommités, réfléchit aux leçons de la crise de 2008 sur les modèles macroéconomiques. Il n’utilise pas le terme « cygnes noirs » (black swans), mais il discute des limites des modèles pré-crise face aux crises (qu’il ne considère pas comme purement imprévisibles, mais liées à des zones vulnérables appelées « dark corners » ou « coins sombres »).

Voici les points clés de l’article

Sur les modèles avant la crise : Les modèles macroéconomiques dominants (linéaires, basés sur des fluctuations bénignes et auto-correctrices) fonctionnaient bien en temps normal, mais ils ont échoué à anticiper les effets massifs de petits chocs en situation de vulnérabilité financière.

Sur la nécessité de changer les modèles : Il faut étendre les modèles (notamment les DSGE) pour mieux intégrer le système financier et les nonlinearités. Cependant, une approche pragmatique consiste à conserver les modèles standards pour les temps normaux, à condition que les politiques macroéconomiques et de régulation maintiennent l’économie éloignée des « coins sombres » où les crises se développent puis explosent. Il propose même de développer des modèles séparés pour évaluer les risques systémiques, plutôt que de tout réformer en un seul cadre unifié, car cela serait trop complexe.

Sur la prévision des crises : Les crises ne sont pas de purs événements imprévisibles ; elles surviennent quand l’économie entre dans des zones de vulnérabilité avec endettement élevé, opacité financière, etc., ce sont des périodes où les modèles linéaires classiques ne fonctionnent plus. La Grande Modération (période de stabilité avant 2008) avait masqué ces risques, mais ils étaient prévisibles avec une meilleure attention.

Lien vers l’article complet : https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2014/09/blanchard.htm

Dans une interview aux Echos en 2013, Blanchard est plus critique : il admet que la macroéconomie était « cassée » après la crise et qu’il faut la rebâtir avec des modèles plus modestes et intégrant mieux la finance et les interactions micro.

Il rejette l’idée de tout garder tel quel.

Nassim Nicholas Taleb n’a pas répondu directement et nommément à Olivier Blanchard ou à son article « Where Danger Lurks » (2014), où Blanchard parle des « dark corners » (coins sombres) plutôt que des « cygnes noirs » (black swans).

Cependant, les idées de Taleb critiquent implicitement la position nuancée de Blanchard, qui propose de conserver les modèles macroéconomiques standards (comme les DSGE) pour les périodes normales, tout en évitant les zones de vulnérabilité.

Taleb voit la crise de 2008 comme la preuve définitive que les modèles gaussiennes, linéaires et basés sur des hypothèses d’équilibre (comme ceux défendus par beaucoup au FMI, dont Blanchard était chef économiste) sont fondamentalement fragiles et dangereux. Il les qualifie de « fragilistes » : ils sous-estiment les extrêmes (fat tails), encouragent l’endettement et la concentration des risques, et créent une illusion de contrôle.

Dans ses livres post-crise :

  • Antifragile (2012) → Taleb argue qu’il ne suffit pas d’« éviter les dark corners » ; les systèmes doivent être rendus antifragiles (qui profitent du chaos). Essayer de rester « loin des coins sombres » avec des régulations est naïf, car les vulnérabilités s’accumulent invisibles et les chocs sont inévitables.
  • Skin in the Game (2018) → Il critique les économistes et bureaucrates (comme ceux du FMI) qui donnent des conseils sans payer le prix de leurs erreurs (no skin in the game).

Exemples concrets de critiques de Taleb visant le FMI et ses approches

  • En 2009-2011, Taleb a directement attaqué les projections du FMI → Lors d’une conférence en Corée, il a interrompu un responsable du FMI en disant que leurs prévisions futures n’ont aucune valeur tant qu’ils n’admettent pas leurs échecs totaux à prévoir 2008.
  • Le FMI a ensuite adopté une méthode heuristique de Taleb (2012) pour mesurer la fragilité dans les stress tests bancaires Taleb y voit une validation de ses idées sur la fragilité non linéaire, contre les modèles probabilistes traditionnels.

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