Un système diabolique, la privatisation de la censure.

Ces dernières années, l’État allemand a développé une stratégie singulière : non pas faire respecter ouvertement la liberté d’expression, mais déléguer cette tâche à des organisations de la « société civile » financées par l’État.

Ce qui est présenté comme une lutte contre les discours de haine constitue en réalité un contournement systématique des limites constitutionnelles. La loi de 2017 sur l’application des règles en matière de réseaux sociaux a déjà créé un dangereux précédent.

Depuis lors, les réseaux sociaux sont contraints, sous peine de lourdes amendes, de déterminer dans des délais très courts quelles déclarations sont licites et lesquelles ne le sont pas, sans contrôle judiciaire ni procédure régulière.

Ceci a engendré un pouvoir exécutif privatisé, juridiquement désigné par l’expression « agent autorisé de l’État ».

Les fonctions souveraines sont déléguées à des acteurs privés, même s’ils ne sont pas des organes étatiques. C’est précisément ce qui s’est produit en 2017 : depuis lors, l’État a transféré aux entreprises le pouvoir de décision concernant les limites de la liberté d’expression, créant ainsi une forme de privatisation forcée de la censure.

Dans ce contexte, un contenu est supprimé en cas de doute, non pas parce qu’il est manifestement illégal, mais parce qu’il pourrait poser problème. De cette manière, le droit est remplacé par la gestion des risques.

Huit ans plus tard, ce système a évolué de manière inquiétante.

Aujourd’hui, non seulement les réseaux sociaux se voient confier un rôle que l’État lui-même n’est pas autorisé à exercer, mais même des organisations financées par l’État prennent en charge des tâches qui, si elles étaient effectuées directement par l’État, seraient sans aucun doute considérées comme de la censure.

Des organisations comme « Hessen gegen Hetze » (Hesse contre la haine) ou « HateAid » recueillent, signalent, documentent et évaluent les déclarations des citoyens.

L’État prétend ne pas intervenir directement, se contentant de renvoyer à des « groupes de la société civile libres ».

Mais cette liberté n’est qu’une illusion. Financées par les contribuables, intégrées à des programmes gouvernementaux ou dépendantes de subventions ministérielles, ces organisations ne sont pas indépendantes. Elles n’opèrent pas en vase clos, mais dans un cadre politiquement défini. C’est là que réside le véritable problème : l’État a trouvé une parade. Au lieu d’agir lui-même comme il l’entend, il crée des structures qui s’en chargent à sa place. Et il peut toujours prétendre n’avoir aucune responsabilité quant aux conséquences. La responsabilité est externalisée, et le citoyen devient censeur de son prochain.

L’article 5 de la Loi fondamentale protège explicitement toutes les expressions qui ne relèvent pas de la responsabilité pénale. Toutefois, les nouveaux centres de signalement ciblent spécifiquement ces opinions juridiques.

Les déclarations non prohibées sont documentées, catégorisées et analysées par les citoyens eux-mêmes.

En Allemagne de l’Est, il existait des informateurs non officiels ; aujourd’hui, ce sont des fonctionnaires. Ils surveillent ce que l’État n’est pas autorisé à censurer ouvertement. Ils rapportent ce qui n’est pas interdit. Ils stigmatisent ce que l’État n’est pas autorisé à révéler. Il s’agit d’une censure indirecte, et c’est précisément pour cette raison qu’elle est si dangereuse : elle se dissimule derrière un masque de prévention et de protection de la société civile.

En réalité, elle institutionnalise la peur de dire ce qui ne va pas.

La Loi fondamentale est un droit fondamental du citoyen face à l’État. En Allemagne, cependant, l’État est parvenu à inverser ce rapport. La Loi fondamentale n’est plus perçue comme un rempart pour le citoyen contre l’État, mais plutôt comme un instrument de répression morale exercé par l’État contre le citoyen.

En invoquant la Loi fondamentale, l’État consolide son pouvoir en faisant croire aux citoyens qu’elle les maintient sous contrôle. Il instrumentalise les citoyens pour les discipliner. L’État ne censure plus ; il dénonce. Il s’agit là de l’inversion diabolique du soi-disant « ordre fondamental libre et démocratique ».

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