Les bulles éclatent; de la gestion par les bulles; ou il est affirmé que les USA reprennent la main.

Ce a quoi nous assistons en Chine n’est pas anodin. Ce n’est pas un accident. C’est une phase du développement de la crise qui a montré sa face horrible en 2008/2009.

Nos analyses et commentaires ne se comprennent et n’ont de logique que si on accepte notre thèse de la continuité. C’est le même mouvement qui nous porte, c’est la même tendance qui se manifeste dans le monde global, sous diverses formes et sous divers modes d’apparaître, depuis 2008.

Faites nous la grâce d’accepter cette datation, sans discussion, pour la commodité de l’exposé. Elle est artificielle, elle ne correspond qu’à un souci de simplification car dans la réalité les tendances qui se sont extériorisées en 2008 viennent de beaucoup, beaucoup plus loin, elles viennent du milieu des années 60 et elles ont pris naissance dans le camp anglo-saxon.

C’est vers le milieu des années soixante (difficultés de la Livre Sterling et difficultés de financement des dépenses de Kennedy ) que l’on a buté sur les limites et qu’il a fallu les repousser par les entorses monétaires de plus en plus audacieuses ; on a alors abandonné l’orthodoxie du central banking qui prévalait jusqu’alors. Ces audaces ont débouché sur l’abandon du rôle de l’or, puis sur la dérégulation, puis sur l’inflationnisme généralisé et à toutes les sauces.

Comprenez bien qu’inflationnisme ne veut pas dire hausse des prix des biens et des services, mais tendance à utiliser l’arme de la production de crédit, le gonflement du bilan des banques centrales, les taux de plus en plus bas et les assurances de « PUT » accordées à la communauté financière mondiales pour tenter de retarder tous les problèmes. L’inflationnisme est un enfant de la tendance à la déflation.

L’inflationnisme est le choix qui est fait face aux tendances spontanées du système moderne à se mettre en « mode crise ». De ceci témoigne ce que l’on voit et constate ; à savoir la multiplication des crises sous sous toutes leurs formes et toutes les latitudes d’une part et le gonflement corrélatif de la masse de crédit, de dettes, l’inflation du stock d’actifs financiers et de créances dans le monde global, d’autre part. L’un produit l’autre et l’autre produit l’un. Le bien est inséparable du mal, le mal est inséparable du bien, c’est ce que l’on appelle: un système. Un arbre à deux branches.

Dans un temps plus ancien vers les années 2000, nous désignions ce mode de gestion des économies par une expression qui était refusée alors, mais a acquis droit de cité maintenant : « le gouvernement pas les bulles ».

La thèse est la suivante, nos économies soufrent d’une insuffisance de revenus gagnés chronique ; il faut, pour obtenir une croissance minimum, non socialement explosive, compléter ces revenus par un pouvoir d’achat distribué à crédit, donc par du pouvoir d’achat octroyé, non gagné. Pourquoi ? Parce que si on augmentait les revenus, en particulier salariaux, l’inflation augmenterait, il faudrait monter les taux et ce serait la révulsion du système. Le système ne peut supporter ni la baisse des profits que produiraient les hausses de revenus salariaux, ni la baisse des cash-flows car ils sont indispensables pour assurer le service des dettes. Il ne peut supporter une hausse des taux d’intérêt : le stock de dettes et les déficits sont trop élevés, on a atteint le point de non retour. C’est marche ou crève.

La différence essentielle de notre cadre analytique avec celui des Maîtres tient à ceci, eux disent: il y a une insuffisance de la demande globale, donc produisons plus de dettes, plus de pouvoir d’achat à crédit. Nous nous disons, il y a une insuffisance des revenus salariaux et de la vraie épargne, ceci entraîne un pouvoir d’achat trop faible pour faire tourner la machine économique, pour rentabiliser tout le capital accumulé et pour assurer le service de toutes les dettes. Et tant que l’on n’aura pas résolu le problème, on sera obligé de faire de la fuite en avant dans la production de nouvelles dettes de plus en plus risquées, c’est à dire dans ce que nous appelons l’inflationnisme.

La thèse des Maîtres est non pas une thèse de vérité, mais une thèse idéologique de circonstance qui leur permet de tenter de perpétuer une situation très et de plus en plus déséquilibrée, fragile, injuste et inefficace. C’est une thèse purement idéologique, mensongère et mystifiante qui a pour objectif de masquer la réalité, de multiplier les faux remèdes et de gagner du temps. Tout ceci au prix d’une fragilisation accrue, d’une instabilité récurrente et d’une destruction des fondements de nos sociétés.

L’insuffisance de la demande globale est bien réelle, mais elle est relative à la masse de capitaux accumulés. Son origine est double, dialectique, elle tient à l’insuffisance des revenus gagnés, les salaires et à l’excès de capital qu’il faut rentabiliser et à l’excès de dettes qu’il faut honorer. En clair le fardeau que l’on fait supporter à l’âne que constituent les salariés est trop lourd en regard de ce qu’on lui donne à manger. L’âne est trop faible pour bien accomplir sa fonction économique qui est de faire tourner la machine. Car l’âne doit faire deux choses , il a une double mission: produire; travailler bien sur et en même temps il doit acheter, consommer, être un client. Les revenus distribués, donc acquis par les ânes/salariés et les vrais épargnants ne sont pas assez élevés pour assurer que l’on puisse produire assez de profit pour le capital accumulé et assez de cash-flow pour payer les intérêts des dettes et assurer les remboursements.

Et là ou les Maîtres disent : eh bien produisons du crédit, pour compléter ce pouvoir d’achat insuffisant des ânes , nous nous disons, cette démarche est criminelle car elle augmente la masse de dettes dans le système, elle augment le fardeau que doit porter l’économie productive, elle asphyxie le Système, elle le fragilise et le rend surtout dépendant de la poursuite de l’administration de ce faux remède, elle oblige à produire toujours plus de dettes.

Et c’est là ou se serre le nœud de la bulle présente, celle que nous appelons la bulle de la dette souveraine. En effet , les agents privés ne peuvent pas supporter beaucoup plus de dettes malgré les taux très bas, il faut qu’un autre agent économique plus solide supporte le poids de la création de dettes supplémentaires, supporte le poids de la création d’une demande suffisante dans l’économie et cet agent, il n’y en a à ce stade, qu’un, le Souverain, autrement dit, les Etats. D’ou les déficits des Etats, d’ou leur stock de dettes sans cesse croissant, d’ou la dégradation de leur solvabilité, d’ou la nécessité de faire en sorte que ces dettes ne coûtent rien et donc les taux zéro, d’ou la nécessité, maintenant d’aller jusqu’à faire acheter ces dettes par les Banques Centrales, ce que l’on appelle les achats de titres à long terme, les QE, d’ou les « printing ». Le printing étant un mot approximatif pour designer cette situation dans laquelle les gouvernements vendent de la dette à la Banque Centrale , laquelle augmente ainsi la taille de son bilan.

Au passage vous comprenez que, face à la dégradation de leur solvabilité les Etats, sous la pression des banques qui veulent faire leur plein, proclament que les peuples vivent au dessus de leurs moyens, proclament que la solution c’est l’austérité, c’est à dire encore moins de revenus disponibles pour les salariés et les vrais épargnants. Et vous comprenez que ce faux remède aggrave le mal puisqu’il augmente la disproportion entre les revenus distribués ; lesquels stagnent ou régressent et la masse de capital et dettes qui elle, croit sans cesse. Les remèdes produisent le mal ! Voila pourquoi dans ce système scandaleux le chômage ne cesse de croître, il est la variable d’ajustement qui permet de maintenir en vie le capital fictif sans cesse croissant qui est nécessaire pour faire tenir le système.

Dans le cadre de notre analyse, on comprend que dans cette voie, il n’y a pas de retour en arrière, une bulle succède à une autre, un subterfuge suit le précédent, et ceci jusqu’à ce que toutes les astuces aient été utilisées. Dans ce mouvement de production de bulles, le risque, le danger, la fragilité remontent des agents périphériques vers les Centres, et les Centres ultimes ce sont les couples Gouvernements/ Banques Centrales. Auxquels on devrait ajouter maintenant, le FMI.

Une analyse logique, simple , non idéologique conduirait à accepter notre cadre analytique, à considérer que face à l’insuffisance des revenus gagnés on ne peut augmenter les dettes à l’infini et qu’il faut arrêter de fuir en avant. Une analyse logique ferait le rapprochement entre l’irrésistible ascension de la masse de dettes, de capital , d’assets financiers émis et côtés sur les marchés et la multiplication des crises. La masse de capital étant auto-croissante, détachée de plus en plus de la production des richesses réelles et de plus en plus à l’inverse, dépendante, de la production de nouvelles dettes, c’est à dire pour simplifier, du printing.

La crise de 1929 a été détournée idéologiquement par les stipendiés, les larbins des Maîtres du Système dont Bernanke constitue le meilleur exemple. Sa réécriture de l’histoire et sa mauvaise foi lui permettent d’affirmer que si crise il y a eu c’est parce que la Réserve Fédérale d’alors n’a pas produit assez de dettes, alors que c’est l’inverse, c’est parce à un moment donné, elle en a rajouté face à une économie réelle essoufflée et déjà spéculative. Elle a donné ce que l’on a appelé alors « un coup de whisky », un coup de gnôle monétaire, un coup de fouet et qu’elle a ainsi mis le système en position de devenir incontrôlable. Lors de la crise de 29 on a essayé de mettre en place un palliatif, un remède qui est tout à fait semblable au remède actuel ; Morgan a essayé de faire un cartel pour soutenir les cours de Bourse sur les niveaux spéculatifs inflatés, mais Morgan a échoué parce qu’à l’époque on n’avait pas encore inventé la « printing press électronique » que Bernanke a eu à se disposition, le cartel sachant que les moyens étaient limités s’est disloqués dans le sauve qui peut, le chacun pour soi. Mais maintenant, les moyens sont illimités et les scrupules inexistants, donc les participants savent que l’on peut aller jusqu’au bout, jusqu’au bout de la destruction du Centre ultime, le couple Banque Centrale/ Gouvernement.

Les « liquidationnistes » de 1929 sont de la même école de pensée que nous, ils constataient alors le même phénomène et les mêmes déséquilibres, et ils pensaient qu’il fallait accepter de détruire la « pourriture », c’est à dire l’excès de capital et de dettes qui asphyxiaient le système, il fallait dégonfler les fausses valeurs, crever les bulles. Ils ont perdu le combat intellectuel et idéologique et depuis tout se passe comme si ils n’avaient jamais existé. Nous sommes maintenant dans l’unilatéralisme inflationniste. C’est la doctrine dominante, celle qui asseoit la domination des dominants sur les dominés. Par le gonflement des vessies que l’on fait prendre pour des lanternes.

Face à une tendance à la déflation, face à la masse de marchandises qui ne trouvent pas preneurs comme l’automobile par exemple, on stimule la production de crédit. De l’argent se déverse quelque part, cette stimulation provoque une hernie à un endroit donné dans le système, l’argent s’y accumule, attiré par le momentum et les gains faciles. Dans le système mondial, à un moment donné, un peu au hasard, la hernie ne peut continuer à enfler, elle éclate et les autorités « nettoient les dégâts (le mopping de Greenspan) en soufflant une nouvelle bulle ailleurs, en y dirigeant de nouveaux crédits.

L’histoire contemporaine n’est que la succession/constitution de cette chaîne de bulles. Bulles des crédits d’Amérique Latine, bulle des dettes asiatiques, bulle post crise 87 , bulle post LTCM, bulle post millénium 2000 , bulle Telco, bulle du Housing , bulle de l’ingénierie financière,bulle du Private Equity, bulle des M&A, bulle de ceci, bulle de cela… bulle des Emergents, bulle de la Finance Souveraine.

Nous sommes dans la bulle de la Finance Souveraine, c’est à dire la bulle de l’expansion inconsidérée des dettes souveraines. Cela c’est le fond, la toile de fond, mais il y a des myriades d’autres bulles ou sous-bulles ; comme par exemple celle du cours du pétrole et des matières premières, celle de la construction en Chine, celle du marché des actions chinois. Et plus près de nous , celles du crédit High Yield, des biotechs, celles de entreprises de lutte contre la guerre informatique, la Cyberwar, etc etc.
Nous citons les dernières bulles, la nationale chinoise, la construction et les actions chinoises, les commodities, car elles sont en train d’exploser en même temps et de façon corrélées. C’est une phase finale de la bulle du Reflation Trade qui a été soufflée par les USA avec leurs QE.

L’éclatement des bulles et leur nettoyage, le « mopping », accomplit partiellement la fonction « liquidationniste » dont nous parlions ci dessus. Du capital est détruit, il y a quelques faillites. Quelques scandales. C’est le capital le plus périphérique à un moment donné, qui est euthanasié. C’est en quelque sorte la « destruction/liquidation » au niveau du maillon faible du Système du moment. Pour le faire il suffit de resserrer un peu la liquidité monétaire, de rendre le crédit un tout petit peu moins facile.

C’est ce qui se passe en ce moment, les USA pilotent un petit renchérissement du crédit que les plus faibles et les plus fragiles ne peuvent pas supporter. On leur tire le tapis sous les pieds. Ce resserrement du crédit est léger, mais il joue non au niveau réel ,mais au niveau de l’appétit pour le risque et surtout au niveau de la hausse du dollar. C’est même ce dernier phénomène qui est déterminant. La hausse du dollar tue les plus faibles et elle a toutes chances de se poursuivre… tant que les USA y gagneront plus qu’ils n’y perdront. N’oubliez jamais que tout est dialectique, tout a un coût et des inconvénients.

Ce que Greenspan appelle la fonction de dissémination du risque des marchés est au cœur du système actuel ; la fonction de dissémination consiste à préparer le terrain pour la prochaine petite ou moyenne phase de destruction. La dissémination consiste pour les élites financières qui sont les gentils gestionnaires le système, à orienter la faiblesse, à la localiser, à la circonscrire, afin que l’éclatement de la bulle ne mette pas en péril l’ensemble. Un peu comme si, de temps à autre, il fallait une saignée ou une amputation pour repartir de l’avant. L’éclatement de bulles partielles permet des rééquilibrages eux mêmes partiels.

Un excellent observateur comme Albert Edwards, penseur très respecté , pense que l’éclatement de la bulle chinoise qui est en cours est le prélude à quelque chose de gros. Il semble penser que les tendances déflationnistes vont s’amplifier de plus belle dans le monde global par le biais, par la courroie de transmission des dévaluations des monnaies des émergents et de la Chine.

Nous divergeons. Nous considérons que l’éclatement de la bulle des émergents et celui de la bulle chinoise sont certes, dans une optique courte, déflationnistes en terme de prix des biens et services, mais qu’il sont au contraire « inflationnistes » dans le sens que nous donnons à ce mot : ils permettent de refaire un tour d’inflationnisme. Ils repoussent une limite qui était en train de se dessiner. Avec l’éclatement des bulles des émergents et de la Chine, on peut refaire un tour, on peut prolonger la Great Experiment.

Notre divergence d’avec Albert recouvre la divergente entre l’aspect court/moyen terme et l’aspect fondamental/structurel des évènements. Nous disons que la bouffée déflationniste temporaire est le prix à payer, elle permet la poursuite de « l’inflationnisme » comme mode de gestion de nos économies.

La destruction partielle autorise la poursuite de l’expérience et surtout l’évolution vers ce système permanent dont nous pensons que les élites rêvent, un système ou le patrimoine des classes moyennes, ou l’argent, la monnaie ne sont plus des intangibles, ne sont plus des invariants, et des acquis, mais sont bio-dégradables, ajustables selon les besoins de reproduction du système, de leur système. C’est le système dont rêvent la nuit les banquiers comme Buiter de CitiBank.

Tout ceci peut très bien se traduire par une secousse sur les marchés, mais nous n’anticipons pas le pire, nous disons bien « secousse ». Le centre ultime, les USA est en train de reprendre la main après sa dérive des dernières décennies. Il a compris qu’il a crée lui même, par son propre laxisme, ses rivaux stratégiques.

Qui aurait imaginé la descente aux enfers du Japon il y a quelques décennies quand les capitaux nippons raflaient tout sur les marchés ? Qui aurait imaginé que la balance des paiements des Chinois deviendrait aussi rapidement déficitaire en quelques mois ? Qu’ils seraient obligés de puiser et de vendre leurs réserves ? Qui aurait imaginé pareille érosion accélérée de la compétitivité du système chinois il y a deux ans ?

Une réflexion sur “Les bulles éclatent; de la gestion par les bulles; ou il est affirmé que les USA reprennent la main.

  1. Merci pour cette analyse.

    On peut voir également l’évolution de la crise comme le fonctionnement d’un tourniquet où chaque pôle de la mondialisation se refile la « patate chaude » par le jeu des dévaluations/QE.

    En 2009 c’est les US, puis le japon avec les abénomics, puis le LTRO/QE de Draghi et dernièrement la chine avec la dévaluation du Yuan.
    Le tour est maintenant complet. Les US vont très probablement lancer un QE4 en 2016, puis le Japon /UE en 2017 etc…

    Je pense que le jeu s’arrêtera et donc que la limite du système sera atteinte lorsque la dépréciation/dévaluation des monnaies fera monter les prix des matières premières agricoles (blé, riz, etc.). Car à la différence des MP « industrielles » (métaux et même le pétrole), le prix des MP agricoles ne peut être manipulé indéfiniment à la baisse, tout simplement parce que la demande alimentaire ne peut se contracter indéfiniment. Il faut bien manger!

    Dès que les disettes apparaîtront dans des pays développés, le « système » ne pourra plus se cacher derrière une dévaluation, et tout sautera alors très certainement dans une hyperinflation.

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