Décision de la Fed : le spectacle va commencer, les aboyeurs et la claque sont à leurs postes

[Bloomberg] Yellen’s Decision to Delay Fed Liftoff Points to Global Risks
Les dépêches après la décision de ne rien faire

-La Fed est vue comme ultra colombe

-baisse du dollar

-hausse des valeurs du Trésor
[Bloomberg] Dollar Falls Most Since August Meltdown as Fed Keeps Zero Rate

[Bloomberg] Treasury Notes Gain Most in 6 Months as Fed Seen `Ultra-Dovish’

[NYT] Fed’s Hesitance, Not Its Decision, Surprises Economists

[Reuters] Fed decision unlikely to calm markets, fund managers say

[NYT, Irwin] Why Yellen Blinked on Interest Rates

[WSJ, Hilsenrath] Fed Leaves Interest Rates Unchanged

Article Bruno Bertez du 17 septembre 2015

Décision de la Fed : le spectacle va commencer, les aboyeurs et la claque sont à leurs postes

A quelques heures de la décision de la Réserve fédérale américaine sur ses taux d’intérêt, nous avons choisi un angle d’analyse tout à fait particulier. Nous avons porté notre attention sur la mise en scène de cette décision. C’est un élément déterminant et pourtant personne n’y prête attention.

Les autorités tirent leur pouvoir du spectacle, c’est-à-dire de leur capacité à mobiliser l’attention. Dans le cas présent, il s’agit du monde entier de la finance, de l’économie et de la politique. Il s’agit de battre le tambour pour que tout le reste s’interrompe, pour que l’attention soit concentrée et pour que tout le reste soit escamoté. C’est exactement la démarche de David Copperfield, l’illusionniste de renommée mondiale. Nous l’avons répété cent fois, mais on ne le répète jamais assez, ces gens n’ont aucun pouvoir magique, aucune compétence particulière, comme le prouve la succession de leurs erreurs, mais ils ont une capacité exceptionnelle à occuper le devant de la scène, et, à partir de là, une capacité à modeler les perceptions. Leur pouvoir n’agit pas sur le réel, il agit sur les esprits. Certains soutiennent qu’en agissant sur les esprits, c’est-à-dire sur les perceptions, les responsables de la conduite des affaires finissent par rencontrer l’efficacité. En quelque sorte, les perceptions joueraient le rôle de courroie de transmission de leur pensée magique.

Nous pensons que ceci est partiellement vrai, en particulier dans le court terme. C’est la fameuse affirmation selon laquelle les prophéties se réalisent d’être crues. C’est aussi ce que l’on peut appeler, un peu plus sérieusement, la réflexivité. En vertu de la réflexivité, la sphère des signes, la sphère des mots, la sphère des incantations financières, finit par produire le réel. En vertu de la réflexivité, et pour aller à l’essentiel et au plus clair, on peut soutenir que la finance produit le réel, on peut soutenir que la sphère financière est première et que la sphère économique n’est que seconde.

Lorsque nous réfléchissons personnellement sur ces questions, nous avons une position double.

D’abord, nous pensons que la sphère financière, dans nos sociétés et depuis plus de trente ans, est devenue première. C’est elle qui gouverne, qui conduit, qui produit l’économie par le biais des marchés, lesquels ne sont rien d’autre que des lieux de rencontres des perceptions. En vertu de ce présupposé théorique, nous considérons donc que lorsqu’il s’agit de tenter de prévoir l’évolution des marchés, et l’évolution de l’économie à court et moyen termes, ce sont les signes, les incantations et les perceptions qui sont déterminants. Tout ce qui concerne le moral, le sentiment, l’opinion des agents économiques est à prendre en considération. Pour résumer, nous affirmons que, dans une perspective courte et un peu moyenne, les abracadabras de nos magiciens fonctionnent relativement bien.

Ensuite, nous pensons que la sphère économique a ses règles propres, ses lois naturelles auxquelles on ne peut échapper. Nous disons souvent que ces lois sont l’équivalent dans le monde physique de ce que l’on appelle la loi de la pesanteur ou la loi de la gravitation. En économie, nous la formulons comme loi de la rareté ou encore, sous une forme plus proche de celle de Marx, la loi de la Valeur. Sur le long terme, on ne peut échapper à la loi de la Valeur. Mais insistons, sur le long terme uniquement. Entretemps, on peut biaiser, tricher, détourner, mentir, enfumer. Sur le long terme, le réel prend le dessus, c’est ce que les économistes fondamentalistes classiques appellent la Grande Réconciliation. Certains appellent cela le retour aux moyennes de long terme. Quelles que soient les appellations, on tourne toujours autour de la même idée. Le monde des signes et des perceptions peut s’écarter longtemps du monde sensible et physique, mais, un jour ou l’autre, vient le jour des comptes, ce que les économistes américains appellent The Day of Reckoning. The Day of Reckoning est un concept très riche puisqu’il recouvre à la fois la réalité et les perceptions. Le jour des comptes, c’est le jour où le réel refait irruption dans la sphère financière sous forme de crise ou encore de rupture. C’est ce qui s’est passé en 2008/2009. L’idée que le prix des logements ne pouvait que monter et aller jusqu’au ciel a été fracassée par l’évolution réelle des prix du logement, avec un sous-jacent en chute libre, la valeur des prêts hypothécaires s’est effondrée. C’est ainsi qu’a débuté la grande crise financière. Mais le jour des comptes a un aspect psychologique et il ne faut pas le négliger. La menace qu’un jour le réel reviendra se venger hante les esprits, en particulier les esprits des participants aux marchés. Ils ont une sorte de culpabilité, car ils savent au fond d’eux que bien mal acquis ne profite jamais. L’arrivée du jour des comptes, c’est l’arrivée du jour de la sanction. C’est le jour où l’on rend tout ce que l’on a reçu et qui est tombé du ciel. Si, comme nous, vous avez passé votre vie à fréquenter les marchés, vous savez à quel point tous ces gens sont superstitieux…

Donc, pour nous résumer, retenez bien ceci. La décision de la Fed est l’occasion d’une grande messe, l’occasion d’une mise en scène globale, dont la fonction objective dans le système est de renforcer le pouvoir des soi-disant responsables de la conduite des affaires, de faire croire qu’ils ont les choses en mains, et symétriquement, de vous faire comprendre que vous, vous n’êtes rien, vous êtes un sujet, vous êtes un fidèle, vous êtes un croyant. Eux sont tout. Ils peuvent tout vous donner ou tout vous reprendre, en particulier si vous avez joué, et le mot important est « joué », en particulier si vous avez parié dans un sens ou dans l’autre. Le fameux pari qui est à la Une de tous les médias : montera/montera pas ? Arrêtez-vous un instant pour reprendre confiance en vous et en votre jugement. Prenez la mesure du caractère dérisoire de ce pari, montera/montera pas : que représente une hausse éventuelle des taux de 0,25% quand, sur les marchés, les taux constatés varient quelquefois en l’espace d’une semaine, de 2 ou 3 fois plus, comme on l’a vu au premier semestre 2015. Le pouvoir des Maîtres consiste à vous présenter un choix binaire, un choix en tout ou rien, alors que le monde réel fonctionne autrement que cela. La correction qui est intervenue cet été sur les marchés a coûté beaucoup plus cher au Portefeuille Mondial que ce que peut coûter l’ajustement de la valeur théorique des mêmes portefeuilles dans le cas de hausse des taux.

Tout ce que l’on vous dit, ou que l’on va vous dire, n’a qu’un objectif, vous induire en erreur.

  • On vous a dit que la hausse des taux serait dépendante de l’évolution des données économiques, c’est un mensonge, elle ne dépend que des conditions financières constatées sur les marchés. La meilleure preuve est que l’inflation mesurée par le PCE aux Etats-Unis, cette inflation qui est censée guider la Fed,  a fortement baissé depuis novembre 2010, date du premier Quantitative Easing. Si le QE avait pour objectif de lutter contre la déflation et de pousser l’inflation à la hausse, c’est un échec lamentable puisque le PCE est maintenant beaucoup plus bas qu’il ne l’était en novembre 2010. Si l’inflation avait la moindre importance, la décision sur les taux ne devrait faire aucun doute.
  • On vous a dit que la politique monétaire de la Fed était dépendante des statistiques économiques et en particulier de l’emploi. On vous l’a seriné pendant des années. Alors, dans ce cas, il n’y a aucun doute, le chômage est faible, il est revenu dans les zones moyennes de long terme, il faut monter les taux, les maintenir bas n’a plus aucun sens. Si l’emploi avait la moindre importance, la décision ne devrait faire aucun doute.

Ce ne sont que deux exemples pour vous montrer que les arguments invoqués par la Fed sont des rationalisations. Ni l’inflation, ni l’emploi, ne guident les décisions des gouverneurs. Pendant longtemps, ce qui les a guidés, c’était la situation du secteur bancaire, maintenant, ce qui les guide, c’est la situation de ce que l’on peut appeler le complément du secteur bancaire, nous voulons parler des marchés. Car le système financier, dans sa forme moderne, c’est banques+shadow banks+ marchés. Et si les banques sont en meilleure santé, et si le shadow tient malgré ses déséquilibres, c’est parce que l’on a inflaté et fait léviter les marchés. La question pour les gouverneurs est celle-ci : est-ce que les marchés peuvent supporter une hausse symbolique des taux de 0,25%. C’est la question centrale et les observateurs n’ont même pas remarqué que, lors de la grande messe au Grand Teton le mois dernier, ce qui a été analysé, c’est la situation des marchés, et non pas la situation de l’économie américaine. L’idée du report de la hausse des taux du 17 septembre a été produite par l’accès de volatilité sur les marchés et non pas par les fameux datas économiques. C’est un révélateur et il est important d’en prendre conscience.

En effet, comprendre les motivations des responsables est plus important qu’écouter leurs sornettes. Leurs sornettes visent à vous faire partir dans le zig alors qu’il faudrait se diriger dans le zag. Leurs sornettes ont pour objectif de rendre politiquement acceptables des décisions qui, autrement, ne le seraient pas.

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