Dette de la France, «la crainte d’une crise à la grecque»-Jean Pierre Robin

Le Figaro

Par Jean-Pierre Robin

Alors que l’agence financière Moody’s n’a pas sanctionné la France pour le dérapage de sa dette publique, l’opposition comme la majorité invoquent le scénario noir de la Grèce.

Éric Ciotti et Emmanuel Macron en sont la preuve vivante chacun à sa façon : la crise financière grecque, qui a duré près de dix ans, de 2009 à 2018, faisant s’effondrer d’un tiers le PIB du pays et mettant 27 % de la population au chômage, hante nos politiques. La tentation des comparaisons avec la Grèce revient en force au moment où la France est menacée d’une dégradation de sa note financière ce vendredi soir par l’agence Moody’s. « L’heure de vérité est arrivée : nous empruntons le même chemin que la Grèce. Mille milliards , ce sera la facture d’Emmanuel Macron en l’espace de deux quinquennats », accusait, le mois dernier, le président de LR dans un entretien aux Échos.

Le chef de l’État lui-même se sert des souffrances inouïes subies par les Grecs comme d’un épouvantail… pour justifier le « quoi qu’il en coûte » : « La France n’a jamais connu ce qu’on appelle une période d’austérité à l’échelle européenne. La Grèce, l’Espagne ont connu des périodes d’austérité, où on baisse le niveau des retraites, où il y a des licenciements massifs dans le secteur public. Nous n’avons jamais connu cela » , expliquait Emmanuel Macron, lors d’un déplacement dans la Drôme en juin 2021, à une interlocutrice lui demandant « de promettre aux Français qu’il n’y aurait jamais de période d’austérité ».

Le spectre de la crise n’est jamais loin

Impensable en effet pour un Français, la baisse de 10% des traitements des fonctionnaires et des retraites ou le recul de 5 ans de l’âge de la retraite portée à 65 ans, quelques-unes des mesures d’austérité annoncées dans l’urgence au printemps 2010 par le premier ministre socialiste Georges Papandréou. On est alors quatre mois à peine après la dégradation par l’agence de notation Fitch de la note de l’État grec, ramenée de A- (« qualité moyenne supérieure ») à BBB+ (« qualité moyenne inférieure » ).

Les agences Moody’s et S&P emboîtent très vite le pas, sanctionnant elles aussi l’aveu par le gouvernement de la gauche Pasok, élu en octobre 2009, d’un doublement du déficit public porté à 12,7% du PIB. Les malheurs de la Grèce venaient de commencer. Ils mettront bientôt sur la sellette l’existence même de l’euro. Le Fonds monétaire international (FMI) sera obligé d’engager des crédits hors norme (deux à trois fois plus que pour l’Argentine), les banques privées devront abandonner une centaine de milliards d’euros de leurs créances, et les États européens accepter des dizaines de milliards de pertes.

Le gouffre des Jeux olympiques

En réalité, tout avait débuté cinq ans plus tôt, en septembre 2004, alors que la fête des Jeux olympiques d’Athènes avait pris fin. L’audit des finances publiques demandé par la droite, arrivée au pouvoir au printemps 2004, montre que les comptes ont été maquillés pour entrer dans l’euro le 1er janvier 2001. « Un énorme problème », s’étrangle le président de la Banque centrale européenne (BCE) Jean-Claude Trichet, blanc comme un linge. Une mission d’Eurostat – l’Insee européen – est dépêchée à Athènes pour élucider l’ampleur du désastre et l’incompétence de l’administration, qui compte 800.000 fonctionnaires (pour une population de 10,3 millions) : le pays n’a même pas de cadastre pour collecter l’impôt foncier et immobilier !

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Or, curieusement, il ne se passera rien pendant cinq ans. La BCE a d’autres chats à fouetter. Il lui faut gérer « l’initiative de croissance » mise au point, contre son gré, par Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schroeder, autorisant les États à ne pas respecter provisoirement le plafonnement des déficits publics à 3% du PIB. Berlin en profitera pour lancer son plan de réformes structurelles (« l’agenda 2010 ») quand Paris prendra l’habitude de bafouer l’orthodoxie budgétaire.

Cerise sur le gâteau, on apprend qu’Athènes avait conclu un « deal » (des accords de swap) avec la banque Goldman Sachs pour afficher une dette limitée à 104 % du PIB. Un niveau jugé « présentable » pour entrer dans l’euro, pourtant bien au-delà de la norme de 60% du traité de Maastricht. L’Italie et la Belgique n’avaient-elles pas été autorisées à participer à l’euro dès 1999 malgré une dette supérieure à 100% du PIB ? Et puis l’économie grecque pèse à peine 2% de la zone euro, elle ne saurait contaminer le club, qui ne pourra toutefois éviter la récession en 2013.

L’Hexagone, trop gros pour faire faillite

« On ne laisse pas Platon à la porte », avait plaidé en 1979 Valéry Giscard d’Estaing, président de la République et chaud partisan de l’adhésion de la Grèce à la Communauté économique européenne (elle y entre en 1981).

De même le pays de Descartes a-t-il toujours bénéficié d’une aura spéciale : « Ah, la France », avait coutume de soupirer Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne de 2014 à 2019 quand on évoquait les difficultés françaises d’accepter les règles budgétaires (en 25 ans de l’euro, Paris n’a respecté que six fois le plafond des 3% du déficit). L’Hexagone n’est-il pas à l’origine de la monnaie unique conçue par François Mitterrand comme le moyen d’endiguer la superpuissance du deutschemark après la réunification de l’Allemagne ?

Prenons garde toutefois au démon de l’analogie. Comparaison n’est pas raison. La France, c’est plus de dix fois le PIB de la Grèce. En tant que deuxième économie de la zone euro et instigateur de l’euro, l’Hexagone est « too big to fail ». Un acteur trop lourd pour faire faillite, au point que le FMI n’aurait pas les moyens de venir à son secours. Les marchés le savent, qui nous accordent des taux d’intérêt incroyablement bas comparés à ceux de l’Italie.

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Le FMI définit la soutenabilité des finances publiques comme la capacité pour « l’État d’honorer ses obligations présentes en menant des politiques économiquement faisables et politiquement réalistes ». Chaque mot est pesé, mais ce n’est pas une science exacte. « Le Japon n’éprouve pas de difficultés particulières pour financer son déficit et rembourser une dette publique de plus de 200% du PIB alors que l’Espagne a connu une grave crise de ses finances publiques avec un endettement public de 67% du PIB », fait observer François Ecalle, du site Fipeco.

Les épargnants nippons financent eux-mêmes l’intégralité de leur dette nationale et le Japon a accumulé d’énormes créances sur le reste du monde, alors que l’Espagne et la France sont débiteurs nets vis-à-vis de l’étranger. Le cauchemar grec n’est pas près de sortir du débat politique français.

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4 réflexions sur “Dette de la France, «la crainte d’une crise à la grecque»-Jean Pierre Robin

  1. Sauf erreur, le système est dans un double corner, ils ne peuvent augmenter réellement les taux sans fracasser le système, ils ne peuvent laisser l’inflation s’installer, et ils ne peuvent pas investir en bourse ni en immobilier la monnaie crée pour soutenir le système les rendements à ces prix étant déjà négatifs, concernant les produits dérivés le japon avec la baisse du yen devrait laisser quelques garanties en panne en plus des obligations à taux zéro des années antérieures ça laisse un beau champs de ruine en perpective, par ailleurs il faut quand même toujours plus de dettes demain qu’hier pour soutenir le château de cartes, donc il faut que la France continue à émettre de la dette pour créer de la monnaie et en même servir de placement pour les émissions de dettes des autres qui sont aussi de la monnaie. C’est la quadrature du cercle mélangé à la pierre philosophale, c’est beau comme c’est tragique ! Voilà pourquoi il faut laisser de bonnes notes aux émetteurs de papier

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  2. Bonjour M. Bertez

    La France n’est certes pas la Grèce, il donc faut beaucoup plus d’endettement pour pouvoir faire intervenir les instances genre Union Européenne, FMI etc.

    Ceci afin que nos politiques , de droite comme de gauche, puissent leur faire endosser les réformes voulues par le capitalisme financier et pouvoir accuser « les autres », s’affranchissant ainsi de toute responsabilité dans la situation, comme de bien entendu.

    Le « C’est pas nous c’est Bruxelles! » fonctionne bien et peut être étendu sans problème moyennant un petit effort que de toute manière les contribuables français paieront, car pour paraphraser Knock, qui fut l’un de nos grands ministres des finances :  » Tout épargnant assuré n’ est qu’un endetté qui s’ignore! »

    Cordialement

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