Les risques permanents de dislocation

LUNDI, 13.06.2016

Agefi Suisse

Marchés actions. La forte chute des rendements des fonds d’état américains et le sell-off bancaire de vendredi dernier montrent la fragilité du système.

Bruno Bertez

Le paysage global est tronqué. Il est tronqué par la résistance dont font preuve les marchés américains. Ce sont les symboles, les phares de la finance globale. Or ils ont cloturé, malgré le recul de fin de semaine, très près encore de leurs records de 2015.

Les commentateurs passent à coté de l’essentiel lorsqu’ils se laissent influencer par les performances américaines car ils ne comprennent pas qu’elles sont la contrepartie, le symétrique, des craintes et des craquements sinistres qui se manifestent par ailleurs.

De ceci témoigne la forte chute des rendements des fonds d’état américains, elle est terrible, et surtout terriblement inquiétante dans un univers ou la responsable de la politique monétaire cherche, sans succès, à monter les taux. Les taux Américains ont chuté, certains se sont effondrés, signifiant par ce mouvement que le monde global est à la peine, il frémit de peur et se met en risk-off. Le rendement du 10 ans est revenu comme aux plus mauvais jours de la crise, à 1,64%.

Il y a quelque chose qui cloche quelque part, nous en sommes persuadés et les raisons que la presse et les commentateurs donnent ne nous semblent pas convaincantes. Il y a un loup quelque part et ce loup, ce n’est pas seulement le Brexit. C’est bien plus grave. Le Brexit peut jouer le rôle de catalyseur, mais il ne peut le jouer et déclencher une réaction que parce que, ailleurs, en profondeur, tout est miné. Nous voulons pour preuve de ce que nous avançons, la multiplication des avertissements, des propos négatifs des grands de profession financière et bancaire. L’inquiétude et le catastrophisme ne sont plus limités aux Cassandres professionnels ou aux couches sociales les moins sophistiquées. L’élite a peur.

La résistance des marchés américains, leur performance contrastent singulièrement avec ceci: l’indice STOXX Europe 600 des Banques s’est effondré de 3,7% vendredi, ce qui a porté sa perte de la semaine à 5%.

Les cours des banques sont à nouveau à un plus bas de deux mois. Les banques, ce sont les fers de lance, à la fois en positif et en négatif de l’économie et des marchés. Ce sont des condensés hautement significatifs et pareils mouvements sont inquiétants en diable. La Deutsche Bank, tenez vous bien, à perdu 7,7%, elle est à un nouveau au plus bas depuis de très nombreuses années et son recul depuis le début de l’année 2016 est ainsi porté à…35%. On sait que la DB est un maillon faible du système. Rien d’étonnant si les économistes de cette Banque maudissent la BCE et la conjurent de changer de politique. Voir la note incroyable du 8 Juin de la DB qui attaque à boulets rouges Draghi et sa BCE. Le Crédit Suisse est à un plus bas de 30 ans. Les Banques Italiennes sont en chute libre avec un plongeon de 5% vendredi, soit 5,9% pour la semaine, on est au plus bas de 2013. Unicrédit a encore perdu 6,4% vendredi. Le même phénomène a été observé sur les banques Espagnoles qui ont ajouté plus de 3% à leurs pertes antérieures. Les Banques européennes se fuient entre elles, elles déposent leur argent ailleurs, dans des banques non-euros.

La baisse des marchés d’actions n’arrangent pas les choses, bien sûr, puisque les actifs des banques comportent beaucoup d’assets financiers européens: elle s’appauvrissent, quand les Bourses reculent, cela les désolvabilise. Or le DAX a baissé de près de 3%, cela met son recul depuis le premier Janvier à 8,5%. Nous vous rappelons que ce sinistre intervient alors que Draghi non seulement crée de la monnaie, inonde de liquidités mais qu’en plus il achète des obligations Corporate. Or la corrélation entre les cours des obligations corporate et les cours des actions devrait profiter aux actions! L’action de Draghi est incroyablement contreproductive, il suffit de regarder la triste évolution de l’Eurostoxx 50.

Draghi est un boulet pour les marchés, il pèse sur eux; et on comprend qu’il cherche à exonérer sa responsabilité par des déclarations comme celles de la semaine passée, déclarations qui rejettent la responsabilité sur les gouvernements: «ils ne font pas les réformes» que la BCE souhaite. Par sa politique, Draghi réussit à faire en sorte que les marchés ne prennent même plus en compte la bonne situation relative de l’économie allemande; le DAX perd plus que le CAC 40, 8,5% depuis le début de 2016, contre 7% pour l’indice parisien.

Signe de la crise qui couve, le rendement du Bund allemand est sur le point de devenir négatif, il finit la semaine à 0,02%. Tout cela est non seulement la manifestation d’un système mal ajusté, défaillant, mais éminemment dangereux en termes d’équilibre global. Bill Gross a raison de souligner cette dangerosité en utilisant le terme de Supernova (lire page 14).

La gestion de la question du Brexit est délirante, elle consiste à dramatiser, à évoquer l’apocalypse et donc à faire en sorte que l’intelligence soit paralysée au profit des émotions. On n’a jamais vu pareil choix irresponsable, c’est un choix de brûler ses vaisseaux, de jouer le pire, le tout pour le tout, et de faire comme si il n’y avait pas de lendemain. Une attitude cohérente et intelligente aurait été de ne pas prendre part au débat Britannique, de ne pas s’engager sur une issue incertaine et de conserver ses marges de manoeuvre et de crédibilité afin d’être en mesure de faire face à toute éventualité. Que feront-ils, tous ces extrémistes anti-Brexit si jamais le vote est en faveur du «Leave», du départ? Auront-ils la possibilité de retourner leur position et de proclamer que non, tout cela n’est pas grave, tout est gérable? Ils ont oublié cet aspect et mis tous leurs oeufs dans le même panier. En fait tous nos oeufs, pas les leurs.

Nos irresponsables n’arrivent pas à comprendre que leurs normes et dogmes de gestion sont dépassés. Ils ont créé un monstre, une bête incontrôlable alors que par l’activisme moderne, tout a besoin d’être contrôlé, maîtrisé. Ils ont lâché une bête sauvage qui est mondiale, interconnectée. Yellen s’en est aperçue en fin d’année 2015, mais elle n’en a pas tirés les enseignements qui pourtant s’imposaient, tout est dans tout et réciproquement, tout communique, la hausse des taux est peut-être envisageable pour les USA en tant que Système domestique, elle ne l’est pas en tant que Centre du système mondial.

Le marché japonais émet des craquements, il se fissure. Les banques aussi, là bas ont chuté de 3%. Aux Etats Unis le cours de la Bank of America a été amputé de plus de 4%, celui de Citi de 3,5%, celui lui de Goldman de 3,7%.

Le monde va mal. Sa fragilité est extrême. La vulnérabilité à un choc externe ou à une erreur de politique est à des niveaux que l’on n’a jamais connus dans l’histoire. Pourtant , la richesse exprimée en valeurs mobilières, en actifs cotés donne l’impression que tout va bien et même pour le mieux. Nous en tirons la conclusion que le risque est sous-estimé, il n’est absolument pas à son prix.

Un jour, nous nous réveillerons avec 20% de baisse, partout.n


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