EDITORIAL: THE BIG PICTURE
L’actualité, la seule, la vraie, c’est la tentative des banquiers centraux d’opérer une normalisation timide des politiques monétaires menées depuis 2009 à la suite de la Grande Crise Financière. Tout le reste n’est que distraction.
La période néolibérale initiée au début des années 80 s’est caractérisée par la fin du Fordisme qui consistait à donner aux salariés assez de pouvoir d’achat pour acheter ce qui était produit. Hélas le taux de profit en contrepartie a chuté et la croissance a ralenti.
La solution néolibérale a consisté à mondialiser, à peser sur les salaires, à les priver de la participation aux gains de productivité, à augmenter l’efficacité du capital en augmentant le taux d’exploitation de la main d’oeuvre.
La part des salaires dans les GDP a progressivement diminué tandis que les marges des entreprises sur les chiffres d’affaires ( le ratio des profits sur le GDP) augmentaient. Attention le ratio des profits sur GDP n’est pas le ratio des profits sur la masse totale de capital accumulé.
Pour compenser l’insuffisance des salaires et néanmoins vendre ses productions, le système a développé une vigoureuse production de crédit. Le crédit avait pour fonction de compenser les conséquences non voulues du régime néoliberal, tant au niveau de la demande qu’au niveau de l’offre. Hélas, le crédit accordé aux uns fait le capital des autres et la masse de promesses dans le système a progressé , ce qui a débouché sur les innovations de la financiarisation. Le néo libéralisme a muté en financialisme. La fonction a créé l’organe et les théories qui vont avec . .
La production de crédit est devenue le facteur essentiel, indispensable pour soutenir une croissance qui sans cesse menaçait de ralentir. La production de crédit et son corollaire, celle de liquidités quasi gratuite sont devenues l’oxygène ou le carburant du système. Il est devenu « addict » à la dette , « accroc » au crédit gratuit.
Le ralentissement de la croissance est devenu impossible. La croissance ne pouvait ralentir car si elle ralentissait, alors comme le figure l’analogie de la bicyclette, le système aurait chuté. Le poids croissant des dettes n’est supportable que si et seulement si la croissance reste satisfaisante/suffisante et si en même temps on crée de plus en plus de dettes. En effet le rendement des dettes est décroissant. Il faut toujours de plus en plus de dettes pour produire 1 dollar de GDP.
Le système a trouvé ses limites en 2007. Après avoir produit la bulle des technos en 2000, il a produit la bulle du logement et de l’ingénierie financière.
Les limites de la bulle du logement se sont manifestée par la crise de 2007/2008. Cette crise financière était à la fois crise d’excès de crédit, crise d’accumulation excessive de capital fictif et crise de développement du système financier mondial. Le système financier était en retard sur les innovations développées dans la pratique.
Face à cette rupture, face à cette crise, les autorités ont refusé l’assainissement et elles ont pratiqué ce qu’elles avaient initié si bien dans les années 80: l’inflationnisme.
L’inflationnisme c’est la fuite en avant, le refus du désendettement le refus de la remise a zéro des compteurs, le refus de la dévalorisation de tout ce qui est pourri et périmé. L’inflationnisme c’est la transformation de tout problème, de tout déséquilibre, de toute contradiction en un problème de liquidité. L’inflationnisme nie les problèmes de solvabilité, de rentabilité; il repousse tout dans le futur comme un chasse neige.
Après une phase de pause/ hésitation/ modération, les autorités ont regonflé une autre bulle qui est celle des fonds d’état; une bulle qui progressivement s’est mondialisée, globalisée. Tout est en bulle ! Cette bulle a fait des petits, elle a produit une myriade de petits.
Les taux zéro, les achats de titres à long terme par les banques centrales, les promesses d’assurances, les créations d’effets fictifs de richesse ont permis de refaire un tour, de prolonger le système dans le court terme.
Au bout de 9 ans les indicateurs classiques superficiels sont sinon au vert mais à l’orange ou au jaune. Le fond, le fondamental, le passif du système est encore plus pourri plus lourd, les déséquilibres sont encore plus enracinés qu’en 2007/2008. Le système ne tient debout que par des béquilles monétaires et des promesses qui en pratique ne peuvent pas être tenues: on bute sur l’impossible.
Les limites des politiques monétaires mises en place exceptionnellement sont été atteintes a de multiples niveaux: développement d’une spéculation généralisée, dysfonctionnement des marchés, productions d’inégalités de moins en moins tolérables, destruction du modèle de business des banques, affaissement moral, destruction des modèles sociaux, contestation du bipartisme politique, clivage des sociétés etc. Et surtout fragilité financière due aux multiples bulles qui se sont développées dans le monde global.
Les banquiers centraux sont divisés , certains se laissent prendre au piège des apparences, d’autres non. Mais une majorité va/veut tenter le coup, elle va/veut tenter de procéder à une normalisation, douce, graduelle en espérant qu’il n’y aura pas d e choc.
Le débat public se focalise sur cette tentative, personne ne regarde la Big Picture; on se concentre sur l’arbre, on escamote la forêt! La problématique est la suivante: on va essayer de sortir des remèdes alors que l’on n’a pas soigné le mal. On n’a pas dépassé les contradictions qui se sont manifestées dans la période historique précédente. On tente de forcer le destin en espérant que les mêmes causes ne produiront pas les même effets.
On n’a pas trouvé un régime qui permette de sortir de la solution néolibérale fondée sur les salaires de plus en plus bas, sur l’accroissement exponentiel des inégalités. On n’a pas trouvé de remèdes à l’excès de dettes et à la suraccummulation de capital. Toutes cettes contradiction qui minent le système sont en outre aggravées par la diffusion du progrès des technologies et la modernisation des processus de production lesquels sont déflationnistes en prix et en main d’oeuvre.
The Big Picture est que nous sommes devant le même problème qu’en 2008 sans avoir deleveragé, sans avoir corrigé quoi que ce soit et que nous n’avons pas d’idée. Pas la moindre idée qui tienne debout.
La plupart , parmi les élites croient au miracle. Au miracle du retour à la croissance auto-entretenue qui remettrait de l’huile dans les rouages et résoudrait par miracle tous les problèmes. Ceux là sont ceux qui n’ont pas compris que tout avait une cause et qui si vous ne supprimez pas la cause, alors vous ne supprimez pas les effets et ils continuent de produire leurs conséquences.
Les plus évolués veulent approfondir le régime néolibéral; ce sont ceux qui nous récitent la litanie des réformes comme Macron par exemple ou Lagarde .
Selon ceux là , on peut aller plus loin dans la solution néolibérale façon Thatcher et prolétariser plus , flexibiliser les échines, réduire les rentes, tuer les structures anciennes et ruiner les fonds de commerce. On peut assainir partiellement le système capitaliste financiarisé en euthanasiant les entreprises et les activités zombies, celles qui sont un boulet.
Ce ne sont pas des solutions systémiques, mais des solutions partielles, régionales qui ne sont bonnes que pour les pays en retard dans l’évolution, comme la France. La France a pris du retard par rapport aux évolutions de ces dernières années et rien qu’en lui faisant rattraper ce retard, si le système social ne craque pas, il y aura une amélioration, une bouffée d’oxygène.
Mais au niveau du système ce n’est pas une solution , ce ne sera qu’un réaménagement de la place de la France dans le système. Cela laisse intactes les contradictions majeures, cela laisse en place les limites.
Note :
La production de crédit continue, elle accélère . Pas de deleveraging, au contraire le ratio de dette sur GDP s’envole ce qui traduit la dépendance vis à vis de la dette et le rendement décroissant des dettes dans leur fonction de production de la croissance du GDP.
Le graphique ci dessous est clair à ce sujet, mais cela n’épuise pas le sujet.
De nombreux économistes, un peu moins stupides que les autres attribuent la multiplication des crises à un dysfonctionnement du secteur financier. Ce sont les interprétations du type Minsky, keynésien de gauche, que nous respectons beaucoup par ailleurs.
Minsky soutient comme Steve Keen que les crises prennent naissance dans la sphère financière.
Selon Minsky, la stabilité conduit à l’instabilité de façon endogène. Plus les choses sont stables, plus elles donnent l’impression que tout va bien, et plus vite se construisent les bases de la crise future. Plus cela va bien et pendant plus longtemps et plus la crise sera dévastatrice. Minsky décrit très bien et très justement les enchainements inéluctables qui conduisent à la finance spéculative et sous cet aspect il n’y a rien à critiquer.
C’est à la thèse de Minsky que s’est rallié cette semaine le gouverneur de la People’s Bank of China: Zhou Xiaochuan, governeurr de la People’s Bank of China: “When there are too many pro-cyclical factors in an economy, cyclical fluctuations will be amplified…If we are too optimistic when things go smoothly, tensions build up, which could lead to a sharp correction, what we call a ‘Minsky Moment’. That’s what we should particularly defend against.”
Mais Le gouverneur est un bien mauvais marxiste! Il oublie comme tous les keynésiens ralliés à Minsky que le développement de la finance et du crédit ont une cause! Et que cette cause ne tombe pas du ciel, elle ne vient pas des « animal spirits » ou de la psychologie, elle vient de la nécessité absolue de produire du crédit pour dépasser les contradictions du système, c’est à dire pour dépasser l’insuffisance du profit d’une part et l’insuffisance du pouvoir d’achat d’autre part.
La production de crédit découle de la nécessité de donner du pouvoir d’achat complémentaire aux salariés et aux entreprises . En clair, on ne peut échapper un jour ou l’autre au moment Minsky .
Le problème de la Chine en ce moment, problème qui la conduit à la fausse solution de l’expansion inconsidérée du crédit, (près de 4,5 Trillions de dollars cette année ) , c’est la tendance à la chute du taux de profit de son appareil productif. Le problème prend naissance dans le système productif et ce ne sont pas les remèdes monétaires quels qu’ils soient qui y changeront quelque chose.
Le gouverneur , qui est sur le départ et qui donc a son franc parler, prétend que la progression considérable des dettes dans le système chinois , en particulier chez les entreprises va causer un krach financier et un ralentissement économique. Nous pensons comme lui , mais d’une part nous considérons que ce krach est acquis, il est dans l’ordre des choses et que d’autre part il reflète un problème beaucoup plus fondamental de l’économie chinoise et que celui-ci ne peut être traité au niveau de la finance ou dela monnaie. Si, comme le demande le gouverneur, on libère les mouvemenst de capitaux et si on ouvre la Chine sur l’extérieur, elle va se trouver soumise aux lois de la concurrecne mondiale, aux tendances à l’égalisation des valeurs, sa monnaie va chuter, l’argent va s’enfuire et le système va se revulser . Entrainant peut etre avec lui le monde global car le Yuan est le dernier ancrage important du système.
La Chine échappe à la Loi de la Valeur grâce à ses barrières et à son relatif isolement financier, elle se résisterait pas à un ajustement qui remettrait tout au niveau mondial, comme ce fut le cas avec l’URSS.
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