Le système américain est au bout du rouleau, pour survivre il doit s’auto détruire.

Rédigé par 

Bruno Bertez 

4 mai 2023

Plus la stagflation s’installe, plus le système américain va être obligé de s’enfoncer dans les contrôles, dans les exceptions aux règles et lois du marché qu’il s’est fixé lui-même.

Depuis plusieurs décennies, le système américain bute sur les limites du régime capitaliste financiarisé.

La croissance est devenue séculairement faible, les investissements réellement productifs sont médiocres, la productivité chute et les allocations des facteurs de production sont inefficaces.

Vous connaissez mon cadre analytique : tout cela est la conséquence de la fin du grand cycle qui a pris naissance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le grand cycle du crédit a atteint ses limites, et il joue les prolongations.

Les Etats-Unis s’enfoncent et ils ne font illusion que par le simulacre.
Ils n’ont plus que que l’apparence de ce qu’ils prétendent être. Ils se noient dans l’imaginaire qu’ils croient imposer aux autres, alors qu’ils en sont la première victime en raison de leur inadaptation aux défis du monde réel. Peu à peu, ils vivent dans un monde imaginé. Un monde de puissance illusoire.

Au passage, ne croyez pas que je m’en réjouisse. Non : même si mes critiques sont sévères et même méchantes, mon cœur est plus Américain que Chinois ou Russe !

Pas de grand nettoyage

La financiarisation qui a été mise en place dans les années 1980 pour prolonger le système a elle aussi fait son temps : tout dysfonctionne, car la spéculation a pris le dessus sur les décisions justes et rationnelles. Elle a fracassé la société sous le poids des inégalités.

Le pays est livré, il est en proie, aux esprits animaux, au cynisme et aux mensonges.

Le tissu social se délite, les clivages sont de plus en plus profonds. Ce ne sont ni Trump ni Biden qui sont en cause ; non, le pays est devenu ingérable, comme le montre la misérable comédie du plafond de la dette. Le théâtre de Washington est devenue fou.

Pareille situation imposerait un grand nettoyage afin de reconstruire sur de meilleures bases. Ce grand nettoyage n’est pas possible ; il n’est pas possible de nettoyer la pourriture accumulée, comme le réclamait Mellon dans les années 1920/1930.

On ne peut le faire ou le laisser se faire parce que la pourriture est enracinée dans l’ordre social et que les bénéficiaires du système ont le contrôle des leviers politiques . La classe dominante aux Etats-Unis est le problème, elle ne peut donc être en même temps la solution.

Les Etats-Unis sont dans un engrenage. Le choix leur a échappé et ils doivent à chaque accident descendre la pente. Leurs marges de manoeuvre se retrécissent sans arrêt comme on le voit en ce moment ou l’alternative qui s’offre aux autorités est en forme de dilemme: ils doivent chosir entre la stabilité bancaire et l’inflation.

On vient d’en voir encore la terrible l’illustration le week-end dernier avec la prise de contrôle de la First Republic Bank par JPMorgan. C’est une opération scandaleuse en regard des règles du libéralisme, et surtout en regard des législations fixées par les autorités (régle des 10%) et de l’éthique. C’est ce que l’on appelle être dans les cordes, n’avoir aucun choix satisfaisant à sa disposition.

Mais c’est une opération nécessaire pour sauvegarder la soi-disant stabilité financière et bancaire, et pour colmater les brèches du navire qui prend l’eau. Il faut pomper, écoper pour essayer de maintenir le Titanic, il faut encore et encore réaménager les sièges sur le pont. Il y a quelques jours, on a écopé en faisant sauver la SVB par le FHLB avec quelques centaines de milliards.

Pour courronner le tout il faut oser mentir effrontément ce qui fait voler en éclats la credibilité:

Le président de la Fed, Powell, a déclaré aujourd’hui « Nous avons constaté que les outils de politique monétaire et les outils de stabilité financière ne sont pas en conflit. Ils fonctionnent bien ensemble.« 

Il suffit de regarder l’indice des valeur des bancaires pour savoir que Powell ment, il est en chute libre!

Un ancien de la Fed, l’ancien président de la Fed d’Atlanta, lui répond:

Les opérateurs « vont d’une banque à l’autre et les animaux du troupeau qui sont vulnérables sont expulsés  » Lockhart ajoute cette terrible phrase: « J’aimerais croire que Jay Powell dispose d’informations suggérant que la situation est sous controle ou maîtrisable. ”

Le tissus bancaire est complètement détruit, ravagé.

Contrairement à ce que dit Powell, la place financière n’avait pas le choix, la hausse des taux détruit les valeurs d’actifs et comme l’expliquait Bernanke en son temps, il faut bien que quelqu’un les détienne ces valeurs d’actifs, ces patates chaudes, si ce n’est pas une institution c’en est une autre. La hausse des taux crée des Mistigris , c’est le jeu des chaises musicales.

Au centre du système

Je dis souvent que le système est de plus en plus pourri, déséquilibré, insolvable, mais qu’il tient parce que peu à peu tous les risques inclus dans ce système sont externalisés. Les risque ne disparaissent jamais ils sont simplmement transférés et camouflés/noyés. Ils remontent au niveau du couple maudit que constituent la Réserve Fédérale, le Trésor, et ses satellites que sont les « Government Sponsored Enterprises ».

Tout remonte au centre du système, ce qui affaiblit structurellement le centre et réduit ses marges de manœuvre. Ici, le sauvetage de First Republic Bank se fait par JPMorgan. Cela ne doit pas faire illusion, car JPMorgan, c’est en fait le centre. JPMorgan, c’est le parrain du centre. Depuis très longtemps, JPMorgan est une partie du centre dont on peut se demander si elle doit être placée au-dessus ou en dessous de la Réserve Fédérale. JPMorgan est à mon sens historiquement et organiquement au-dessus de la Réserve Fédérale, mais c’est plus une conviction qu’un constat objectif.

Le système américain va être obligé de s’enfoncer dans les contrôles, dans les entorses aux lois, dans les exceptions à la loi du marché : il ne peut plus supporter les règles du jeu qu’il a fixées lui-même. La lutte contre les monopoles, la vérité des prix, la liberté des choix. Il ne peut plus tolérer les conséquences du libre fonctionnement des marchés.

La transition climatique, le retournement de la mondialisation, les clivages sociaux, le délitement politique et maintenant administratif, les affrontements extérieurs, tout cela contribue à faire glisser le système américain vers une nouvelle variante de capitalisme hybride, un capitalisme avec béquille d’Etat d’un côté et béquille de banque centrale de l’autre.

Je désigne ce capitalisme hybride sous le nom d’économie de guerre, mais c’est bien complaisant de ma part de le désigner ainsi. A moins d’étendre cette notion de guerre au-delà de la guerre extérieure et d’y inclure la guerre intérieure contre le peuple.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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3 réflexions sur “Le système américain est au bout du rouleau, pour survivre il doit s’auto détruire.

  1. La « guerre intérieure », cela ne serait pas par hasard le faux-nez de la lutte des classes, toujours fraîche et joyeuse ? Je sais que depuis des décennies ont proliféré des tas de bouquins sur le thème convenu de : « Marx est pertinent dans l’analyse du capitalisme de son temps mais reconnaissez mon bon Monsieur qu’il a été nul dans son pronostic. La crise terminale du capitalisme, franchement ! »
    Et s’il avait eu raison ? Et si la crise terminale, le mur indépassable du capitalisme n’était pas celui-là.? La guerre de classes généralisée et le déchaînement des forces qu’il aura engendrées pour l’obliger au final à retourner s’ébattre dans les limites qu’il n’aurait jamais dû franchir.
    La mort de ce que certains annonçaient encore récemment avec une foi aussi merveilleuse que niaise.
    Le Grand Large.

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  2. Bonjour,
    Historiquement ,elle est au dessus et partie fondamentale de la FED. J Pierpont a co organisé la fameuse réunion et J Dimon l’a répété  » nous faisons oeuvre de Dieu  » , « oeuvre » comprendre » office »….

    Aimé par 1 personne

  3. « La classe dominante aux Etats-Unis est le problème, elle ne peut donc être en même temps la solution. »
    Monsieur Bertez, vous avez tout résumé dans cette phrase, nous avons les mêmes à la maison. Quand Roux de Bezieux déclare récemment que l’inflation est due à la guerre en Ukraine, il devient clair que la cave ne va pas être sauvée par l’alcoolique.

    Aimé par 1 personne

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