Billet: Notre imaginaire repose sur deux piliers qui ont entre eux de nombreuses similitudes de forme , de structure et de comportement: l’argent et la parole.

Je soutiens que nous ne vivons plus dans le réel; nous habitons un monde imaginaire, imaginé plus ou moins délibérément par les classes dominantes.

Notre imaginaire repose sur deux piliers qui ont entre eux de nombreuses similitudes de formes , de structure et de comportement; l’argent et la parole. Tous deux ont pour fonction utile de représenter: rendre présent

Ce sont des signes et ils renvoient non seulement à des réalités mais aussi à des inscriptions dans notre psyché individuelle et collective et notre mémoire.

Et « on » peut en jouer.

En tant que signes ils sont fragiles – et capricieux- car on peut toujours briser le lien qui unit le signe à ce qu’il est censé représenter. Comme je dis souvent le signe est une ombre, il peut par une opération magique être disjoint du corps qu’il est censé accompagner, il peut s’autonomiser. On fait de la fausse monnaie et on diffuse des mensonges.

Le mensonge est selon moi un problème clef de nos sociétés, et il va s’aggraver avec les technologies modernes et surtout avec l’intelligence artificielle puisque celle ci est .. artificielle, c’est à dire auto référente.

En instaurant au fil du temps qui va s’accélérant, la primauté du faux, du truqué, ou du ni vrai ni faux, nos sociétés se désadaptent du monde réel. Elles s’inscrivent dans la jouissance et la séduction; perdent de vue la praxis de la production. L’expérience cesse d’être un guide. La confiance disparait, les arrangements sociaux qui dépendent de la confiance se fracassent, nos possibilités de nous mettre d ‘accord par un recours à l’arbitre que constitue la vérité disparait, la violence s’installe.

Elle se généralise .

Comment quelque chose d’imaginaire comme « l’argent » peut-il être le « vrai problème ».

Le vrai problème de l’argent tient à la possibilité de le couper de son réfèrent qui est la Valeur. Dans nos sociétés ont crée et distribue de l’argent qui n’a aucun réfèrent, qui tombe du ciel . Il n’a même pas de coût d’émission, il suffit de rajouter des zéros/des digits dans les livres de comptes. L’argent du temps de son rattachement à l’or ou a un équivalent général des marchandises , avait un ancrage dans le travail, la rareté, cet ancrage est perdu.

Et une classe sociale a confisqué cette possibilité de créer de la monnaie, de la canaliser et de fixer son prix. Elle l’a fait à la faveur de la complexité apparente de ce qui est devenu un fétiche, un en-soi. Cette classe sociale s’est érigée, auto-proclamée grand prêtre d’une religion, la religion du pognon. Inutile de dire qu’il y a beaucoup de fidèles en cette église.

Le véritable enjeu social est la production, la répartition des biens matériels et l’extraction de la plus-value produite par le travail humain.

Le système monétaire est une abstraction qui était autrefois un facteur de progrès qui nous a conduit là où nous en sommes. Hélas cette abstraction qui aurait du rester esclave est devenue notre maitre. Et surtout un voile qui a opacifié toutes nos relations avec le monde et entre nous.

En tant qu’abstraction, dès sa création, il devait naturellement et inéluctablement obscurcir les moindres détails de la réalité. En tant qu’abstraction, comme la parole et les mots qui servent à élaborer l’abstraction il devait devenir un voile. Faire oublier le réel, la presentation qui sous tend la re-présentation.

L’argent a perdu son élément progressiste et libérateur, il est devenu réactionnaire. Son objectif principal est désormais de brouiller la relation entre le monde et nous, entre le capital et le travail et de faciliter l’exploitation ou la tromperie des uns par les autres.

La focalisation excessive sur le système monétaire et sur le système de la communication met de côté les relations sociales sous-jacentes.

Si nous voulons éviter le chaos, cela doit changer.

3 réflexions sur “Billet: Notre imaginaire repose sur deux piliers qui ont entre eux de nombreuses similitudes de forme , de structure et de comportement: l’argent et la parole.

  1. Bonjour M. Bertez
    Vous écrivez:  » …nous habitons un monde imaginaire, imaginé plus ou moins délibérément par les classes dominantes. »

    En a t’il jamais été autrement pour Sapiens?

    Ne serions nous pas dans notre variante du Dreamtime des aborigènes australiens; et ne suivons nous pas l’équivalent des Songlines « chants des pistes »* qui « guident les pas des Aborigènes à travers le territoire et tout au long de leur vie, comme une véritable carte. Bien plus que des récits légendaires, ce sont de véritables corridors de savoirs, des chemins tracés au fil des millénaires qui renferment les règles fondamentales de la cohabitation sociale, et des connaissances écologiques, astronomiques ou géographiques essentielles à la survie. » ( réf : expo songlines – musée du quai Branly)

    Selon Ludovic Slimak, l’art pariétal et notre art classique ou contemporain ne sont qu’un, d’ailleurs des artistes comme Picasso et bien d’autres en sont convenus en visitant les grottes peintes par nos ancêtres.
    Et si notre art est déjà entièrement présent il y a 35 000 ans, pourquoi en irait il autrement de nos imaginaires sociaux?
    Ce qui ne dit rien de la pertinence pour notre survie des versions actuelles du dreamtime et des songlines qui nous mènent en Ukraine ou à Gaza ….

    Cordialement

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  2. Billet très intéressant.

    La parole et l’argent ont pour point commun de renvoyer à la notion de confiance.

    La confiance renvoie à la notion de civilisation.

    Un monde est proportionnellement civilisé au degré de confiance que son susceptible de s’accorder de manière présumée les agents qui le composent.

    Nos civilisations ont inventé l’écrit qui constitue un support dont le rôle est de laisser une trace de la parole et donc de porter la confiance dans le temps, de la renforcer.

    Si la parole de nos élites est depuis longtemps sujette à caution, même leurs écrits sont devenus faux au premier rang desquels la monnaie qu’il émettent mais aussi les accords qu’ils peuvent signer comme ceux de Minsk par exemple.

    La confiance qui constitue le ciment des rapports sociaux est peu à peu remplacée selon un système de vases communicants, par de l’autoritarisme.

    Dans ce monde faux une pratique répandue est de substituer cause et conséquence et de procéder par inversion accusatoire.

    On l’a vu notamment avec les attaques des méchants russes et des méchants palestiniens.

    On sature le débat par exploitation de la sidération de l’instant pour interdire de réfléchir aux causes profondes dont nous sommes responsables.

    Certains sont interdits de parole au motif de penser « mal ».

    Et c’est ceux qui détiennent l’argent qui décident de qui à la parole.

    La boucle est bouclée.

    La « décivilisation », la violence que Macron attribue au lumpen prolétariat commence en réalité par la tête.

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  3. Jacques Ellul a fait une très bonne interprétation du texte d’évangile sur l’effigie de César sur une pièce de un denier. (Mathieu 22)
    Pour les profanes, voici l’histoire : les pharisiens veulent piéger Jésus. Faut-il payer l’impôt à César ou pas ?
    Soit, par sa réponse Jésus est un collabo : il faut payer l’impôt à César, soit il est un « terroriste apostat » : ne pas payer l’impôt à César et ne pas lui rendre un culte en tant qu’empereur Divin.

    Jésus a une réplique célèbre, demandant à voir l’effigie de l’empereur sur la pièce d’argent : « Rendez-vous César ce qui est à César et rendez à Dieu ce qui est à Dieu. »

    Ellul dit ceci ( en simplifiant bien entendu) : Jésus montre l’effigie de César, c’est à dire une représentation imagée. César n’est rien de plus qu’une illusion, un avatar, une convention humaine. Dieu, lui représente le « tout », c’est à dire absolument tout, en dehors de cette effigie divinisée auquel juifs et romains se réfèrent : le réel, la création, le fruit du travail des hommes, l’univers, l’amour, la beauté, le sang, les larmes…
    Versus un signe, un mythe humain imposé par les puissants et grands prêtres d’alors aux peuples asservis : les Romains à l’époque, et leurs supplétifs des provinces soumises.

    Rien de nouveau sous le soleil, j’ai envie de dire.

    Merci m. Bertez pour vos réflexions. Elles enrichissent la nôtre.

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