Editorial. Trump est élu; c’est un réaménagement des transats sur le pont du Titanic, ce n’est pas game-changer.

Dans l’ensemble j’ai un lectorat de haut niveau par rapport à la moyenne, mais il arrive que certains s’égarent et viennent me fréquenter alors qu’ils n’ont pas vocation à le faire .

Au lieu de faire l’effort de comprendre une pensée complexe, alternative, radicale, ils glissent sur la surface de mes idées et se permettent d’y réagir aux limites de la politesse. Normalement je ne m’attarde pas mais quelquefois cela vaut le coup de s’y arrêter au moins quelques instants.

Tout ceci pour vous dire qu’un lecteur m’a adressé un commentaire prétentieux et péremptoire au sujet de cet article intitulé:

Trump est élu; au fil du temps il apparaitra que son élection n’a aucune importance. Les graines du futur ont déja été semées.

Il n’a pas compris que j’analyse la réalité et donc l’actualité à deux niveaux différents, c’est une sorte de va et vient qui traverse tous mes textes.

Le premier niveau est celui que je qualifierai de « gestionnaire », « in the box » . C’est le niveau de la vie de tous les jours.

Le second est le niveau radical qui va chercher ce qui est enfoui, caché et qui constitue le véritable déterminant objectif de nos évolutions. C’est le niveau du recul , de la distance prise par la pensée.

Le premier niveau -de surface- est influencé, produit, animé par les discours et les récits des protagonistes et des gérants ; le second niveau -fondamental- est le niveau de la confrontation des forces antagoniques internes et externes qui s’affrontent dans le système.

Tout cela se combine pour nous donner ce qui apparait, ce qui se donne à voir et qui est comme je l’ai écrit il y a quelques jours la combinaison du Hasard et de la Nécessité.

Ainsi je passe des conséquences « in the box » de la victoire de Trump (Bourse, déficits, dettes, taux, profits, commerce extérieur) aux conséquences lointaines « outside the box » sur le système, sur son état historique, sur sa marche vers la révulsion et le chaos.

Je passe du court et moyen terme au long terme, du hasard à la Nécessité incontournable.

Trump dans ma conception et dans mon cadre analytique n’est pas game-changer, il s’inscrit dans le cadre des dernières dizaines d’années, dans le cadre de la marche irrésistible vers la crise du capitalisme financiarisé et ne la résout pas; bien au contraire, il va l’exacerber. Comme je le dis le vin de la suraccumulation et du besoin colossal de profit est tiré et il faut le boire: ce qui doit advenir adviendra. Le grain doit produire le blé.

Ce qui ne peut être honoré ne le sera pas, les promesses accumulées, contenues dans le système ne pourront être tenues car le Mort du capital est un Ogre qui va engloutir le Vif de nos sociétés. Le Butin que constitue le Surproduit est insuffisant pour satisfaire toutes les parties prenantes qui le convoitent. Déja regardez le système occidental ne peut plus payer les retraites et les soins de santé qu’il a promis!

Même avec la tarte à la crème de l’IA attendue comme le Messie par le Capital !

L’IA va, non pas augmenter la production de vraies richesses, mais permettre de mieux asservir, de mieux contrôler les masses, elle va accélérer la production de l’Homme Nouveau, du serf qui va encore mieux jouir de sa situation, qui va encore mieux supporter son état de serf aliéné, étranger à lui même, mais cela ne changera rien car le système est condamné de façon endogène, par construction pourrait-on dire, dans sa logique interne, pas par la volonté de rébellion des hommes.

Le Titanic est lancé et peu importe que l’on réaménage les sièges sur le pont, il coulera. Peu importe que l’on vire certains des sièges les plus confortables pour les attribuer à d’autres, que l’on change les couleurs qui habillent les privilégiés , rien n’y fera, le Titanic continuera sa route vers son Destin. Vers la Réconciliation, vers le Choc avec le Réel. Choc avec les Limites.

Le Titanic c’est le système en crise existentielle, historique, en crise de reproduction et le réaménagement des sièges sur le pont, c’est qui va être décidé par le capitaine Trump.

Il y aura des passagers qui seront sauvés, certains seront favorisés et d’autres au contraire seront défavorisés , voire sacrifiés , la musique de l’orchestre va changer, mais tout cela c’est du superficiel et à long terme comme je le prétends:

« il apparaitra que son élection n’a aucune importance. »,

Tout au plus et c’est ma conviction, Trump va accélérer le processus de destruction parce qu’il retire les béquilles qui avaient permis au système de durer plus longtemps grâce au cycle du crédit par exemple il va renchérir le cout de la vie par les droits de douane, ce qui va gêner la politique de la Fed et l’empêcher de monétiser en rond, il va provoquer des dislocations chez les vassaux et les émergents ce qui va affaiblir le leadership impérial et réduire les possibilités de pillage etc.

Relisez donc ce texte.

Trump est élu; au fil du temps il apparaitra que son élection n’a aucune importance. Les graines du futur ont déja été semées.

EN PRIME

Notre seule consolation face aux mensonges narratifs est de savoir qu’un processus historique objectif n’est pas affecté par les histoires que nous racontons à son sujet.

Si les conditions subjectives de la vie seront toujours le terrain sur lequel les êtres humains comprendront et exprimeront leurs réponses historiques, socialement et politiquement, ils le feront toujours dans le contexte des conditions objectives de la vie .

Ces dernières sont la matière de l’histoire, « le déterminant en dernière instance », comme le dit Balibar.

C’est pourquoi le matérialisme historique est la seule interprétation scientifiquement crédible du passé, la seule capable d’établir les bases du dialogue entre le passé et le présent, entre le Même et l’Autre, et la seule explication historique de la relation complexe entre les conditions subjectives et objectives de la vie.

L’histoire trace son chemin en fonction de contradictions objectives.

La création de mythes joue un rôle, bien sûr, mais en fin de compte, le monde est indifférent à ce que nous comprenons de son fonctionnement et encore plus indifférent aux contes de fées que nous nous racontons pour lui donner un sens.

L’éclat fulgurant de la pensée grecque atteint son apogée dans la réalisation de cette vérité, une vérité installée au cœur de ce qui est peut-être sa plus grande réussite culturelle : le drame tragique.

La tragédie le dit ainsi : lorsque nous racontons des histoires – comme le 7 octobre, le 11 septembre, comme, eh bien, tout – nous étalons un vernis de « vérité » en effaçant notre situation ( en termes hégéliens/marxiens), notre intérêt, notre enjeu dans le fait que cette histoire soit racontée de cette façon .

Le monde, lui, par ses agents cachés (le divin, l’histoire, son objectivité même…) résistera toujours à notre illusion, témoignera toujours avec succès , il nous prendra toujours en flagrant délit de mensonge. Tous les héros tragiques sont pris dans ce mensonge, l’Œdipe de Sophocle le plus tragique, le fou, le criminel, le conteur.

L’histoire est tissée de ce jeu entre les fictions que nous racontons et leur collision avec les conditions concrètes de la vie. Il vaut mieux s’y mettre à fond, en lisant les grands diagnostiqueurs de notre folie : Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, Marx, Nietzsche, Freud…

Trump est élu; au fil du temps il apparaitra que son élection n’a aucune importance. Les graines du futur ont déja été semées.

8 réflexions sur “Editorial. Trump est élu; c’est un réaménagement des transats sur le pont du Titanic, ce n’est pas game-changer.

  1. Bonjour, et désolé pour Lucienne, je m’autorise un copie/coller d’une partie de son texte:

    « Merci M. Berthez, c’est pour ce type d’analyse que votre blog n’a pas d’égal sur internet, et les différents niveaux de lectures et d’informations qu’il propose en fait un site particulièrement riche ».

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  2. Monsieur Bertez,
    Comme vous parlez de hasard et de nécessité, que pensez-vous de « la synchronicité », un concept pas facile à appréhender ? J’y ai réfléchi suite à la préparation d’une interview, et j’avoue que cela m’a fait beaucoup transpirer. Mal de crâne garanti à quiconque s’aventure sur ce chemin par ailleurs fascinant.
    Extrait :
    Ces coïncidences « mystérieuses » évoquées dans ces entretiens nous amènent à ces notions complexes qui s’entremêlent, se cherchent, s’opposent et se répondent dans une sorte d’harmonie des contraires : hasard, nécessité, coïncidence, événements fortuits, contingence, cause et effet, effets rétroagissant sur leurs causes, résonance, synchronicité…

    Hubert Reeves aborde également ces notions de hasard et nécessité : « le hasard n’aura été qu’un alibi à notre ignorance ». Il y parle de hasard et de déterminisme, et d’une marge d’indétermination (ouf, lueur d’espoir après la dictature Laplacienne de la causalité absolue, retour de la liberté)

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    1. Vous abordez là des sujets qui me passionnent mais qui, malheureusement, ne peuvent se traiter ou même se discuter dans le format de ce service;
      je suis un grand admirateur de Carl Jung et de ce qu’il dit sur la synchronicité; et je suis également depuis mon plus jeune age influencé par les écrits de Monod sur ces questions de hasard et de nécessité; merci de les évoquer.

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  3. Bonjour M. Bertez

    Je me permet de m’associer au commentaire de Lucienne.

    Pour ce qu’il en va de l’IA, ses précurseurs au cinéma se nomment HAL dans 2001 l’Odyssée de l’espace et Ash, plus proche et plus inquiétant encore dans Alien…

    Une récente expérience de mon épouse a montré que les systèmes experts – vraie dénomination de l’I.A- peuvent commettre des erreurs qui ne sont manifestes qu’aux yeux d’experts dans la discipline concernée.

    Quand elle aura tout envahi, quand tous les systèmes experts seront interconnectés, cela marquera l’externalisation peut être définitive de nos capacités cognitives.

    Tout laisse penser, aujourd’hui, que l’IA annonce « La planète des singes – Retour aux Origines. »

    Cordialement

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  4. Si on ne peut que changer l’orchestre du Titanic sans changer sa trajectoire, autant avoir du Mozart que du rap. Je crois que c’est ce que ressentent humblement beaucoup d’entre nous qui sont contents de cette victoire, même s’ils ne sont pas dupes quant au moyen et long terme
    On a aussi des profils intéressants qui ont contribué à cette victoire, on peut parler d’égrégore, ce qui apporte un peu de saveur et d’inspiration dans ce monde politico-médiatique inepte

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  5. « Si les conditions subjectives de la vie seront toujours le terrain sur lequel les êtres humains comprendront et exprimeront leurs réponses historiques, socialement et politiquement, ils le feront toujours dans le contexte des conditions objectives de la vie .

    Ces dernières sont la matière de l’histoire, « le déterminant en dernière instance », comme le dit Balibar. »

    Merci M. Berthez, c’est pour ce type d’analyse que votre blog n’a pas d’égal sur internet, et les différents niveaux de lectures et d’informations qu’il propose en fait un site particulièrement riche.

    Merci pour ce que vous relayez, et pour ce que vous transmettez.

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  6. Vous nous mettez en appétit, cher monsieur Bertez, et nous nous interrogeons sur les propos de votre contradicteur qui ont engendré votre fureur : a t’il prétendu que, non, Trump va tout changer et que c’est un démiurge qui va résoudre tous les problème de l’Amérique ? qu’il va, cette fois c’est sûr, vidanger le marigot de Washington DC ? qu’il va trouver une solution au problème de la dette abyssale des US ? qu’il va balayer le wokisme et relancer la natalité …. ?

    Dites-nous ?

    Moi ce qui m’intéresse particulièrement c’est de suivre la trajectoire de Robert Kennedy Jr. J’ai l’impression que l’Amérique aura besoin d’hommes tels que lui (après une parenthèse Trump).

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