BRUNO BERTEZ +IA
Le développement inégal des connaissances dans une société ou un pays peut freiner l’élan de l’intelligence artificielle (IA) de manière similaire à ce qui s’est observé aux débuts d’Internet, en raison de plusieurs facteurs structurels, sociaux et économiques.
Ces freins découlent des disparités dans l’accès aux ressources, aux compétences et aux infrastructures nécessaires pour développer, déployer et exploiter l’IA.
Voici une analyse détaillée des mécanismes par lesquels ce phénomène peut se produire, en s’inspirant des parallèles avec les débuts d’Internet :
1. Disparités dans l’accès aux infrastructures technologiques
- Contexte historique avec Internet : Aux débuts d’Internet (années 1990), l’accès était limité par l’absence d’infrastructures (connexions haut débit, ordinateurs personnels) dans de nombreuses régions, notamment dans les pays en développement ou les zones rurales. Cela a créé une « fracture numérique » qui a ralenti l’adoption et l’innovation dans ces zones.
- Application à l’IA : Le développement de l’IA nécessite des infrastructures puissantes (serveurs, GPU, centres de données) et un accès à Internet à haut débit pour collecter, traiter et analyser de grandes quantités de données. Dans un pays ou une société où les connaissances et les ressources technologiques sont inégalement réparties (par exemple, concentrées dans les grandes villes ou chez une élite), les régions ou populations défavorisées sont exclues du cycle de développement de l’IA. Cela limite :
- La capacité à collecter des données locales représentatives, essentielles pour entraîner des modèles d’IA adaptés.
- L’accès aux outils et plateformes d’IA (cloud computing, frameworks comme TensorFlow ou PyTorch).
- Conséquence : Les progrès en IA restent concentrés dans des « pôles » technologiques (par exemple, Silicon Valley, Shenzhen), tandis que les zones moins équipées stagnent, freinant l’élan global de l’IA à l’échelle nationale ou mondiale.
2. Inégalités dans les compétences et l’éducation
- Contexte historique avec Internet : L’adoption d’Internet a été freinée par un manque de compétences numériques (littératie numérique) dans de nombreuses populations. Les personnes sans formation en informatique ou accès à l’éducation étaient moins capables de tirer parti des opportunités offertes par Internet.
- Application à l’IA : L’IA exige des compétences spécialisées (mathématiques, programmation, science des données) qui sont souvent concentrées dans des institutions d’élite ou des régions développées. Dans une société où l’éducation est inégale :
- Seule une petite fraction de la population peut contribuer au développement de l’IA (chercheurs, ingénieurs).
- Les populations non formées ne peuvent ni utiliser ni comprendre les applications de l’IA, ce qui limite leur adoption dans des secteurs clés comme l’agriculture, la santé ou l’éducation.
- Conséquence : Le manque de compétences généralisées ralentit l’innovation locale et crée une dépendance vis-à-vis des solutions importées, souvent inadaptées aux contextes locaux (par exemple, des modèles d’IA entraînés sur des données occidentales, peu pertinents pour des réalités africaines ou asiatiques).
3. Concentration des ressources financières
- Contexte historique avec Internet : Le développement d’Internet a été initialement porté par des investissements massifs dans les pays développés (États-Unis, Europe), tandis que les pays moins riches ont dû attendre des financements externes ou des baisses de coûts pour y accéder.
- Application à l’IA : L’IA est coûteuse à développer (entraînement de grands modèles comme GPT, infrastructure de calcul). Dans une société où les connaissances et les ressources financières sont inégalement réparties :
- Seules les grandes entreprises ou les gouvernements des pays riches peuvent investir dans des projets d’IA de pointe.
- Les petites entreprises, les start-ups locales ou les institutions publiques des régions moins développées manquent de fonds pour rivaliser ou innover.
- Conséquence : Cela renforce une forme d’échange inégal (pour reprendre le concept d’Arghiri Emmanuel) dans le domaine technologique, où les pays ou régions pauvres deviennent des consommateurs passifs de solutions d’IA produites ailleurs, sans participer à leur création. L’élan de l’IA est ainsi brisé dans les zones défavorisées, limitant leur contribution au progrès global.
4. Fracture culturelle et linguistique
- Contexte historique avec Internet : Aux débuts d’Internet, la domination de l’anglais comme langue principale a marginalisé les communautés non anglophones, limitant leur accès aux contenus et aux opportunités en ligne.
- Application à l’IA : Les modèles d’IA, notamment les grands modèles de langage (comme Grok ou ChatGPT), sont souvent entraînés sur des données majoritairement en anglais ou issues de cultures occidentales. Dans une société où les connaissances linguistiques ou culturelles sont inégalement réparties :
- Les communautés locales, parlant des langues moins représentées ou ayant des contextes culturels différents, sont mal servies par les technologies d’IA existantes.
- Le développement d’IA adaptées aux langues ou cultures locales est freiné par le manque de données ou de chercheurs spécialisés dans ces domaines.
- Conséquence : L’IA risque de ne pas répondre aux besoins des populations marginalisées, réduisant son impact social et économique dans ces contextes et limitant son adoption à grande échelle.
5. Parallèle avec le développement inégal et combiné (Trotsky)En s’inspirant de la théorie de Léon Trotsky sur le développement inégal et combiné, on peut observer que les sociétés contemporaines combinent des éléments « avancés » (pôles technologiques, universités de pointe) et « archaïques » (zones sans accès à Internet ou à l’éducation). Cette coexistence crée des tensions :
- Les zones avancées progressent rapidement dans l’IA, attirant capitaux et talents.
- Les zones défavorisées, bien qu’intégrées au système mondial (par exemple, via l’extraction de données ou de ressources), restent en marge du développement technologique, reproduisant une dynamique de dépendance similaire à celle observée dans les débuts d’Internet.
Cette inégalité freine l’élan global de l’IA, car une adoption universelle nécessite une diffusion large et équitable des connaissances et des infrastructures
.6. Solutions potentielles pour contrer ces freins Pour éviter que le développement inégal des connaissances ne brise l’élan de l’IA, plusieurs stratégies peuvent être envisagées, en tirant des leçons de l’histoire d’Internet :
- Investissements dans l’éducation : Développer des programmes de formation en IA accessibles à tous, y compris dans les régions défavorisées, pour réduire la fracture des compétences.
- Infrastructures inclusives : Déployer des centres de données et des connexions Internet abordables dans les zones rurales ou les pays en développement.
- IA adaptée localement : Encourager la création de modèles d’IA prenant en compte les langues, cultures et besoins locaux, en impliquant des chercheurs et des communautés diversifiées.
- Politiques publiques : Mettre en place des subventions ou des partenariats public-privé pour démocratiser l’accès aux outils d’IA et éviter une concentration excessive des ressources.
- Open source : Promouvoir des frameworks et modèles d’IA open source (comme ceux développés par des communautés collaboratives) pour réduire la dépendance aux grandes entreprises technologiques.
7. Conclusion Le développement inégal des connaissances, qu’il s’agisse d’infrastructures, de compétences, de ressources financières ou de représentations culturelles, peut briser l’élan de l’IA en limitant son accessibilité, son adoption et son adaptation aux contextes locaux, tout comme la fracture numérique a freiné l’expansion d’Internet dans les années 1990.
Ce phénomène reproduit des dynamiques d’inégalité structurelle, similaires à celles analysées par des théoriciens comme Trotsky (développement inégal et combiné) ou Emmanuel (échange inégal). Pour que l’IA réalise son potentiel transformateur à l’échelle mondiale, il est crucial de réduire ces disparités par des politiques inclusives et des investissements ciblés, afin que l’IA ne devienne pas un privilège réservé à une élite ou à quelques régions.
Une perspective pour le moins intéressante.
C’est une sorte d’arme, comme les composants électroniques ou le génie biologique..Celui qui accumule du retard ne peut pratiquement plus revenir dans la course, celui qui est en retard est en danger, se vassalise…
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Bonjour M. Bertez
Un de mes maîtres disait que la première solution à envisager face à un problème c’est de l’éliminer.
Donc, cyniquement, et l’époque est devenue cynique, surtout chez les « élites », une solution pour éliminer les disparités de populations nuisibles au développement de l’IA serait d’éliminer les dites populations. Soit par extinction naturelle ou en accélérant la concentration des humains dans les zones développées. Ou, comme cela s’est vu, par défaut de prise en charge lors d’une épidémie. Tous procédés ressortissant aux lois naturelles.
Homo homini lupus est
Cordialement
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