Macron n’a réussi qu’à créer un consensus contre sa présidence.

9 octobre 2025

Zaki Laïdi

La tragédie de la présidence d’Emmanuel Macron réside dans le fait que ce qui était présenté comme une alternative à l’hyperpartisanisme n’a fait qu’exacerber la partisanerie. Et sa campagne pour forger un nouveau consensus n’a fait que créer un consensus contre sa présidence.

La France a battu un record historique. Son Premier ministre, Sébastien Lecornu, a démissionné moins de 24 heures après la formation de son gouvernement. Dans un pays où la Constitution de 1958 garantissait la stabilité institutionnelle grâce à la primauté du pouvoir présidentiel, il s’agit d’un choc politique majeur.

Alors, comment la France en est-elle arrivée là ? Alors que la pression des marchés s’accentue et que la dette française devient de plus en plus insoutenable, à quoi faut-il s’attendre ?

Pour comprendre cette crise, il faut revenir au début du second mandat du président Emmanuel Macron en 2022. Généralement, après l’élection d’un président, les élections législatives qui suivent aboutissent à une victoire du camp présidentiel, alignant l’exécutif et le législatif.

Cela ne s’est pas produit en 2022. Pour gouverner, Macron a donc dû faire adopter des lois à toute vitesse par l’Assemblée nationale sans majorité. Il a pu le faire car la Constitution française autorise le gouvernement à adopter des lois sans vote, sauf chute du gouvernement. Cela non plus n’a pas eu lieu. La réforme des retraites, très impopulaire, de Macron, qui a relevé l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, a été mise en œuvre de cette manière.

Ces difficultés à former une majorité parlementaire peuvent paraître anodines, car la constitution de coalitions viables est une tâche fastidieuse dans toute l’Union européenne. Mais le système politique français rend ce processus plus complexe car il est hybride : à la fois présidentiel et parlementaire.

Lorsque la majorité parlementaire reflète la politique du président, le système fonctionne bien, car il est largement dominé par le président. Lorsque la majorité parlementaire est opposée au président, le système peut encore fonctionner, mais cette fois à la manière des républiques parlementaires. Le pire des cas est lorsqu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale, comme c’est le cas aujourd’hui. Le Parlement n’est ni pour ni contre le président.

Il existe actuellement trois blocs de taille à peu près égale à l’Assemblée nationale : l’extrême droite (Rassemblement national), le centre-droit (qui soutient plus ou moins Macron), et la gauche.

La gauche et l’extrême droite s’accordent sur l’abrogation de la loi sur les retraites et sur une fiscalité plus lourde pour les riches. Mais il est inconcevable qu’ils gouvernent ensemble, tant leurs positions divergent sur les questions d’identité, de sécurité, d’environnement et d’immigration. Le bloc de centre-droit et l’extrême droite peuvent s’accorder sur des sujets comme l’immigration et la sécurité, mais sont fondamentalement en désaccord sur la politique économique, notamment les retraites.

Mais la réalité est encore plus complexe, car ces trois groupes, à l’exception du Rassemblement national, sont eux aussi divisés. La gauche est divisée entre un Parti socialiste réformateur et une frange populiste radicalisée menée par Jean-Luc Mélenchon, tandis que les forces centristes regroupent des tendances de droite, de centre-droit et de centre-gauche, avec des différences tactiques très marquées entre elles.

Logiquement, on pourrait imaginer une coalition entre les socialistes et un bloc comprenant le centre et la droite. Mais cela semble de plus en plus difficile, car les calculs actuels des partis politiques sont éclipsés par leurs prévisions pour l’élection présidentielle de 2027.

Au-delà de ces difficultés, deux autres problèmes se posent : l’hyper-présidentialisme du système politique et l’absence de vision commune sur l’avenir du modèle social du pays.

Macron jouit d’une bonne image internationale. En France, il a mené une politique de l’offre qui a indéniablement amélioré la performance économique – fortement avant, pendant et après la pandémie.

Mais Macron reste mal préparé à comprendre les règles et la réalité de la politique française actuelle. Il n’a jamais été élu avant 2017 et n’a aucun ancrage local. Il se perçoit comme quelqu’un qui plane au-dessus de la mêlée – et accorde peu d’importance à ceux qui le contestent, même pour un tout petit peu de pouvoir. C’est un schéma typiquement français, hérité de la monarchie. Aujourd’hui, la plupart des partisans de Macron le rejettent pour éviter une possible débâcle.

Macron paie aujourd’hui le prix de sa décision désastreuse de 2024 de dissoudre l’Assemblée nationale après les élections européennes, alors qu’il n’avait objectivement aucune raison de le faire. La crise actuelle est la conséquence de cette décision, qui a conduit à la nomination de trois Premiers ministres en seulement 13 mois.

Macron s’apprête à nommer un quatrième Premier ministre afin de gagner du temps et d’éviter de convoquer de nouvelles élections. Mais si ce nouveau Premier ministre échoue à son tour, et si de nouvelles élections aboutissent à un nouveau parlement sans majorité absolue, la pression sur Macron pour qu’il démissionne sera énorme. Le meilleur scénario serait alors qu’un gouvernement fragile gagne du temps avant l’élection présidentielle de 2027. Mais c’est loin d’être garanti.

Mais si la responsabilité de Macron est écrasante, l’incurie des partis politiques français est également responsable de la situation actuelle. Tous focalisés sur l’élection présidentielle de 2027, chacun agit comme s’il détenait seul la majorité absolue et refuse tout compromis.

La crise actuelle résulte également d’une absence totale de réflexion et de consensus sur l’avenir du système social français. Sur 1 000 euros (1 160 dollars) de dépenses publiques, soit les plus élevées d’Europe, environ 250 euros servent à payer les retraites et 200 euros à financer les soins de santé. Chacun le sait, mais il n’existe pas de consensus sur la manière de moderniser un système social qui offre de réels avantages, mais dont la viabilité financière est inexistante à moyen terme.

Pour comprendre l’ampleur du déni des Français face à l’ampleur de leurs problèmes, il suffit de constater que la gauche et le Rassemblement national font campagne pour l’abrogation de la réforme des retraites et prônent un retour à l’âge de départ à la retraite de 62 ans. Ils le font en dépit du risque croissant que représente la dette publique française pour l’économie.

La tragédie de la présidence de Macron réside dans l’échec de son projet de modernisation du système politique français. Il a fait exploser le système, mais n’a aucune vision concrète pour le remplacer. Sa responsabilité est immense, mais il n’est pas le seul responsable.

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Zaki Laïdi

Zaki Laïdi, ancien conseiller spécial du Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (2020-24), est professeur à Sciences Po.

2 réflexions sur “Macron n’a réussi qu’à créer un consensus contre sa présidence.

  1. Bonsoir M. Bertez

    LFI est qualifié de « frange populiste radicalisée »; ce qualificatif convient aussi très bien au RN de Marine Le Pen: le locuteur est situé de fait dans la norme bien pensante en place.

    On peut se demander si la destruction de l’exceptionnalisme français n’est pas un objectif de première importance pour les globalistes de l’U.E, aux fins de pouvoir accélérer la fusion des états européens en cette union bureaucratique autoritaire qui se révèle chaque jour un peu plus.

    L’autre facteur prioritaire étant de casser l’exceptionnalisme économique de l’Allemagne, en voie d’être accompli aussi.

    En ce cas, Macron aurait parfaitement accompli sa mission, et se verrait récompensé ultérieurement d’un poste honorifique et lucratif quelque part.

    La classe politique française se verrait naturellement euthanasiée au vu de son état.

    Il n’est pas sûr que les « Français » en pâtissent sur le long terme , mais le prix à avaler bientôt ressemblera plutôt à un boa qu’à une couleuvre.

    Pendant ce temps là, les chinois prennent de l’avance en créant à tour de bras des usines sans ouvriers: « Most Humbling Thing I’ve Ever Seen’: Western Business Leaders ‘Terrified’ After Touring Chinese Factories » (0 Hedge ce jour).

    Cordialement

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  2. « Macron jouit d’une bonne image internationale. En France, il a mené une politique de l’offre qui a indéniablement amélioré la performance économique – fortement avant, pendant et après la pandémie. »

    Ahahaha Zaki laidi devrait calmer les hallucinogènes.

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