Un exposé effrayant des risques financiers mondiaux. Même si vous ne comprenez pas, lisez, les cheveux se dressent sur la tête. La stabilité est un miracle.

Heureusement vous n’êtes pas censés comprendre ou même savoir que tout cela existe.

Rassurez vous je suis persuadé par expérience qu’il n’y a personne dans les milieux politiques qui comprenne la portée de cet avertissement.

Pablo Hernández de Cos a été gouverneur de la Banque d’Espagne (2018-2024), président du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et professeur d’économie, avant de devenir directeur général de la Banque des règlements internationaux en juillet dernier.

.La présentation de M. Hernández de Cos, jeudi à la London School of Economics, intitulée « Menaces budgétaires dans un système financier mondial en mutation », approfondit l’analyse critique récemment proposée par la BRI, la Banque d’Angleterre et le FMI.

Extraits essentiels :

« Ma conférence porte principalement sur la combinaison de niveaux élevés d’endettement public et de la présence croissante des institutions financières non bancaires (IFNB) sur les marchés obligataires souverains. Cette combinaison pose de nouveaux défis en matière de stabilité financière, qui comportent des dimensions à la fois nationales et internationales. »

Deux changements majeurs ont profondément transformé le système financier mondial depuis la crise financière de 2008. L’intermédiation financière s’est recentrée sur le financement des États plutôt que sur les prêts au secteur privé. De ce fait, l’influence des institutions financières non bancaires (IFNB) sur les marchés obligataires souverains s’est considérablement accrue, facilitée par les marchés de financement à court terme qui permettent un effet de levier important au sein du système financier.

Le niveau d’endettement souverain a fortement augmenté depuis la crise financière mondiale. Il a atteint des niveaux historiques d’après-guerre dans de nombreuses économies avancées. Selon les dernières projections de référence du FMI, ce niveau devrait encore augmenter, pour atteindre en moyenne près de 120 % du PIB dans les économies avancées et 85 % dans les économies de marché émergentes dès 2030.

Un risque important pour la soutenabilité de la dette réside dans une nouvelle hausse des rendements obligataires, notamment en cas de nouvelle flambée inflationniste ou si les gouvernements tardent à s’attaquer aux déficits budgétaires importants.

Plus généralement, le processus politique en vigueur dans de nombreux pays favorise souvent un biais déficitaire.

L’explosion des niveaux de dette publique s’est accompagnée d’une transformation majeure des schémas d’intermédiation au sein du système financier mondial, les institutions financières non bancaires (IFNB) se déplaçant des banques vers ces dernières.

Les IFNB à effet de levier, et les fonds spéculatifs en particulier, ont joué un rôle important pour combler le fossé entre l’offre croissante d’obligations d’État et la demande des banques et autres IFNB.

Cette situation a été principalement motivée par l’utilisation, par les fonds spéculatifs, de stratégies de trading de valeur relative, telles que l’opération de base entre le cours au comptant et les contrats à terme, qui visent à exploiter de faibles écarts de prix entre des instruments financiers connexes.

Afin d’amplifier les rendements liés à ces faibles écarts de prix, les fonds spéculatifs de valeur relative utilisent fortement l’effet de levier. Ils y parviennent en empruntant sur le marché des pensions pour financer l’achat du titre au comptant et en profitant du faible écart de prix entre ce titre et son contrat à terme correspondant. Bien que ces évolutions aient été particulièrement marquées aux États-Unis, elles se sont également produites dans plusieurs autres grandes économies d’économie, notamment la zone euro, le Canada et le Royaume-Uni.

« La présence accrue de certaines institutions financières non bancaires (IFNB) sur les marchés obligataires souverains augmente la probabilité de fortes fluctuations non linéaires des rendements (c’est-à-dire un risque de retournement brutal). Plus concrètement, plusieurs canaux permettent aux IFNB de générer et d’amplifier des tensions sur les marchés de la dette souveraine bien avant que les limites théoriques prévues par les analyses classiques de viabilité budgétaire ne soient atteintes. »

« Le premier canal est lié au rôle de l’alignement des durations par les fonds de pension et les compagnies d’assurance… Le deuxième est lié à la manière dont de nombreux fonds monétaires et fonds ouverts utilisent les obligations d’État pour la gestion de leur liquidité, ce qui peut entraîner des ventes forcées de ces actifs en cas de besoin de liquidités suite à une forte augmentation des rachats. Le troisième canal d’amplification des tensions est lié à un phénomène récurrent : lorsque les institutions financières non bancaires étrangères détiennent des obligations libellées dans la devise locale de l’émetteur, les fluctuations des taux de change génèrent des pertes de valeur (en devises fortes), ce qui peut provoquer des sorties de capitaux et faire grimper les rendements des obligations d’État. »

« Ces canaux étant bien connus, je souhaite aujourd’hui me concentrer sur un ensemble plus récent de canaux potentiels d’amplification des tensions financières, liés à la forte dépendance de certaines institutions financières non bancaires à l’égard de l’effet de levier et du financement à court terme en dollars (au bilan et hors bilan). »

Le premier de ces canaux découle des stratégies de trading à effet de levier des hedge funds, facilitées par la disponibilité de financements en pension à des conditions très avantageuses. Ces dernières années, les hedge funds ont pu emprunter des montants égaux ou supérieurs à la valeur de marché des garanties fournies, c’est-à-dire sans décote, protégeant ainsi le prêteur du risque de marché. Environ 70 % des pensions bilatérales souscrites par les hedge funds en dollars américains et 50 % de celles souscrites en euros sont proposées sans décote, ce qui signifie que les créanciers n’imposent aucune contrainte sur l’effet de levier lié à l’utilisation d’obligations d’État. Les hedge funds de plus grande taille – notamment les fonds de valeur relative généralement impliqués dans les opérations de base – sont particulièrement susceptibles de bénéficier de ces conditions favorables de la part de leurs courtiers, comparativement aux hedge funds de plus petite taille.

« Par conséquent, les stratégies de valeur relative des hedge funds sont extrêmement vulnérables aux chocs négatifs sur les marchés de financement, de trésorerie ou de produits dérivés, comme l’ont démontré des épisodes récents. Lors des turbulences de marché de mars 2020, par exemple, les appels de marge sur les marchés à terme des bons du Trésor ont déclenché un débouclage des positions, y compris des avoirs en bons du Trésor sur le marché au comptant, contribuant ainsi à des spirales de désendettement déstabilisatrices.

Plus récemment, un débouclage plus ordonné des opérations de valeur relative – cette fois-ci lié aux marchés des swaps de taux d’intérêt, où les investisseurs avaient parié sur un resserrement des spreads en raison de la perception d’un assouplissement réglementaire potentiel – semble avoir contribué à la volatilité accrue observée sur les marchés des bons du Trésor début avril 2025. »

« Le second canal d’amplification des tensions financières est lié aux investisseurs privés de long terme, tels que les gestionnaires d’actifs, les fonds de pension et les compagnies d’assurance

. Bien que leur endettement ne soit pas élevé, ces intermédiaires financiers actifs à l’international sont également confrontés à des risques considérables de refinancement en dollars à court terme liés à leur utilisation de produits dérivés de change. »

Le troisième nouveau canal d’amplification des tensions financières découle de l’étroite interdépendance entre le marché des pensions et le marché des swaps de change. Les grandes banques commerciales sont les principaux fournisseurs de financement en dollars à court terme sur ces deux marchés. Si les swaps de change sont des instruments hors bilan qui ne sont pas comptabilisés dans le total des actifs, les pensions et les swaps de change constituent des formes de prêts garantis et sont pris en compte dans le budget de risque des grandes banques commerciales. Si des tensions sur le marché des pensions réduisent la capacité de prise de risque des banques ou perturbent leur financement, elles sont susceptibles de se retirer du marché des swaps de change.

Ainsi, les tensions sur le marché des pensions pourraient rapidement se propager au marché des swaps de change, et inversement.

Compte tenu de la nature des swaps de change, si les banques ne les renouvellent pas, les gestionnaires d’actifs devront fournir l’intégralité des montants notionnels des contrats sous-jacents pour les clôturer.

Ceci pourrait provoquer une ruée mondiale vers le dollar, similaire à celle observée en mars 2020. Ainsi, le lien traditionnel entre les banques et les États a évolué vers un lien plus large reliant les institutions financières (bancaires et non bancaires) et… « Souverains. »

« Limiter l’effet de levier des institutions financières non bancaires lorsqu’il soulève des inquiétudes quant à la stabilité financière devrait être un objectif politique prioritaire. »

En conclusion :

« Depuis la crise financière mondiale, le système financier international a subi de profondes mutations structurelles. Face à l’augmentation rapide de la dette publique, l’intermédiation financière s’est recentrée sur le financement des États plutôt que sur les prêts au secteur privé. Ce changement s’est accompagné d’une présence accrue des institutions financières non bancaires (IFNB) sur les marchés obligataires souverains. L’expansion des IFNB a été facilitée par les marchés de financement à court terme, qui ont permis un important renforcement de l’effet de levier au sein du système financier.

Ces évolutions posent de sérieux défis à la stabilité financière, tant au niveau national qu’international. En période de stabilité, la présence accrue des IFNB sur les marchés obligataires souverains accroît la liquidité et réduit les coûts de financement des États. Toutefois, cette présence accrue augmente également le risque de fortes variations non linéaires des rendements souverains, et ce, par divers canaux.

Si certains de ces mécanismes d’amplification des tensions sont bien connus, trois d’entre eux sont plus récents.

Le premier découle des stratégies de trading à effet de levier des fonds spéculatifs, facilitées par la disponibilité de financements en pension à des conditions très avantageuses.

Le second est lié à l’utilisation de swaps de change (qui ont généralement des échéances très courtes). » Pour se prémunir contre le risque de change lié aux échéances, de nombreuses institutions financières non bancaires (IFNB) s’exposent également au risque de refinancement et aux difficultés de financement.

Le troisième facteur, inédit, découle des liens étroits entre le marché des pensions et le marché des swaps de change, ce qui signifie que les tensions sur l’un peuvent rapidement se répercuter sur l’autre.

4 réflexions sur “Un exposé effrayant des risques financiers mondiaux. Même si vous ne comprenez pas, lisez, les cheveux se dressent sur la tête. La stabilité est un miracle.

  1. Merci pour cette interpretation.

    Dire que j’utilise la loi de Pareto quasiment tous les jours dans mon travail, je ne l’avais pas envisagée sous cet angle !

    Cela sous-tend toutefois que ces individus sont soumis à la loi de la nécessité mais cela, je n’en doute pas, ils sont sélectionnés pour arriver à ces postes par leur perversion, leur soif de pouvoir et leur avidité, entre autres.

    Ils ont, dirais-je, de base, un avantage compétitif sur toute personne plus altruiste qu’eux.

    Mais choisissent-ils vraiment d’en arriver là de leur propre chef ou bien tout ça est-il surdéterminé ?

    Je connais votre réponse.

    Pareto était vraiment un très bon sociologue.

    Et il est dommage, je pense, que vous n’ayez pas enseigné.

    En tout cas, continuez à nous faire profiter de votre savoir et de vos points de vue et perspectives.

    Longtemps.

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  2. Démonstration remarquablement pédagogique s’agissant de phénomènes complexes.Elle permet de comprendre

    (i) comment la liquidité se construit artificiellement et se nourrit des effets de levier.(i) pourquoi Les marchés obligataires sont devenus dépendant de cette fausse liquidité.(i) comment cette augmentation artificielle entraine un risque de solvabilité dont la concrétisation n’est qu’une question de quand.Il est à mettre en parallèle des dérégulations voulues par Trump qui ne peuvent qu’augmenter les risques.

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  3. M Bertez, permettez-moi cette question idiote : ces personnes, elles savent pertinemment où l’on va terminer, avec ces politiques accommodantes pour les marchés financiers, puisqu’ils sont eux-mêmes complices et responsables de cette catastrophe en devenir.

    Que cherchent-ils en avouant cela ? Se dédouaner ? Prendre un plaisir vicieux de pompier pyromane ? Ou bien prennent ils tout simplement les gens pour des c… Au premier degré du terme : en montrant leur supériorité intellectuelle, imbus d’eux-mêmes, sur le bas-monde… ?

    « Le pouvoir est Satan » disait en substance Jacques Ellul.

    Car ils savent très bien que leur texte restera dans les limbes initiées ( qui eux, savent déjà tout cela j’imagine) ?

    Qui ira chercher ce texte, hormis vous, pour le partager à tous ( si peu en fait) ?

    Merci en tout cas de nous le mettre à disposition et le prefacer.

    Je n’ai pas tout compris sur le fond, hormis qu’on est dans une endogamie financière incestueuse horrible, mais la forme de communication de ces démiurges m’interrogera toujours.

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    1. La gestion des responsables est déterminée, ils ne choisissent pas: ils sont dans un engrenage, notion centrale dans mon cadre analytique.

      Par ailleurs ils sont prisonniers des optimums de Pareto;

      je vous joins de quoi réfléchir sur ces optimums qui sont à la base de la gestion de de nos régimes.

      L’optimum de Pareto (ou efficacité de Pareto, ou optimum au sens de Pareto) est une notion centrale en économie, en théorie des jeux et en optimisation multi-objectifs.

      Définition simple
      Une situation (ou une allocation de ressources) est dite Pareto optimale (ou Pareto efficiente) si il est impossible d’améliorer le bien-être d’une personne sans détériorer celui d’au moins une autre. Autrement dit : on ne peut plus faire quelqu’un plus heureux sans rendre quelqu’un d’autre moins heureux. Exemple concret Imaginons une tarte à partager entre Alice et Bob :Si Alice a 80 % et Bob 20 %, on peut améliorer la situation de Bob (lui donner plus) sans nuire à Alice → ce n’est pas Pareto optimal.
      Si Alice a 50 % et Bob 50 %, ou 70/30, ou 100/0… peu importe la répartition : tant qu’on ne peut pas donner plus à l’un sans prendre à l’autre, c’est Pareto optimal.

      Points importants Il existe généralement plusieurs optima de Pareto (toute la courbe des possibilités d’utilité dans un diagramme d’Edgeworth par exemple).
      Une situation peut être Pareto optimale tout en étant très inégalitaire (ex : une personne a tout, l’autre rien → c’est Pareto optimal, car on ne peut améliorer l’un sans nuire à l’autre).
      L’optimum de Pareto ne dit rien sur l’équité ou la justice, seulement sur l’efficacité.

      Théorèmes fondamentaux du bien-être (liés à Pareto)Premier théorème : Tout équilibre concurrentiel (marché parfait) est Pareto optimal.
      Deuxième théorème : Toute allocation Pareto optimale peut être atteinte comme un équilibre concurrentiel avec des transferts initiaux appropriés (redistribution forfaitaire).

      En résumé (formule courte)Une allocation est un optimum de Pareto si ∄ une autre allocation faisable telle que :Au moins un individu est strictement mieux,
      Et aucun individu n’est pire.

      C’est le critère d’efficacité par excellence en économie.

      Expliquez le diagramme d’Edgeworth

      Frontera de possibilités de production

      lien entre les optimums de Pareto et le court-termisme

      Le lien entre optimum de Pareto et court-termisme est assez profond, surtout quand on analyse les décisions dans le temps (dynamiques intertemporelles) ou les décisions impliquant plusieurs générations, entreprises, ou dirigeants.

      Voici les principaux mécanismes par lesquels l’optimum de Pareto favorise ou légitime le court-termisme :1. L’optimum de Pareto ignore la distribution dans le temps (et entre générations)L’optimum de Pareto est statique ou myope dans sa définition standard : il considère seulement si on peut améliorer quelqu’un aujourd’hui sans nuire à quelqu’un aujourd’hui.
      Résultat : une décision qui maximise le bien-être immédiat d’un groupe (ex. : actionnaires actuels, dirigeants en place, génération actuelle) tout en sacrifiant les générations futures peut être Pareto optimale à court terme.

      → Exemple : une entreprise qui verse 100 % de ses bénéfices en dividendes et n’investit rien en R&D ou en transition écologique est Pareto optimale aujourd’hui (les actionnaires actuels sont mieux lotis, personne d’aujourd’hui n’est perdant), même si elle condamne l’entreprise (et la société) à long terme.2. Les incitations des dirigeants et le horizon de mandatUn PDG nommé pour 3-5 ans a intérêt à maximiser la valeur actionnariale (et son bonus) pendant son mandat.
      Toute politique qui améliore le cours de l’action pendant son mandat, même au prix d’une destruction de valeur massive après son départ, est Pareto-améliorante pour les parties prenantes actuelles (actionnaires présents, lui-même).
      C’est parfaitement rationnel individuellement → donc Pareto-efficient dans le cadre du jeu actuel.

      3. Problème d’externalités intertemporelles

      Les coûts reportés sur l’avenir (dette, pollution, épuisement des ressources, sous-investissement en capital humain) sont des externalités négatives sur les générations futures.
      Or, dans le critère de Pareto classique, les générations futures n’ont pas de voix (elles ne sont pas des agents présents).
      Donc détruire l’environnement peut être Pareto-optimal aujourd’hui (on enrichit les vivants sans les rendre plus pauvres), même si c’est catastrophique demain.

      4. Le théorème de Hotelling et les ressources épuisablesEn économie des ressources naturelles, l’extraction optimale (au sens de la rente maximale) suit la règle de Hotelling.
      Mais si le taux d’actualisation est élevé (préférence pour le présent), on extrait très vite → c’est Pareto-optimal pour les propriétaires actuels, mais c’est du court-termisme extrême.

      5. Comment sortir du piège ?Pour lutter contre le court-termisme tout en restant dans un cadre paretien, il faut modifier le cadre :Introduire un taux d’actualisation très bas (ex. : rapport Stern sur le climat),
      Donner des droits aux générations futures (théorie des droits, overlapping generations avec altruisme),
      Créer des engagements crédibles (dette verte, normes contraignantes, fiducies de long terme),
      Aligner les incitations des dirigeants sur le très long terme (actions bloquées 10 ans, malus différés, etc.).

      Résumé en une phrase

      L’optimum de Pareto, tel que classiquement défini, est intrinsèquement court-termiste car il ne considère que les agents et les préférences du présent ; il valide donc comme « efficace » toute prédation du futur au profit du présent.

      C’est pourquoi de nombreux économistes (et philosophes comme Rawls ou Broome) estiment que le critère de Pareto est insuffisant pour juger les politiques de long terme ou intergénérationnelles. Il faut lui adjoindre d’autres critères (soutenabilité, justice intergénérationnelle, etc.).

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