La réconciliation, la sphère monétaire, la servitude. Le changement de nature de la monnaie.

L’hypothèse de travail la plus riche en ce début d’année nous semble être celle d’un changement de nature de la monnaie. Nous avons souvent abordé cette question et encore très récemment.

Je m’explique. Les fondamentalistes, les investisseurs « Value » sont largués. Ils contreperforment, ils perdent leurs clients. Les uns jettent l’éponge et deviennent suiveurs du momentum, les autres se retirent sur leur aventin, les derniers enfin continuent de prédire la catastrophe imminente.

Je lisais l’autre jour le compte rendu de  la conférence d’un très grand investisseur « value » qui s’interrogeait et se demandait si vraiment cette fois c’était différent, si on devait cesser de considérer qu’une action était une somme de cash flows actualisés , ou bien si la valeur était devenue toute autre chose comme le signe, le symbole du pouvoir de disruption par exemple. Il pensait à Amazon, Netflix ou Tesla .

Ce qui m’a frappé c’est la cécité de cet investisseur pourtant génial; il ne s’intéresse que qu’à la valeur, au prix de l’actif financier.  Il oublie, alors que cela lui crève les yeux qu’un prix financier c’est une équivalence entre d’un côté un cours de bourse et de l’autre une quantité de monnaie. Il oublie ce qu’il sait pourtant au niveau global à savoir qu’il y a un ensemble de richesses réelles et de  biens de production dans le monde et que face à cet ensemble de richesses et de biens réels il y a une masse de signes monétaires, quasi monétaires et money like. Il pose la monnaie comme un invariant, il est aveugle au fait que la monnaie n’est pas une donnée, mais un produit, une création, une production humaine discrétionnaire. Une production humaine discrétionnaire globale fongible depuis la généralisation des changes flottants,  la libre circulation des capitaux, l’interconnexion bancaire et financière. Notre investisseur s’interroge sur le côté gauche de l’équivalence, il ne voit même pas qu’il y a un côté droit; c’est la lettre volée d’Edgar Poe, elle est devant les yeux, mais on ne la voit pas.

Le fondamentaliste fait le pari de la réconciliation. Qu’est ce que cela veut dire? Il fait le pari que le monde réel, et le monde des marchés peuvent diverger, être disjoints sur le court et le moyen terme, mais que sur le long terme la fusion des deux, la convergence, la réconciliation sont inéluctables. C’est la base de toute appréciation fondamentale: sur le court terme les marchés sont une machine à voter, mais sur le long terme ils sont une machine à peser comme le disait le maître des fondamentalistes Benjamin Graham.

Le fondamentaliste admet sans le remettre en question que les marchés sont nécessairement liés aux fondamentales. Le lien peut se distendre, mais sur la durée d’un cycle, les liens se resserrent, un rappel se produit qui oblige à la reconvergence.

Cette conception est binaire. Elle signifie que l’on considère que seuls deux univers existent ; le premier le Réel et le second la Sphère des Marchés. Le Réel   d’un côté et les  Perceptions de l’autre. Et la Sphère Réelle finit toujours par gagner et imposer sa pesanteur, sa rareté, bref ses valeurs.

Dans un monde ou il n’y a que deux univers, celui du réel et celui des marchés, quasi tout est prévisible. Ce n’est qu’une question de travail, de discipline,  d’outils intellectuels et il est évident que c’est ce qui explique la réussite des hedge funds pendant longtemps. Il y a dans un monde à deux univers, prévisibilité, déterminisme, causalité intelligible.

Mais dans un monde ou il existe trois univers alors tout devient imprévisible, complexe. Certes le déterminisme existe, mais c’est son appréhension qui devient impossible.  Et nous soutenons que depuis 1971 nous sommes dans un monde qui peu à peu s’affirme comme composé de trois univers qui, chacun, ont leurs lois ; le réel, les marchés et le monétaire.

L’année 1971 a marque la naissance du nouveau monde, le monétaire.  Et celui-ci au fil du temps s’est autonomisé, il a rompu ses liens, ses pesanteurs, il vole de ses propres ailes . En 1971 on a libéré le dollar de la pesanteur, des limites du réel et peu à peu tout ce qui s’exprime en dollar, tout ce qui s’achète en dollars, a été libéré. On a découvert l’infini, on a échappé à la finitude. Avec les changes flottants, avec la financialisation des raretés réelles comme les matières premières, comme l’énergie, comme l’or,  tout est  devenu « libéré ». Dieu est redescendu sur terre.

La frivolité des prix sur les marchés, la frivolité généralisée ne veulent rien dire d’autre que ceci: la troisième sphère s’étoffe, elle prend sa place et modifie de proche en proche tout, absolument tout. A un point tel qu’il est devenu plus rentable de passer son temps et d’user ses compétences à faire l’exégèse des discours  des banquiers centraux qu’à étudier le monde réel. Et pour investir il vaut mieux ne pas penser et s ‘en remettre à la gestion passive car elle, elle traduit quasi directement les fluctuations de la sphère numéro trois, la sphère monétaire. La gestion passive n’est plus troublée, perturbée par l’irruption du réel et sa singularité. Les hedege funds étaient un symptome du monde binaire, les ETF et gestion indicielles sont des symptômes du monde à trois.

Le processus ne s’est pas accompli  en jour, non, il est encore en cours. Il s’est étalé et il s’étale encore. C’est à tort que l’on considère que 2008 était une crise, une rupture, non c’était une étape. Une étape absolument nécessaire qui, pour intervenir et être franchie impliquait une situation exceptionnelle:  il fallait beaucoup  de peur pour que les banquiers centraux puissent prendre tout le pouvoir qui leur était nécessaire pour poursuivre l’autonomisation de la sphère numéro trois.  La sphère magique, la sphère de l’illusion, la sphère des fétiches sur laquelle ils règnent . Car pour que le processus aille à son terme il faut que les théories changent, que les produits dans lesquels s’incarnent les théories changent, que les institutions changent, que les mentalités changent, que les réflexes de Pavlov changent, que les lois changent etc  etc. Il faut que l’innovation que constitue  la libération de la sphère numéro trois fasse son chemin dans les sociétés, dans l’ordre social, dans les narratives. Et dans la tête des gens, il faut les reprogrammer. Ce qui est en  cours grâce à la destruction des identités concrètes, des appartenances,  et bien sur grace l’aliénation post moderne dans les digits des smartphones et de la technologie.

Un monde composé de deux sphères est prévisible à un coût raisonnable , un monde composé de trois sphères cesse de l’être car les lois de gravitation, sont composées, complexifiées par les interrelations entre les sphères. Il y a d’un côté le réel, de l’autre les marchés et encore le monétaire. La complexité va au delà de tout ce que l’on peut imaginer et vous comprenez que même les apprentis sorciers comme Greenspan ou Yellen sont obligés de reconnaître qu’ils n’y comprennent plus rien,  qu’il a y a une multitude de conundrum; car non seulement l’interaction des trois sphères est complexe, imprévisible, mais en  plus la progression des processus est inégale.  Les phénomènes d’apprentissage et de transition viennent s’en mêler. Au  fur et à mesure que le temps passe la nature nouvelle du monde , le réel, les marchés et le monétaire , cette nature nouvelle du monde fait l’objet d’une prise de conscience. Les uns travaillent , réagissent, interagissent avec les critères et modèles anciens, les autres sont dejà sur les nouveaux et d ‘autres encore sont dans des positions intermédiaires. Il y a enchevêtrement.

Un marché est un lieu de découverte et de formation de prix, il est utile et efficace si les intervenants constituent bien un marché. C’est à dire si leurs décisions sont statistiquement réparties. Mais si certains  intervenants ont le contrôle de la troisième sphère, celle contre quoi tout s’échange, avec des moyens infinis, des discours d’autorité,  tout bascule.  Le marché cesse d’être un lieu de constat il devient un lieu de combat, puis une fois le combat gagné  (don’t fight the Fed) par les  plus forts il devient un lieu de transmission.  Un lieu de transmission de leur volonté. Et finalement il devient un lieu de jeu, un terrain de jeu ou les plus habiles, sans scrupules exploitent les moins armés à la faveur de la théorie des banquiers centraux selon laquelle il fallait être transparent, prévisible c’est à dire disposer d’un volant d’initiés structurels, systémiques sur lequel s’appuyer. Les marchés avons-nous souvent répété sont des lieux d’exploitation par construction.

Ce que nous voulons faire comprendre c’est que ce qui est intervenu depuis 1971, puis 2008, ce n’est pas seulement quantitatif, c’est qualitatif. C’est la nature du système qui a changé. Ce n’est plus un système composé de deux ensembles , mais un système en évolution vers un autre qui peu à peu se compose de trois ensembles par l’intégration d’un  troisième qui lui, est envahissant. Ce qui a changé, ce n’est pas le monde économique, la technologie, et autres balivernes non ce qui a changé c’est l’Ordre, l’organisation de nos sociétés.

La sphère monétaire est devenu un service public, politique au même titre que la police ou l’armée, elle est devenue un instrument pour d’une part assurer la richesse d’une classe et de ses associés et d ‘autre part maintenir la stabilité sociale afin que l’Ordre ne soit pas contesté/menacé.

La nécessité de maintenir ce que l’on appelle l’effet de richesse (empêcher la déflation ) , la nécessité de maintenir la redistribution des miettes (éviter l’explosion sociale)  , tout cela conduit à penser que l’on poursuivra les mutations engagées qui sont esquissées ci dessus. On ira plus loin dans cette autonomisation de la troisième sphère et son intégration dans l’ensemble que forment les deux autres, l’économie réelle et les marchés.

La crise de 2008 a comme nous l’avons expliqué autorisé les banquiers centraux et leurs sponsors à franchir une nouvelle étape dans le changement de nature de la monnaie, mais d’ores et déjà une nouvelle étape se profile à l’horizon. Elle  leur donnera la possibilité d’aller plus loin: les systèmes de retraites et de protection sociale sont en faillite. Les peuple seront prêts à tout accepter pour « sauver » les systèmes de protection  sur lesquels ils comptent. A choisir entre la révolution, le soulèvement et l’asservissement festif, ils choisiront n’en doutez pas l’asservissement et ils se regarderont danser dans les pub à la télé!

L’originalité de notre position est que nous croyons qu’in fine le fondamental existe, que la rareté reste la base l’économie, que l’on ne peut échapper au chaos de la réconciliation, mais qu’en même temps, nous constatons, nous décrivons, nous mettons à jour  un système qui se donne les  moyens de repousser les échéances, de mentir , bref de se prolonger pendant encore très longtemps,  par l’extension de la servitude.

 

 

 

 

 

 

 

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9 réflexions sur “La réconciliation, la sphère monétaire, la servitude. Le changement de nature de la monnaie.

  1. On s’oriente vers la monnaie fondante new age, voilà ce que cela veut dire, d’où leur grand intérêt pour la disparition du cash et dans le futur ce sont les salaires qui seront côté à la baisse pourquoi s’en priver puisque la masse ne se lève pas pour refuser le servage.

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  2. Tres beau texte.
    Que pensez vous de la contrainte du commerce exterieure,hors zone de domination occidentale? Je pense que les chinois et les russes rameneront nos banquiers et nos gouvernements sur terre. Pour aider, j’achete le plus possible chez jack Ma…

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  3. Bonjour,

    Je suis en accord complet avec le précédent commentaire et je confirme que pour moi c’est votre meilleur synthèse depuis longtemps.

    C’est extrêmement clair, un grand merci : on voit bien au fil des jours la distillation qui s’opère comme dans un alambic.

    Au bout d’un moment, voilà le modèle presque pur séparé du bruit et des tous les artifices qui nous empêchent de comprendre.

    Ce qui est clair également, c’est que le système à deux sphères était complexe mais celui à trois sphères est probablement d’une complexité très supérieure et ne saura être maîtrisé par les autorités.

    Je me demande si le meilleur investissement ne serait pas de foutre le camp dans un pays (ou une zone) dans lequel les fondamentaux sont solides : propriété privée, endettement des acteurs publics, maîtrise de sa monnaie et de ses frontières, équilibre entre social et économie de marché, valorisation du travail, neutralité géopolitique, liberté d’entreprendre, diversification de l’économie, … et évidemment investir dans son capital humain : famille, amis, réseaux, un gros effort sur la formation (langues, techniques, …).

    On voit bien qu’en France, avec les lois Sapin, le prélèvement à la source, la loi sur les fake news, … que nos brillantes élites sont en train de monter les outils pour nous contraindre.

    Bonne année à tous.

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    1. Vous êtes clairvoyant , partir est une façon de s’adapter et l’adaptation est la clef de la survie.

      La lutte est aussi un moyen de s’adapter mais peut etre un peu moins confortable.. c’est une question de tempérament je pense. Ce qui est sur c’est la fausse rebellion n’est pas une solution.

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      1. Tres d,accord. Mais je dirais plutot l,accomodation au lieu d,adaptation, car la derniere suppose alienation, denaturation, formattage et a la fin reification, ce que nous devons a tout prix eviter, pour etre.

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  4. Excellent article. Merci. Cela rejoint largement ce qu’il m’arrivait de percevoir. Toutefois je pense aussi que ces trois systèmes évoluent dans un quatrième système plus vaste et qui les englobe. Lequel finira in fine par arbitrer en faveur d’un des trois. Je suis sans nul doute un fondamentaliste. Et comme je refuse de me faire reprogrammer, cela risque de ne pas changer de sitôt. Cordialement.

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  5. Bonjour Mr Bertez,
    Ah pour l’un de vos premiers éditos de l’année, vous faîtes très fort !
    Vous lisant régulièrement, je trouve que votre pensée s’affine et se simplifie ce qui la rend d’autant plus percutante. Grace à votre métaphore des 3 sphères, je comprends à présent comment on en arrive à ce que la sphère des marchés monte alors que la sphère du réelle elle ne cesse de se tendre, le pourquoi de la lévitation hors sol… Effectivement en ajoutant une sphère monétaire aux poches pleines, il est possible de lui faire financer les marchés au détriment du réel. D’où les distorsions dans tout les sens … Bravo!

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