Editorial Comprendre le « capitalisme » actuel

Le graphique en pied de page nous place au coeur du problème du système: la chute ou la stagnation de la profitabilité réelle définie comme le ratio du profit à la masse totale de capital engagée dans ce même système.

Il ne faut pas confondre la profitabilité avec la marge bénéficiaire. La profitabilité se  se mesure en   regard du capital investi,; tandis que les marges bénéficiaires se mesurent en regard des chiffres d’affaires.

On peut très bien faire progresser les marges bénéficiaires et en même temps subir une régression de la profitabilité si par exemple, la masse de capital engagée croit très vite. On s’alourdit en capital.

Depuis le début des années 70 , la profitabilité, a tendance à se réduire, à s’effritter. C’est une tendance car il y a des périodes oü cycliquement elle s’améliore, elle se redresse temporairement .

Au début des années 70 constatant ce phénomène, le système a abandonné le régime ancien, disons le Fordisme qui consistait à verser de bons salaires,   et il tenté de repousser ses limites en mettant en place ce que l’on a appelé le néo-libéralisme, ou ultra-libéralisme.  Peu importe le nom mais le phénomène est clair et sans ambiguïté: cette forme de libéralisme durcit le capitalisme et le financialise:

-en réduisant la part des salaires dans les GDP,

-en faisant un recours intense à l’endettement d’abord pour compenser la stagnation des revenus salariaux ensuite pour augmenter l’effet de levier qui bonifie la profitabilité du capital investi et enfin pour l’ingénierie financière qui avec l’aide des taux d’intérêt bas produit des plus values fictives sur les marchés financiers pour les actions et obligations.

Les niveaux très élevés atteints par les cours boursiers sont le résultat synthétique de tout cela.

Certains pensent que cela est durable et que l’on peut continuer de cette façon.

D’autres pensent que non que ce système a ses limites:

-on ne peut comprimer toujours les salaires,

-on ne peut augmenter les endettements à cause du risque d’insolvabilité ;

-on ne peut continuer à l’infini de souffler dans les prix boursier du capital par l’ingénierie financière car on le fragilise, il devient spéculatif, fragile  et instable.

Il n’est pas le lieu ici de discuter de ces limites. Sachez que mon cadre analytique considère que ces limites existent de façon intrinsèques, et extrinsèques.

la situation actuelle s’explque en particulier parce que les salariés et leurs syndicats ont subi une défaite historique. Aussi parce que les gouvernements élus ont perdu le pouvoir au profit des banquiers centraux lesquels favorisent le capital en  entretenant l’endettement par la création monétaire, les sauvetages et les taux d’intérêt bas.

Il y a des limites mais avant de les toucher le système dispose encore de marges de manoeuvre très importantes et même d’autant plus importantes que peuples sont divisés, impuissants et trahis par leurs élites. Les élites ont changé de camp, elle sont du côté de ce nouveau capital que j’appelle kleptocratique.

Ci dessous se trouve l’évolution des bénéfices par action des sociétés du S&P 500. Par l’ingénierie financière, c’est à dire par les rachats de leurs actions les sociétés réduisent sans cesse le nombre d’actions en circulation ce qui signifie que le résultat par actions se trouvé dopé mathématiquement. Pour réaliser ces opérations les sociétés s’endettent, elles le font parce que le crédit est quasi gratuit et surabondant grâce aux banques centrales. En réduisant le  nombre d’actions les entreprises reduisent donc le dénominateur des résultats par action et font ressortir une croissance favorable: la croissance ainsi déclarée est de 259% sur la période. C’est la magie de l’ingénierie et des taux bas: elles boostent les bénéfices apparents.  Ce sont ces bénéfices qui servent de critère pour les cours de bourse; les cours de bourse sont un multiple des bénéfices dans les théories actuelles. Les opérateurs se fichent de la « qualité » des résultats, ils les prennent en valeur faciale. du moins à notre époque.

Le graphique montant en  vert retrace l’évolution « boostée » des bénéfices par action depuis 2011.

Le graphique descendant en bleu retrace l’évolution du nombre d’actions émises.

Les profits par action ont progressé de 259% tandis que les chiffres d’affaires par action correspondants n’ont progressé que de 39%;

Vous mesurez l’écart enrte le monde imaginaire de la Bourse et le monde réel de l’économie de production.

Si vous avez compris mon analyse et cet exposé vous avez compris l’essentiel de notre époque et vous comprenez que le capitalisme actuel n’est plus le capitalisme de nos grands pères. Il perd sa légitimité, sa solidité. Ce capitalisme se fragilise bien sûr  et donc il devient de plus en plus tyrannique. Par exemple il exige des baisses d’impôts, des baisses de charges, de la flexibilité des échines, de l’insécurité etc

Les buy-backs manifestent la volonté de ce capitalisme de maintenir et  d’augmenter sa fortune, avec l’aide des banques centrales et des gouvernements. Tout cela explique l’accroissement des inégalités, cela  explique le populisme qui est le refus de ce système inique et malthusien. Car en  fait , jugeant que la profitabilité n’est pas suffisante, le capital fait la grève, nous avons retrouvé l’épisode des années 30 ou l’on parlait de Mur de l’Argent; il refuse de s’investir et se réduit pour s’optimiser.

Je suis capitaliste, totalement, sans réserve mais pas de ce capitalisme là.

Note:

Sur la dernière décennie les entreprises américaines ont dépensé plus de $4 trillions en rachetant leurs propres actions. Ces entreprises ont été les principales sources d’achat des actions sur le marché. Ces rachats sont responsables de plus de 40% de la croissance des résultats par action sur la période. Ces achats sont responsables de plus de 72% de la croissance des résultats par action depuis 2012. Ainsi s’explique la valorisation incroyablement élevée des actions. Ainsi s’explique l’absence de volatilité. Ainsi s’expliquera en grande partie la crise boursière qui se produira quand cet ingénierie s’arrêtera et s’inversera.

L’autre aspect d e cette ingenierie est constitué par les opérations financières de Private Equity et les fusions-acquisitions.

Incidence des buy backs, des rachats d’actions:

13 réflexions sur “Editorial Comprendre le « capitalisme » actuel

  1. La pression sur les entreprises vient principalement des fonds de retraite dont beaucoup semblent a la dérive(Calpers).Les retraites payées et promises sont bien trop grosses par rapport aux cotisations ou placements.Payer en plus les dirigeants avec des stocks options ne pouvait qu’en plus encourager les artifices comptables avec la complicité des cabinets.Les autorités monétaires US ne peuvent pas laisser les marchés baisser.La preuve:malgré la hausse des taux le DOW n’a pas baissé et aucun fond obligataire n’a fait faillite.Seule explication plausible:les BC ont continué a racheter ce qu’il fallait sans l’inscrire au bilan

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    1. En effet, le fait de payer les dirigeants avec des stock-options ce qui fait d’eux des actionnaires comme les autres a été une catastrophe pour la gestion des entreprises. Il me semble aussi que le recours au LBO a été lui aussi contreproductif. Le capitalisme d’aujourd’hui permet à une bande d’aventuriers de s’enrichir non plus au dépens de l’entreprise ou de la banque, mais en provoquant, sans que le crime soit assorti d’aucune peine d’emprisonnement, la faillite de l’entreprise ou de la banque: je pense à Enron en 2003 ou à AIGFP en 2008.

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      1. Les stocks options ont constitué le moyen de faire coincider les intérêts des managers avec ceux du capital; c’est une alliance de classe.

        Un moment il y a eu une tentation pour les managers de faire alliance avec les salariés et les stocks options ont été mis en place dans le cadre du néo libéralisme pour cimenter l’alliance des grands salariés, les managers, avec le capital. C’est une évolution logique, quasi nécessaire pour le système.

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  2. Vous dites que la prochaine crise surgira de la baisse des valeurs boursières pour le moment boostées artificiellement par les opérations de buy back. Quel sera selon vous le déclencheur de cette baisse, une augmentation des taux d’intérêts ou autre chose?

    En 2008, la crise était due à une escroquerie: vente de prêts « low doc/no doc » ou avec des docs falsifiés servant de combustible à une titrisation surnotée par les agences de notation le tout associé à un véritable laxisme dans la légalisation de la baisse des fonds propres des grosses banques.

    J’avais lu dans le rapport de la FCIC http://fcic-static.law.stanford.edu/cdn_media/fcic-reports/fcic_final_report_full.pdf que les banques avaient cessé de produire des titres fondés sur les subprimes vers décembre 2005/janvier 2006 parce qu’elles savaient que la crise allait se produire inévitablement compte-tenu de l’inévitabilité d’une forte proportion d’impayés.
    Le citoyen lambda ne pouvait pas savoir à l’époque qu’une bombe à retardement à l’échelle planétaire avait commencé à fonctionner.

    Savez-vous si aujourd’hui, une telle bombe à retardement existe déjà en plus de l’effet dévastateur qu’aurait cette baisse annoncée par vous de la valeur des actions.

    Et dernière question: un pays en crise ayant besoin de la guerre pour se refaire (on a vu récemment disparaître 16 milliards de fonds libyens mis sous séquestre par l’ONU par exemple), pensez-vous qu’il y ait un rapport entre l’encerclement très agressif de la Russie par l’OTAN et cette crise qui se prépare et que les instances bancaires ne peuvent pas ignorer?
    Merci

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    1. Non je ne dis pas que la prochaine crise viendra de la chute des valeurs boursières,

      C’est l’une des possibilités mais d’autres causes ou facteurs déclenchants sont possibles: crise bancaire, crise monétaire, crise politique, crise militaire, crise pétrolière etc.

      Il y a la fragilité et ensuite le facteur déclenchant , la cause proche.

      Le système est fragile car il y a disproportion structurelle entre la masse des promesses financières émises dans le monde et la capacité à les honnorer. Cette disproportion fait que tout le triangle de la finance repose sur la pointe, C’est à dire sur la confiance et l’ignorance. et d’ici quelque temps sur la force, la violence.

      La cause proche de la prochaine crise peut être de toute origine , il suffit qu’elle produise la rupture d’un invariant, d’une certitude et que cela se propage.

      Les autorités ont étudié tous les cas de figure pensent-elles, elles ont tout envisagé.

      Selon leurs travaux multiples et vastes, tout est répertorié et je les crois. Donc la prochaine rupture ne peut se produire là ou on le croit , elle ne peut se produire que là ou on ne l’attend pas.

      Les autorités ont localisé les points faibles ou peut se déclarer l’incendie et elles ont mis en place des dispositifs qui sont prêts à déverser des tomberaux de liquidités pour noyer l’incendie immédiatement. La similitude avec les détecteurs d’incendie est parfaite: détecteurs et en cas d’alerte, arrosage automatique. Ensuite on nettoie.

      Il faut bien faire la différence entre deux choses: d’abord la fragilité et l’instatbilité qui ne font que croître et ensuite les evènements, les catalyseurs.

      Il y a certitude radicale que cela craquera mais incertitude sur la façon et le calendrier dont se passera le craquement. Comme le dit Zero Hedge, à long terme nous seront tous morts, c’est une certitude que l’on ne peut pas « hedger ».

      Les autorités que j’apppelle les apprentis sorciers sont idiotes car elle ne sont pas soumises à la concurrence, elles ont un monopole . Elle se trompent totalement sur le point essentiel: l’eau.

      Pour éteindre l’incendie quand il se produira, il ne suffit pas d’avoir des détecteurs, il faut de l’eau et pour les banques centrales le liquide c’est la possibilité de créer de la monnaie qui soit acceptée. Toutes les formes d’intervnetion et de sauvetage reposent sur la création de liquidités, de monnaie puis de crédit lequel est de la monnaie à maturité différée.

      Le système ne tourne que parce que les monnaies sont acceptées et demandées par les moutons-citoyens. Tout repose sur la demande de monnaie c’est à dire sur la confiance que le système ne s’écroulera pas. C’est grace à cette croyance que l’on a pu surmonter passagèrement la crise de 2008; en créant des trillions et des trillions de monnaie, plus de 20 trillions! . Mais cette création n’est possible que parce qu’il y a des imbéciles qui croient que cette monnaie est de la vraie monnaie et qu’elle a des contreparties. Or elle n’a pas de contrepartie, ses contreparties sont .. des dettes! Des dettes sur des créanciers insolvables. C’est une chaine du bonheur et tant qu’elle tourne les choses se passent bien . Mais une chaine n’est solide qu’autant que son maillon le plus faible tient! La solidité d’une chaine n’est pas moyenne comme le croient les autorités, elle est locale, au niveau du maillon le plus faible; les émergents, la Turquie, la Grèce, la Chine, l’talie, les pensions de retraites, les subprimes…

      Donc pour résumer vous avez une situation de fragilité croissante, une instabilité, une connexion entre tous les éléments du système et vous continuez à empiler les risques parce que vous croyez que vous êtes tout puissant. Voila la situation. Or tout repose sur la magie de la monnaie de papier ou digitale c’est à dire sur la croyance erronée qu’ont les citoyens qu’elle vaut quelque chose et qu’elle sera honorée.

      Tout repose sur le fait que les citoyens sont névrosés, aliénés. Ceci ne durera que tant qu’ils ne subiront pas le choc de réalité. Les pays en guerre nous donnent le spectacle précurseur de ce qui se passerra un jour: dislocation de toutes les certitudes, retour aux valeurs réelles, effondrement de tous les contrats, la force reprendra ses droits …

      Je soutiens que spatialement la crise de 2008 était une crise de la Périphérie du système et qu’à ce titre elle n’était pas grave car le Centre, les pompiers pouvaient toujours intervenir, mais je soutiens que par leurs actions les banques centrales ont fait en sorte que la crise se déplace au Centre, c’est à dire au coeur du couple Gouvernments/Banques Centrales. Or qui pourrait sauver ce couple, le coeur? Seule une réforme globale et la création d’une Banque Centrale mondiale et d ‘un gouvernement mondial pourraient sauver le système cette fois.

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      1. La création d’un gouvernement mondial de banquiers (car qui d’autres prendra les rênes de ce gouvernement?) n’est sans doute pas ce qu’il y aurait de mieux politiquement. Ce serait asseoir définitivement le pouvoir des manieurs d’or sur le monde. Il me semble que la possibilité jamais envisagée, c’est la ruine des spéculateurs, leur emprisonnement pur et simple avec des peines de 200 ans, et la reprise en main par les Etats (mais des Etats débarrassés des lobbyistes du privé que sont nos hauts fonctionnaires – voir le dernier livre de Vincent Jauvert: Les intouchables) du système bancaire. La dette a toujours été une rente du Grossium mais cette fois, elle est tellement rentrée de force dans les textes (voir la cas de la Grèce et de l’Espagne qui a modifié sa constitution en 2011 je crois) que la rente est devenue naturelle, le parasite a légalisé son installation dans les grands organismes que constituent les sociétés humaines.

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      2. Merci d’avoir pris le temps d’expliquer tout ceci. Lorsque vous parlez d’un déplacement de la crise vers le « coeur du système », je ne parviens pas à me figurer de quoi il s’agit concrètement. Pouvez-vous le m’indiquer en quelques mots?

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