Editorial: « on ne peut comprendre qu’en se retournant sur le passé, mais on ne peut vivre qu’en se projetant vers l’avenir ».

L’originalité de ce travail tient au fait qu’il ne se pose pas la question de savoir si les actions actuelles des autorités vont réussir à stopper la catastrophe ou non; non son originalité consiste à se projeter dans le futur, à poser  la question de l’après crise et d’y répondre.

Ce ne sera plus comme avant.

Une période historique cyclique longue  se termine, on a joué les prolongations de la période qui a commencé en 1945 et ces prolongations nous ont menées  à un gouffre; on ne pourra plus continuer dans la même voie. On est en train de détruire les institutions et les mécanismes qui ont permis de prolonger le cycle long du crédit jusque maintenant. 

Dans tous les cas, il y aura destruction terrible de toutes les promesses financières qui ont été acccumulées et reportées. Comme il y aura destruction du pseudo savoir, des croyances et des illusions qui ont accompmagné ce cycle long.  

La chose financière n’est pas un objet de science.

Le savoir financier n’en est pas un , c’est, au mieux, une croyance. J’ai coutume de dire que c’est une idéologie parce que je politise, mais ici je ne politise pas, je ne place au strict niveau du statut de la parole et du discours financier  et de leur  eficacité.

Je doute depuis fort longtemps de la validité du savoir financier, il suffit de le livrer à une double analyse critique et épistémologique pour s’apercevoir qu’il est mieux une  illusion et au pire une escroquerie. Et la répétition des crises , avec une gravité de plus en plus grande me fait penser que j’ai raison. La preuve par l’expérience. 

Si le savoir financier avait le moindre caractère scientifique, la moindre valeur objective, les crises ne se multiplieraient pas, elles ne seraient pas de plus en plus fréquentes , elles ne coûteraient pas de plus en plus cher mais en  plus, on en connaitrait les remèdes .

Le savoir financier est un savoir limité , insuffisant et surtout trompeur car il se donne pour sacré, non criticable. Il est unilatéral, monopolistique . Et c’est pour cela que je l’assimile à une croyance et j’utilise ce terme pour montrer son lien avec la religion laquelle est, elle aussi, fondée sur la croyance.

La religion financière a ses théories, ses écritures , ses grands prêtres qui sont les banquiers centraux , son clergé qui sont les prêtres institutionnels de la religion et ses fidèles ou croyants de base et son fétiche, l’argent.

Je ne pousserai pas l’analogie en étant désagréable et en disant que le clergé qui prétend détenir  le secret des mystères profite de la situation pour exploiter la foi des croyants et ainsi attirer à lui la part maudite de la société c’est dire la part du surproduit livrée  au gaspillage, car ce serait une analogie fausse; le jeu boursier n’est pas le bonneteau car les animateurs du jeu ici ne savent pas ou est la carte, ils sont dans l’ignorance de ce qui va se passer.

La religion financière est fondée sur un paradoxe qui ne gêne ni les grands prêtres ni les fidèles; elle est irrationnelle/émotionnelle  mais elle prétend avoir « raison » et reposer sur des théories complexes, mathématiques, comme celles des anticipations rationnelles et l’efficacité des marchés.

Il fut un temps ou la Bourse  fonctionnait positivement. Positivement, cela veut dire qu’elle avait un objet d’étude: l’économie, l’entreprise .

Il y avait l’univers  réel et un univers de signes financiers et qui était le reflet du premier. Le réel était objet positif, objectif, en soi et il était plus ou moins susceptible  de connaissance  et on en  anticipait/déduisait les mouvements de signes financiers.

La multiplication des signes monétaires déconnectés du réel par l’argent tombé du ciel de la printing press a provoqué une coupure, une disjonction. Si on dit que le monde réel est le corps alors on peut dire que le monde financier est son ombre et que maintenant l’ombre n’est plus prisonnière du corps, elle s’en est libérée; elle a encore un rapport avec lui mais ce n’est plus en tant qu’expression.

Maintenant d’un coté il y a le monde des signes pris en mains par les grands prêtres des banques centrales et de l’autre il y a le monde réel économique. Les deux mondes ne se reflètent plus.

Le monde financier ne reflète plus les richesses créées ou en voie de création , mais il représente les richesses que l’on voudrait bien voir créer et .. que l’on réussit pas à créer.

Le monde des signes financiers représente, présentifie la volonté , la tentative démiurgique des grands prêtres de produire du réel, de la croissance, avec des signes, des digits.

Le monde financier est à la fois, l’aboutissement de l’histoire économique post 1945, les limites du système touchées dans les annnées 60/70,  les tentatives pour forcer les limites avec la financiarisation et la crise nouvelle qui découle de l’excès des faux remèdes pour franchir les limites.

Etant entendu que les limites dont il est question sont diverses, multiples et multiformes, et en particilier les limites des théories qui ont été produites par le développement des forces productives et des rapports de production depuis 75 ans.

Telle est pour moi la meilleure description ou explication de la situation de la finance en ce moment. Elle est le point de rencontre d’une fin de cycle, de l’échec de ce que l’on a tenté depuis 2008 -une relance financière-  et de la catastrophe présente dite de l’épidémie du virus.

Non seulement la relance  financière de 2008 à échoué et a mis le monde  en état de fragilité extrême mais il subit un nouveau choc de  destrution encore plus violent et plus profond.

Il est important de comprendre que ce nouveau choc frappe un malade qui était très affaiblit structurellement, organiquement  mais en même temps un malade rendu dépendant de faux remèdes . Le bilan de santé était mauvais , doublement d’abord par l’usure du système vital et ensuite par l’abus de faux remèdes addictifs.

J’ajouterai pour filer la comparaison que le système imunitaire de ce système/patient est complétement détruit, il a perdu ses défenses parce qu’un étranger, un sorcier, un maitre étranger, les banques centrales lui ont retiré sa capacité à identifier les risques et à s’en protéger.

Le monde des signes n’est plus un reflet mais un outil. Il est un outil magique pour tenter de piloter le monde réél c’est à dire pour faire faire aux gens économiques ce qu’ils ne font pas spontanément.  .

La sphère financiere et en l’occurence la Bourse se sont adaptées et elles ont muté .

Tout se passe comme si d’un côté il y avait un univers soumis à ses lois, à sa gravitation, à son déterminisme et de l’autre  une martingale, un savoir magique qui, appliqué au résultats permettrait à certains plus astucieux ou plus puissants que d’autres de gagner de l’argent sur leur dos . Je soutiens que le faux savoir financier ne permet pas de prédire le réel et d’en tirer profit , mais qu’il donne la possibilité à une classe, à une catégorie de personnes de tondre, d’exercer une prédation sur d’autres.

L’argent étant gagné  non parce que l’on a maitrisé les mouvements/incertitudes  du réel, mais parce que l’on comprend un peu mieux que la moyenne ceux de la Bourse.  On connait le geste du croupier qui lance la boule. On connait un peu mieux que la masse, ses propres réactions. On ne connait pas le chiffre qui va sortir de la loterie mais on connait mieux que les autres  participants leurs actions et réactions.

La règle du jeu que l’on connait, ce n’est pas celle de la loterie, de sa dynamique,  mais celle qui gouverne les comportements des parieurs.  Et et pour cause puisque comme on est le plus fort, on impose par la force, par la répétition, par  la masse de capitaux, par les narratives émis,  et par le temps dont on dispose, on impose à la manière de Pavlov, la règle du jeu.

En clair toute personne  qui regarde les comportement des bourses  et  leurs oscillations  imbéciles se rend compte qu’elles n’ont aucun pouvoir prédictif, aucune efficacité,  elles se trompent sans cesse  et les valeurs qu’elles établissent  sont instables, frivoles, suspendues dans les airs et dans les caprices du temps.

« Les philosophes ont tout à fait raison de dire que l’on ne peut comprendre la vie qu’en se retournant sur le passé. Mais ils oublient souvent cette autre proposition qui n’est pas moins vraie à savoir que la vie ne peut etre vécue qu’en se projetant vers l’avenir »  Kierkegaard

Le crédit de la Réserve fédérale a encore bondi de 146 milliards de dollars la semaine dernière à 6,598 $ trillions , poussant la progression du bilan  sur huit semaines à 2,4453 $ Trillions .

La «masse monétaire» M2 a augmenté de 365 milliards de dollars, pour  une hausse sur huit semaines de 1,727 Trillions .

Les actifs des fonds monétaires institutionnels (non inclus dans M2) ont enflé  de 76 milliards de dollars supplémentaires, portant ainsi l’expansion sur huit semaines à 921 milliards de dollars.

La Fed a élargi cette semaine sa nouvelle facilité de prêt « Main street », augmentant les limites pour inclure les entreprises comptant jusqu’à 15 000 employés et 5 milliards de dollars de chiffres d’affaires.

La  banque centrale a également élargi les conditions de son véhicule de financement des gouvernements étatiques et locaux pour inclure des comtés  et des villes .

La Fed reconnaît désormais ouvertement que notre système monétaire repose sur une presse à imprimer illimitée.

Elle  se vante de sa volonté de faire fonctionner  l’imprimerie monétaire sans retenue, pour tout soutenir, des comptes bancaires aux obligations pourries. Elle le fait parce qu’il est nécessaire pour elle de bluffer, il faut faire croire que l’on a du jeu pour ne pas avoir à le montrer. L’exagération fait partie de la stratégie.

La comparution du président de la Fed de Minneapolis, Neel Kashkari, sur « 60 minutes » avec Scott Pelley, reflétait très clairement la mentalité que l’on peut qualifier de zimbabwéenne de la banque centrale:

Pelley: Pouvez-vous caractériser tout ce que la Fed a fait la semaine dernière, en disant qu’ essentiellement elle inonde le système d’argent?

Kashkari: Oui, exactement.

Pelley: Et il n’y a pas de limite  à votre capacité à le faire?

Kashkari: non, Il n’y a pas de limite  à notre capacité à le faire.

Pelley: La Fed va-t-elle simplement imprimer de l’argent?

Kashkari: C’est littéralement ce que le Congrès nous a dit de faire. C’est l’autorité qu’ils nous ont donnée.

Les responsables de la Fed ne se préoccupent plus de savoir si ils sont encore dans le cadre d’un double mandat limité «indépendant» de la politique. Non, la Fed est sortie du cadre et le fait nouveau est qu’elle ne cherche plus à le dissimuler.

Ce qui est conforme à nos analyses récurrentes selon lesquelles, nous avons dépassé les points de non retour. La Fed ne reviendra  pas en arrière, on est allé trop loin et donc peu importe le cadre institionnel ou réglementaire. C’est une page qui se tourne.

Si le Congrès demande à la Réserve fédérale d’acheter des obligations, des actions, des hypothèques ou des pièces de monnaie d’un billion ou d’un trillion  de dollars comme le demandent certains afin de verser un revenu universel, la Fed le fera.

Qu’est ce que cela veut dire? Cela veut dire que seul le présent importe; que les démiurges oublient, se fichent de l’avenir; ils ne gèrent pas dans le cadre d’une vision, ou d’une stratégie de long terme, ils improvisent en fonction des évidences qui se présentent au jour le jour.

« Les philosophes ont tout à fait raison de dire que l’on ne peut comprendre la vie qu’en se retournant sur le passé. Mais ils oublient souvent cette autre proposition qui n’est pas moins vraie à savoir que la vie ne peut etre vécue qu’en se projetant vers l’avenir »

Du Wall Street Journal  : «La Réserve fédérale redéfinit la banque centrale. En prêtant largement aux entreprises, aux États et aux villes dans ses efforts pour protéger  l’économie américaine de la pandémie de coronavirus, elle brise les tabous centenaires  qui définissaient qui pouvait obtenir  de l’argent de la banque centrale en cas de crise, à quelles conditions et quelles garanties  prendre pour récupérer cet argent. »

L’article cite le président Powell: «Aucun de nous n’a le luxe de choisir ses défis; le destin et l’histoire nous les fournissent. Notre travail consiste à répondre aux défis  qui nous sont présentés. »

Vous noterez le changement de ton par rapport à toute l’histoire de la Fed, elle ne se vante plus de conduire, de piloter quoi que ce soit , elle n’est plus volontariste, elle pare au plus pressé, elle est en mode panique, pleine d’humilité face au destin.

Ce que dit Powell n’est rien d ‘autre que ce que j’affirmais  encore il y a peu de temps: Le roi est nu.

Il n’y a plus plus de «maîtres des affaires monétaires» (seigneurs des cycles des échanges en circulation), ni d’«autorités monétaires» (maîtres de ce qui va se passer), explique avec sa propre formulation Andrey Devyatov.

Il y a traditionnellement eu un accord non écrit – valable dans le monde entier – , un accord qui dit que les banques centrales n’avouent  jamais qu’elles recourent à l’inflation  monétaire même si elle est flagrante. Le risque si les gens comprenaient serait  beaucoup trop grand. C’est l’information dissymétrique, les prêtres et les grands prêtres savent, les autres ignorent.

Tout ce qui a été fait depuis 2008, c’est de l’inflation monétaire, et j’épingle depuis longtemps, très longtemps la politique des banques centrales sous le nom de doctrine de l’inflationnisme. Ce qui signifie qu’elles ont l’illusion que tous les problèmes de nos sociétés peuvente être  « résolus » par l’impression monétaire et le crédit.

Les achats d’actifs effectués depuis  2009 sont de la monétisation puisqu’ils ne sont pas revendus . Les QE devaient être des outils de gestion de crise temporaires, utilisés pour répondre à la «pire crise financière depuis la Grande Dépression». Le trillion initial de fin 2008 devait être inversé, nous sommes à près de 7 trillions et en route  pour les 10 trillions.

L’expérience qui été menée est un véritable fiasco, non seulement il a été impossible de revenir en arrière mais cela nous a conduit à ce que l’on peut appeler  l’option nucléaire de 2020.

La Fed a abaissé ses taux à zéro en décembre 2008. Elle  a ensuite attendu sept ans pour tenter une seule petite augmentation de 25 points de base.

Neuf ans après la mise  à zéro, les taux n’étaient encore que de 1,25% , avant de culminer à  2,25% avec la dernière augmentation de 25 pb de Powell en décembre 2018.

Je rappelle ces chiffres pour vous prouver à quel point l’experience  menée a été couteuse pour un résultat  catastrophqiue. Le bilan  de la Fed a monté de plus de 5 trillions, les taux  ont été mis à zéro ils n’ont jamais pu remonter  et déja  nous sommes revenus à la limite fatidique du zéro.  Les actifs financiers ont atteint des niveaux de valorisations hors de tout épure historique. Les actions  sont valorisées 2,5 fois ce qu’elles devraient valoir pour être aux normes moyennes .

C’est une berézina. Pas seulement une berézina quantitative mais également qualitative; le cadre dans lequel la Fed opérait a sauté. L’institution a cessé de fonctionner dans le cadre prévu, elle viole tous les articles de sa Charte et surtout elle ne se donne même plus la peine de le  dissimuler.

Pourquoi ? Parce que  c’est fini. La Fed va sauver les meubles coute que coute mais en sauvant les meubles, elle ne sauvera pas l’édifice.

Le cycle du crédit que l’on a enclenché au lendemain de la seconde guerre mondiale est fini.  Il est fini car il est mort de sa belle mort et la banque centrale n’a plus les moyens de le ressusciter.

L’incapacité de la Fed à stopper les  mesures de relance monétaires agressives de 2009  a été une erreur politique, mais aussi et surtout une erreur théorique: elle aurait du tirer dès 2013 les conclusions qui s’imposaient: cela ne marche pas.

Les incantations monétaires fonctionnent sur les marchés d’actifs parce que les marchés sont libérés du poids du réel et qu’ils sont des lieux ou on transacte de l’imaginaire, mais ils ne peuvent ensuite entrainer ce qui est lourd, concret, pesant: l’économie productive.

La croissance de l’économie réelle productive produit  des richesses  monétaires mais l’inverse n’est pas vrai, les richesses monétaires tombées du ciel ne produisent pas une économie productive croissante.

La Fed n’a jamais admis que ce qu’elle faisait ce n’était pas de la stimulation, mais que cela n’était que de la redistribution au profit des plus riches et au détriment des moins aisés. Ce que Jeffrey Snider, l’un des rares à comprendre la chose monétaire moderne , exprime quand il dit:  dans la politique monétaire de la Fed il n’y a pas de vraie monnaie.

Powell, lui, n’a rien compris; il ne comprendra jamais parce qu’il est structuré ainsi pour ne jamais comprendre. Il ne s’efforce pas de déchiffrer la réalité comme le ferait un honnête savant, il ne comprend même  pas que lui aussi, il fait partie de la réalité et qu’il agit sur elle. Il n’a pas la moindre idée que peut être il  est lui même le problème, non!   Bref il ne sait pas que ses convictions font  partie intégrante de la crise en construction.

Ecoutons notre Powell qui répond à une question de Bloomberg, pour lui tout allait bien avant le virus:  «…  Toutes les données le confirmaient également. Et c’est franchement navrant, de voir que tout est menacé maintenant. … Il s’agit d’un événement exogène qui nous est arrivé, vous le savez. Ce n’était pas parce qu’il y avait un problème avec l’économie. Et je pense qu’il est important que nous fassions tout ce que nous pouvons pour éviter ces dommages à plus long terme et que nous essayions de revenir là où nous étions ». Revenir là ou nous étions!

En Prime:

Kissinger le 04/03/20 The Wall Street Journal (WSJ):

«Lorsque la pandémie Covid-19 prendra fin, les institutions de nombreux pays seront perçues comme défaillantes. Peu importe que ce jugement soit ou non objectivement équitable. La réalité est que le monde ne sera plus jamais le même après le coronavirus. Débattre maintenant sur le passé ne fait que rendre difficile ce qui doit être fait. »

 

A relire pour bien assimiler:

 

 

2 réflexions sur “Editorial: « on ne peut comprendre qu’en se retournant sur le passé, mais on ne peut vivre qu’en se projetant vers l’avenir ».

  1. Je vous remercie également de cette prise de position limpide.

    Il y a 2500, il a fallu écraser dans le sang les pythagoriciens dans le golfe de Tarente…

    Les mathématiques ne sont pas le réel: il faut résister à la tentation de le croire, même si elle est extrêmement tentante…

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  2. À défaut de ne pas commenter ce que je ne connais pas, je réagirai toujours à ce que j’ai appris. Merci Mr BERTEZ.
     » La vie, c’est comme une gigantesque tarte à la mer… , chaque jour, j’en mange une part ».

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