Rédigé par
10 février 2023
La Fed aurait-elle résolu le problème fondamental de sa politique, et réussi à ne pas déclencher la crise qui aurait dû suivre la hausse des taux ?
Ce que les marchés financiers saluent, ce n’est ni la victoire sur l’inflation ni celle sur la récession.
Ils jouent synthétiquement le succès supposé de la manœuvre d’atterrissage réussie par les pilotes. Ils jouent le triple saut périlleux impeccable, la confirmation que les hommes, les autorités, les gestionnaires peuvent être plus forts que les lois de la pesanteur. Ils jouent la confirmation que le pari faustien peut être gagné.
On peut dissocier le monde réel et le monde des perceptions et, en agissant sur les perceptions, on peut échapper aux lois du monde. On peut bénéficier des effets positifs de la baisse des taux et échapper aux effets négatifs quand on les monte.
Les sceptiques disaient : « Attendez, ils vont se casser la figure quand il va falloir monter les taux ; ils vont effondrer les marchés et précipiter la récession. » Eh bien, ces sceptiques ont eu tort.
En 2022 et 2023, les apprentis sorciers montrent qu’ils ont les pleins pouvoirs, qu’ils peuvent par des mesures prudentielles et beaucoup d’habileté éliminer les conséquences négatives de leurs actions.
Je n’insisterai jamais assez ; c’est philosophique, c’est copernicien. C’est dans la ligne de la post-modernité : on peut repousser les limites de la mort, on a le viagra économique, et il est financier.
La manœuvre est pour ainsi dire finie. On a reconstitué les trousses à outils, l’arsenal de lutte contre la récession. Les marchés ne se sont pas effondrés, les économies ne sont pas en si mauvaise forme que cela, et on remonte les prévisions de croissance pour 2023.
Le système serait devenu réversible
En fait, la hausse des Bourses est une hausse de soulagement : voilà ce qu’il faut comprendre, il n’y a plus de limite. L’avenir vient de se dégager.
Il n’y a plus de limite, car de la même façon que l’on a vaincu les limites de la borne du zéro des taux, on a vaincu le sens unique; on peut donc faire des retours en arrière !
Le système est réversible : de la même façon que l’on a réussi à réduire le fractal et à le rendre continu et dérivable, on vient de prouver qu’il est réversible.
On peut monter le niveau de la mer pour cacher ceux qui sont nus, mais on peut baisser le niveau de la mer sans révéler ceux qui se baignent nu !
On peut inonder le monde de liquidités, et les retirer sans effet de manque.
On a vaincu l’« entropisation » ! On a vaincu les effets de stocks. On a vaincu les lois de la thermodynamique appliquées à la finance et aux systèmes critiques.
C’est à mon sens une sorte de soulagement fondamental et structurel. Oui, les hommes ont bien tous les pouvoirs, et ils peuvent vaincre les limites, les lois de la rareté, les lois qui régissent les causes et les effets. On peut stimuler les Bourses par les baisses de taux et ne pas les faire chuter quand on monte les taux. On a vaincu la symétrie. On est « jenseits », « par-delà » ! C’est le règne prouvé du « en même temps ».
Je n’insiste pas plus, car j’espère être assez clair pour que vous ayez compris. C’est une victoire systémique sur le monde réel.
Surmonter la contradiction
Nous attendions, pour les plus lucides, cette épreuve de réalité depuis longtemps ; certains l’attendaient depuis 10 ans. Depuis le jour du « no exit » en 2011, jour où malgré les espoirs de la Fed de New York, on avait dû constater que l’on ne pouvait sortir.
Depuis 2009, 2011, 2013, 2018, les observateurs les plus lucides attendent la Fed au tournant.
Comme moi, les observateurs plutôt fondamentalistes considèrent que, en 2009, la Fed a brûlé ses vaisseaux, qu’elle a choisi une voie dont on ne revient pas, qu’elle a fait son check-in à l’hôtel California et qu’elle ne peut en repartir. Elle ne peut check-out.
Ici, en 2022 et 2023 elle croit pouvoir administrer la preuve que les gens comme nous avions tort.
C’est très, très important : si cela était vrai, alors la voie serait libre quasi pour l’éternité. Les contradictions du système, sa finitude pourraient être surmontées, la loi de la rareté serait caduque, la vieille loi des matérialistes comme Marx, la loi de la Valeur, serait à jeter aux oubliettes.
Ce succès serait aussi important que celui des découvertes keynésiennes, qui elles aussi ont trouvé le moyen de dépasser les antagonismes capital/travail par les déficits, les dettes, l’inflationnisme.
Ici, on dépasserait les contradictions entre la sphère monétaire, la sphère des promesses et la sphère réelle; la sphère de la production des richesses réelles socialement utiles.
On aurait dépassé les problèmes de la suraccumulation du capital et de la tendance qui en découle à l’érosion du taux de profit dans le système.
Je ne serai pas contre pareille découverte. Au contraire. J’en serai enchanté. Elle ouvrirait de fantastiques perspectives. On pourrait dire maintenant : « The Sky is the Limit. » La limite à nos politiques c’est… le ciel.
Un petit oubli
Mais hélas, il faut revenir sur terre et s’attarder sur une observation simple : quand nous avions trouvé les remèdes miracles du keynésianisme dans les années 30, années de crise, nous avions admis qu’il était fondé sur un triste postulat : le long terme ne compte pas, à long terme nous serons tous morts. Nous avons admis que c’était une tricherie sur le facteur temps. C’est Keynes lui-même qui l’a dit.
La limite du keynésianisme existe : c’est l’empilement des dettes, leur empilement comme l’empilement du tas de sable de Per Bak ; c’est la non-manœuvrabilité progressive du système, son instabilité ; c’est l’impasse de la social-démocratie, à savoir qu’à un moment donné on ne peut plus faire jouer les amortisseurs… ils sont usés, et la spéculation de type Minsky submerge alors le système.
Le keynésianisme était et est encore une tricherie qui rejette dans le futur l’heure des comptes.
Ici, la tricherie est grossière. Elle n’est pas rejetée dans le futur, elle est en temps réel : il n’y a pas eu de resserrement monétaire, les taux n’ont jamais été montés réellement mais facialement, les taux réels au contraire sont devenus de plus en plus négatifs.
Et puis, les liquidités n’ont jamais été retirées : il suffit de regarder les réserves oisives des banques ! Il y avait un tel matelas de liquidités excédentaires et superflues, depuis mars 2020 que ce matelas n’est même pas encore entamé. Il y avait tellement de gras que la couche reste colossale et que c’est elle qui alimente l’euphorie boursière en cours.
Les banquiers centraux sont des illusionnistes. Ils n’ont jamais baissé le niveau de la mer, ils vous ont fait regarder ailleurs.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
EN PRIME
8 février – Financial Times :
« Seth Klarman a déclaré aux investisseurs de son fonds spéculatif que la réponse de la Réserve fédérale à la crise financière de 2008 et la décennie de taux d’intérêt bas qui a suivi avaient contribué à « ériger un pays d’imaginaire financier ». ‘. « Une ère sans conséquence de capitaux à faible coût pratiquement illimités était terminée », a déclaré Klarman, le chef du groupe Baupost et une figure éminente de l’investissement, dans une lettre de fin d’année aux clients… « Un boom basé sur les politiques d’argent facile contiendra inévitablement les germes de sa propre destruction. Klarman a comparé la forte hausse des taux d’intérêt l’année dernière à la kryptonite, affirmant qu’elle avait finalement contribué à dégonfler la « bulle de tout », y compris le démantèlement des investissements dans des sociétés dites de croissance non rentables qui avaient grimpé en flèche pendant le boom de la pandémie mais avaient peu de valeur intrinsèque.
8 février – Financial Times :
« Lever des fonds à Wall Street est devenu moins cher et plus facile malgré la hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale au plus haut niveau en 15 ans, suggérant une déconnexion continue et profonde entre les investisseurs et la banque centrale .
Les mesures des conditions financières – la facilité avec laquelle les entreprises peuvent accéder au financement – ont chuté ces derniers mois, un indice étroitement surveillé revenant au niveau auquel il se trouvait peu de temps après que la Fed a commencé à relever les taux en mars dernier.
La divergence a conduit certains investisseurs à avertir que la Fed est confrontée à un sérieux défi de communication qui pourrait menacer ses efforts pour maintenir l’inflation sous contrôle. « La Fed ne s’en soucie plus », a déclaré Greg Whiteley, gestionnaire de portefeuille chez DoubleLine Capital. « [Ils croient] qu’ils ont les outils pour ramener l’inflation à 2 % sans avoir besoin de la coopération du marché. » L’indice Goldman Sachs des conditions financières américaines a touché son plus bas niveau depuis août après que la Fed a relevé ses taux la semaine dernière, tandis qu’une mesure hebdomadaire compilée par la succursale de Chicago de la Fed a atteint son plus bas niveau depuis avril.
6 février – Reuters :
«Les fonds spéculatifs -shorts- – pariant contre des actions dans le monde ont abandonné ces transactions la semaine dernière au rythme le plus rapide depuis 2015, dépassant la vitesse de leur exode de la frénésie des actions meme il y a deux ans, selon Goldman Sachs.
8 février – Bloomberg:
«Les gestionnaires de fonds ont réduit de 300 milliards de dollars les paris baissiers et se positionnent désormais davantage conformément aux normes historiques – privant le marché de la demande refoulée au moment même où la Réserve fédérale avertit que sa bataille contre l’inflation est loin d’être terminée. Le changement de positionnement a fait passer un large éventail d’investisseurs d’une sous-pondération à une détention d’actions plus proche de la moyenne de la dernière décennie.
6 février – Reuters :
« Les banques centrales font face à des pertes croissantes sur les billions de dollars d’obligations qu’elles ont achetés au cours des 15 dernières années de crises continues, a déclaré un document de la Banque des règlements internationaux (BRI), avertissant que les déficits pourrait les exposer à des attaques politiques. Après avoir rapidement augmenté les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, la Réserve fédérale et ses homologues européens paient désormais d’énormes intérêts aux banques commerciales sur les dépôts qu’ils ont eux-mêmes créés… Le Trésor américain n’aura pas à se soucier de renflouer la Fed, qui peut simplement différer tout perte. Mais le Trésor manquera toujours les 50 à 100 milliards de dollars que les bénéfices obligataires de la Fed fournissaient chaque année. »
8 février – Bloomberg :
« Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a concédé que les hausses de taux ont durement touché les propriétaires du pays, affirmant que l’impact des coûts d’emprunt plus élevés sur les consommateurs est l’une des principales raisons pour lesquelles il a choisi de faire une pause devant le gouvernement fédéral américain. Réserve… Macklem a déclaré que la banque centrale a besoin de temps pour évaluer comment les ménages et les entreprises s’adaptent à des taux plus élevés avant de prendre de nouvelles mesures. Les Canadiens « sont plus endettés aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été », a déclaré Macklem… »
9 février – Bloomberg :
« Les prix mondiaux de l’immobilier commercial ont chuté à la fin de l’année dernière, la première baisse trimestrielle depuis 2009. Un indice des propriétés de bureaux, industrielles et commerciales a chuté de 0,5 % au quatrième trimestre par rapport aux trois mois précédents, cassant une séquence de 13 ans de gains, a déclaré MSCI Real Assets dans un rapport… qui a analysé 18 régions métropolitaines en Amérique du Nord, en Asie, en Australie et en Europe. La dernière période de variation trimestrielle négative remonte à la fin de 2009… Pour l’ensemble de 2022, les plus grands perdants ont été San Jose, en Californie, où les prix ont chuté de 7,5 %, et Manhattan, avec une baisse de 7,2 %.
Taux réels négatifs pour tôt faux positif mais réalité inéluctable fut-elle tardive.
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