Une récente conférence privée des meilleurs experts américains en politique étrangère a considéré que l’Ukraine pouvait risquer de perdre une guerre d’usure malgré les meilleurs efforts de l’Occident

Par SPENGLER

20 MARS 2023

Une évaluation sombre des perspectives de victoire de l’Ukraine contre la Russie a émergé d’un récent rassemblement privé d’anciens hauts soldats américains, de responsables du renseignement et d’universitaires dont les CV vont des administrations Reagan aux administrations Trump.

À court de personnel qualifié et de munitions, a déclaré un orateur, le président ukrainien Volodymyr Zelensky pourrait envisager le plan de paix chinois, en particulier après la médiation réussie de Pékin dans le différend irano-saoudien.

Les quelques dizaines de participants, dont beaucoup avaient occupé des postes au sein du cabinet ou du sous-cabinet, se sont réunis selon les règles de Chatham House, qui interdisent l’identification des participants individuels mais autorisent la présentation du contenu lui-même.

Dans leur très grande majorité, le sentiment des participants penchait vers une escalade sous la forme de fourniture d’armes supplémentaires à l’Ukraine. Un éminent analyste a proposé la formation d’une « légion étrangère » de combattants d’autres pays pour compléter leréservoir de main-d’œuvre entraînée de l’Ukraine.

La grande majorité des participants était favorable à tout risquer pour une victoire absolue sur la Russie. Aucun des participants n’a mentionné les scrupules exprimés le 17 mai par l’ancien président Donald Trump face au risque d’escalade nucléaire en Ukraine.

La question de savoir comment la guerre russo-ukrainienne pourrait dégénérer en un conflit plus large n’a pas retenu l’attention. Leur frustration était plutôt que l’Ukraine semble moins susceptible de vaincre la Russie, même si l’Occident fait le maximum d’efforts et prend le risque d’une escalade.

Nous ne devrions pas être surpris, a déclaré l’un des principaux intervenants à la fin du conclave, si le président ukrainien Zelensky reprend le plan de paix de la Chine. Personne en Occident n’avait prévu que la Chine servirait de médiateur entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Bien que Washington ait rejeté le plan de paix chinois pour l’Ukraine, Zelensky ne l’a pas fait. La Russie conserverait la mer d’Azov et la majeure partie du Donbass. 

La vision américaine de la Chine est « primitive », a ajouté l’expert, et tend à sous-estimer la sophistication chinoise.

Un porte-parole du Conseil de sécurité nationale a rejeté l’initiative chinoise, qui appelle à un cessez-le-feu immédiat, notant qu’un cessez-le-feu permettrait à la Russie de rester en place sur le territoire qu’elle a saisi à l’Ukraine.

L’Ukraine a subi les deux tiers du nombre de victimes que la Russie, mais avec un tiers à un quart de la population russe, elle est beaucoup moins en mesure de les supporter, selon un expert qui a passé plusieurs mois sur le terrain en Ukraine.

Toute l’armée que l’OTAN a entraînée entre 2014 et 2022 en vue d’une attaque russe est morte, et les recrues sont jetées sur les lignes de bataille avec trois semaines d’entraînement.

Ce n’est pas que l’Ukraine va littéralement manquer de corps vivants, mais que la qualité de ses forces armées, hommes de troupe comme officiers, s’est détériorée. Des parties critiques de l’économie civile s’effondreront à mesure que la main-d’œuvre sera transférée vers l’armée.

Cet expert évalue les pertes « irrécupérables » de l’Ukraine (tués ou grièvement blessés) aux deux tiers de celles de la Russie : 120 000 Ukrainiens morts ou grièvement blessés contre 150 000 à 200 000 Russes.

D’autres estimations d’analystes experts américains sont légèrement plus élevées pour l’Ukraine, mais la conclusion stratégique est la même : avec une armée beaucoup plus importante, la Russie gagnera une guerre d’usure. Un bataillon ukrainien a perdu 600 hommes en janvier, a reçu 700 remplaçants, puis a perdu 800 hommes en février, soit un taux de pertes de 60 % sur deux mois.

Les perspectives d’une percée pour mettre fin à l’impasse le long de la ligne de contact sont faibles, a poursuivi le rapporteur. L’offensive ukrainienne attendue du printemps est l’une des manœuvres les plus attendues de l’histoire militaire, et la Russie a eu tout le temps de préparer des positions défensives. L’Ukraine aurait besoin de 650 chars de combat principaux modernes et de 1 000 véhicules de transport de troupes armés pour faire la différence, selon un expert.

Un autre ancien haut commandant américain a fait valoir que les États-Unis devraient envoyer 1 000 chars Abrams M1 en Ukraine, bien qu’il n’ait pas expliqué d’où ils pourraient être obtenus. L’Ukraine devrait recevoir des armes capables de détruire des cibles au plus profond de la Russie, a-t-il ajouté, et les États-Unis « devraient se débarrasser de la frontière artificielle qui interdit à l’Ukraine de frapper la Russie. La Russie fait partie du champ de bataille.

L’Amérique a des contraintes politiques sur l’aide à l’Ukraine, a objecté un ancien haut responsable du Pentagone : Si nous ne pouvons pas fournir de grandes quantités d’aide dans deux ans, nous ferions mieux de réduire nos pertes maintenant.

Un analyste de la politique étrangère qui a conseillé le département américain de la Défense a noté que Poutine pouvait appeler 1,7 million de réserves s’il le fallait. « Cela peut être amusant de couler des navires russes dans la mer Noire ou de détruire des cibles à l’intérieur de la Russie », a-t-il dit, « mais cela ne relâche pas la pression sur l’Ukraine. C’est comme la guerre civile américaine. Le Sud a combattu plus efficacement, mais le Nord avait un avantage écrasant en main-d’œuvre et en munitions. En 1865, le Sud n’avait pas assez de soldats pour défendre Richmond. Il a proposé une armée internationale de volontaires pour combattre pour l’Ukraine.

Un ancien haut responsable de la politique étrangère a proposé que les États-Unis menacent la Chine de sanctions pour limiter son soutien à la Russie. Bien que les sanctions contre la Russie n’aient pas fonctionné, la Chine est un cas différent, a-t-il soutenu, car elle est plus intégrée que la Russie dans le système économique mondial.

Il y a beaucoup de sentiments anti-russes en Chine, a-t-il ajouté, et le peuple chinois n’aimera pas l’idée d’accepter les difficultés pour aider la Russie. L’Ukraine et la Chine, a-t-il ajouté, « ont un partenariat solide qui remonte à des décennies ».

Je suis libre de rapporter ce que j’ai déclaré moi même au groupe. 

La guerre en Ukraine a déclenché un réalignement mondial, y compris l’accord sino-irano-saoudien. En regardant les bévues de l’Amérique en Ukraine, les Saoudiens ont conclu que l’Amérique ne mettrait pas les pieds sur terre au Moyen-Orient et cherchent d’autres amis.

La Turquie a prospéré en tant qu’intermédiaire commercial entre la Chine et la Russie et a rafistolé ses relations avec les États du Golfe ainsi qu’avec Israël. L’Inde, censée être un allié contre la Chine, est devenue le premier client de la Russie pour le pétrole et a considérablement élargi son commerce avec la Chine, qui fournit désormais 30 % de ses importations non pétrolières.

Les États-Unis perdent de manière catastrophique leur influence en sous-estimant la Russie. Elle n’a pas la capacité industrielle de fournir des munitions d’artillerie à l’Ukraine. La meilleure politique est un cessez-le-feu immédiat, ai je dit..

Ce serait une humiliation pour les États-Unis, mais salutaire. Dans les années 1970, le Vietnam a rendu service aux États-Unis en les humiliant avant la Russie. La débâcle du Vietnam a rendu possible une refonte complète de la stratégie de défense américaine et la victoire ultime de l’Amérique dans la guerre froide. 

Poutine peut donc rendre service aux États-Unis en les humiliant maintenant.