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2 juin 2023
La Suisse doit son succès à quelques politiques efficaces, mais ce succès n’offre pas que des avantages…
PIB par habitant, compétitivité, libertés civiles et des libertés économiques, indice de développement humain, indices relatifs à la paix, au bonheur, nombre de Prix Nobel et que sais-je encore : prenez n’importe quel classement de performance, vous y trouverez certainement nos voisins Helvètes en haut de tableau !
Comment expliquer le « miracle suisse » ?
Comme nous avons commencé à le voir dans un précédent billet, le succès suisse n’a rien d’une énigme :
Contrairement à l’image d’Epinal, la Suisse n’est pas un immense centre financier surfant sur le secret bancaire. L’économie suisse est même plus industrialisée que la nôtre.
L’Etat helvète reste à sa place.
Le niveau des dépenses budgétaires n’a jamais substantiellement dépassé les 30% du PIB en Suisse, alors qu’il est passé en France de 35% du PIB en 1975 à 61,5% en 2020.
La Confédération suisse est l’un des pays les plus démocratiques au monde. Les Helvètes mettent brillamment en œuvre le principe de subsidiarité et la démocratie directe.
Pour être complet, il faut ajouter un quatrième point que j’ai développé dans d’autres colonnes : la Suisse défend bec et ongles sa souveraineté et son intérêt national. Ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception suisse » repose sur deux volets : la tradition suisse de neutralité militaire perpétuelle dans les conflits internationaux ; la résistance face aux pressions juridiques exercées par l’étranger.
Mais ce n’est pas tout.
En Suisse, les entreprises peuvent respirer
Historiquement, la Suisse a toujours favorablement accueilli l’innovation technologique. Dans l’édition 2019 de son Global Competitiveness Report, le Forum économique mondial souligne que la Suisse jouit du « plus haut taux de demandes de brevet international par habitant au monde. » A l’ère de l’avènement des services liés aux crypto-actifs, il n’est par ailleurs pas surprenant que le canton de Zoug soit surnommé la « crypto-vallée » suisse (quand la France réfléchit régulièrement à de nouvelles mesures pour enterrer l’industrie crypto hexagonale).
Par ailleurs, la Suisse fabrique des produits à valeur ajoutée extrêmement forte, et ce de manière très compétitive.
Il s’ensuit que les sociétés suisses sont beaucoup plus rentables (au sens de la marge brute) que ne le sont leurs homologues françaises.

« Salopards d’entrepreneurs suisses ! », s’exclame Charles Gave. « Non seulement ils gagnent plus, mais de plus en plus, alors que nos entrepreneurs [français] non seulement gagnent moins, mais aussi de moins en moins ! » La différence se monte à environ 50% pour un chiffre d’affaires équivalent.
Ajoutez à cela un Etat qui ne vient pas trop empiéter sur l’action du secteur privé (la loi suisse sur le travail est cent fois plus digeste que notre code du travail français, à l’instar des cotisations sociales, ainsi que de la fiscalité et de la réglementation des entreprises), et vous aboutissez à un climat des affaires tout ce qu’il y a de plus respirable.
Voilà ce qui permet à la Suisse de ne guère avoir à soucier de la concurrence asiatique bas de gamme, ou de la concurrence américaine subventionnée.
Autrement dit, comme l’explique Charles Gave, les Suisses savent que :
« La croissance vient des entrepreneurs, s’ils gagnent suffisamment d’argent compte tenu du risque pris, et non pas de l’état s’il en dépense plus. Le keynésianisme est une foutaise. […] D’où l’on peut conclure que la principale cause de la hausse du chômage, des dettes abyssales et de la désindustrialisation en France a été l’embauche de fonctionnaires, manifestation la plus pérenne d’une hausse du poids de l’Etat dans l’économie. »
Il s’ensuit que « la France a donc un problème qui n’a rien à voir avec l’extérieur mais tout à voir avec la France », précise le président de l’Institut des Libertés.
Voilà en quelques mots la recette du succès, en tout cas à regarder du côté du lac Léman.
Venons-en à présent à la fameuse Banque nationale suisse (BNS) et à sa politique monétaire.
Condamnée à manipuler le taux de change de sa monnaie
En principe, avoir une monnaie forte, comme c’est le cas de la Suisse, est souhaitable. Cela permet en particulier des importations à bon marché, ce qui est très appréciable notamment en cas de crise énergétique. Mais vous allez voir que « dans le monde d’aujourd’hui, [c’est-à-dire] en dehors de l’étalon or, le fait d’avoir une monnaie trop forte peut en réalité être une malédiction », pour reprendre la formule de Bruno Bertez.
La Suisse est très intégrée commercialement avec la zone euro, et cela n’est pas sans conséquence sur sa politique monétaire.
Répartition des exportations suisses en 2019

Lors de l’introduction de l’euro, le taux de change entre le franc suisse et la monnaie unique était de 1,50 CHF/EUR. Depuis mai 2022, les deux devises évoluent autour de la parité.
L’irrésistible effondrement du taux de change de l’euro face au franc suisse

Compte tenu de l’effondrement de ce taux de change, la Banque nationale suisse (BNS) a adapté sa politique monétaire afin de protéger son industrie touristique et ses exportations industrielles à destination de la zone euro.
A partir de 2009, la BNS a mené une politique constante visant à déprécier son taux de change : taux d’intérêt négatifs entre décembre 2014 et septembre 2022 ; accumulation massive de réserves de change.
Taux directeurs de la BNS

Le 6 septembre 2011, la BNS a mis en place un taux plancher de 1,20 CHF/EUR afin de prémunir l’économie suisse des effets du franc fort, la valeur de la monnaie unique ayant fortement baissé suite à la crise de la dette dans la zone euro. Le 15 janvier 2015, sans annonce préalable, la BNS a arrêté de défendre ce taux de change, ruinant au passage les non-résidents qui s’étaient endettés en francs suisses pour profiter des taux helvètes très bas. Le franc suisse flotte désormais librement.
Dans un prochain billet, je vous en dirai plus au sujet du « plus gros hedge fund » du monde.
La Suisse c’est le borgne au royaume des aveugles. Sa réussite est aussi indéniable que sa présence dans la seringue.
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Merci pour ce billet.
Aux confédérés qui parcourent ces commentaires, je ne peux que conseiller de prendre connaissance de cette initiative en cours de récolte de signatures pour ancrer plus fermement le principe de neutralité dans la constitution. Il est, «étrangement», très difficile de la retrouver avec une recherche Google, pour ne pas dire impossible.
Cliquer pour accéder à fr_initiative_neutralite_web_interaktiv.pdf
J’espère que vous ne trouverez pas déplacé de la mentionner ici.
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Bonsoir M. Bertez
La Suisse, pays sans mers, a gagné deux fois l’ America Cup ( avec Ernesto Bertarelli) ; les Français ont pris part aux défis depuis 1970, ont toujours connu des problèmes de budget limités et bouclés trop tard et conséquemment de fiabilité. De ce fait ils n’ont jamais dépassé les demi -finales, malgré l’excellence de quelques uns de nos marins.
Il y a là un problème de culture qui remonte aux fondements de notre société.
Cordialement
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« la tradition suisse de neutralité militaire perpétuelle dans les conflits internationaux ; la résistance face aux pressions juridiques exercées par l’étranger. »
depuis la guerre en Ukraine et les pressions américaines sur le secret bancaire, c’est fini…
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Non pas tout a fait.
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La souveraineté n’est pas à x% mais c’est 0 ou 100. La Suisse a montré qu’elle ne pouvait plus résister à la pression de certains et qu’elle cédait pour faire des choses qu’elle ne désirait pas (et dans ces cas la démocratie directe a aussi été mise au placard). Donc le « pas tout à fait » factuellement correct n’est qu’un masque
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Perdez cette habitude d’être péremptoire, c’est mal venu ici
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Perdez cette habitude d’être péremptoire, c’est mal venu.
La souveraineté n’est pas un pucelage!
Ce n’est pas du tout ou rien!
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j’ajouterai que vu l’imbrication des économies, c’est difficile d’être vraiment indépendant (des USA) : les russes montrent le prix à payer.
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La vérité n’est pas « on/off ».
« Le roseau plie mais ne casse pas »… et il reprend sa forme initiale dès que le vent faiblit.
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